Prenons comme postulat de base que nous aspirons tous à laisser aux générations futures une planète vivable.
Pourtant, malgré nos sensibilités globalement grandissantes, nos actes quotidiens sont loin d'être en cohérence avec nos aspirations. Et de fait, il y a un gouffre entre la conservation du mode de vie " standard " et la résolution des enjeux environnementaux.
A qui la faute ?
Nous repoussons aisément la responsabilité de la gestion du problème sur les politiques - incapables de nous sortir du paradigme qui a créé ces crises - ou sur les scientifiques et ingénieurs, qui apportent des solutions qui ne peuvent pas combler à elles seules ce gouffre.
Ceci dit, nous sommes de plus en plus nombreux à prendre conscience de notre responsabilité individuelle, et à emprunter la voie du changement. Cela implique de :
se délester de notre confortable routine ;
coopérer : l'avenir a du sens s'il est construit collectivement.
Et il n'est pas question d'opposer les changements individuels et les progrès techniques. Les deux peuvent aller dans le même sens. Ainsi, les avancées sur le recyclage et le tri des déchets ne doivent pas nous déresponsabiliser dans la réduction de leur quantité à la source, lors de nos achats.
Justement, nous retrouvons là tous les ingrédients de l'enjeu des comportements des usagers : enjeux écologiques, changement d'habitude, confrontation à un système technique, gestion collective, déresponsabilisation.
Dans ce contexte, la question du changement individuel peut se formuler de la manière suivante : jusqu'à quel point l'usager d'aujourd'hui doit-il " coller " aux exigences des concepteurs et gestionnaires et s'adapter au bâtiment, plutôt que l'inverse ?
Aborder cette question nécessite une approche sociologique, technique mais aussi écologique et humaniste.
D'un côté, si c'est le bâtiment qui s'adapte complètement à l'usager, autrement dit, s'il offre le plus grand confort possible, sa performance énergétique s'en trouvera diminuée (davantage de chauffage, d'équipements électriques, de lumières, etc.). Ce qui ne nous arrange pas pour répondre à la question initiale sur les générations futures.
A l'inverse, l'adaptation totale de l'usager dans son bâtiment à performance énergétique est freinée de plusieurs manières1 : méconnaissance des enjeux, perte de confort, changement d'habitude, manque d'implication. Sans accompagnement, on peut difficilement demander aujourd'hui à des usagers de s'adapter complètement aux nouvelles contraintes de leur bâtiment. L'expérience montre que cela produit in fine un effet rebond sur les consommations d'énergie2.
Par ailleurs, cela soulève parfois la question de la liberté individuelle. Par exemple, des usagers peuvent mal vivre le fait d'être dans l'impossibilité d'ouvrir les fenêtres de leur bureau, comme c'est le cas dans certains bâtiments passifs.
Anne Dujin, du centre de recherche du Credoc, avance que : " dans le cas où la performance du bâtiment est principalement gérée par des automatismes, les occupants sont enjoints de ne toucher à rien. Ils se sentent dépossédés de leur libre arbitre, et subissent des systèmes qui ne correspondent pas à leurs besoins ou leur rythme d'activité. "3
Si elle ne respecte pas l'écologie intérieure des occupants, la vie dans un bâtiment performant n'est ni attractive ni pérenne, et propage une bien mauvaise publicité pour ce type de construction.
Les changements sociologiques sont bien plus lents que les progrès techniques mais nous construisons aujourd'hui des bâtiments qui dureront des décennies. Si la tendance continue, ce qui paraît difficilement acceptable aujourd'hui (comme une température de 19°C dans un bureau) sera monnaie courante dans 10 ans.
Faut-il alors dimensionner les bâtiments d'aujourd'hui pour un usage " sobre " projeté, tout en offrant de la souplesse aux usagers durant les premières années ? Peut-être est-ce là une partie de la réponse.
Pour conclure, il paraît opportun de dépasser l'opposition entre concepteurs, gestionnaires et usagers, et de favoriser l'écoute et le dialogue créatif entre tous les acteurs. L'objectif commun étant de concilier excellence énergétique et confort d'usage. C'est à dire, de trouver collectivement les compromis acceptables par chacun. Cela implique de faire évoluer nos pratiques vers plus de coopération.
De plus, une bonne partie du travail se situe dans l'accompagnement au changement des usagers. L'enjeu étant l'appropriation de leur bâtiment, dans un contexte où les sensibilités écologiques sont aussi variables que les ressentis individuels de son environnement. Il s'agit d'un accompagnement sur la durée, collectif et dynamique, c'est à dire sans méthodologie figée, car on touche du vivant.
La gageure : remettre sur le devant de la scène la partie de nous qui souhaite laisser une terre vivable à nos enfants, tout en améliorant - au présent - son environnement de vie ou de travail. Mieux : insuffler des dynamiques de groupe qui ouvrent le champs des possibles et réinventent l'usage des bâtiments.
Vie to B
1Cf les derniers échos de Vie to B : L'usager dans les bureaux performants.
2Gaëtan Brisepierre, 2013, programme de recherche en sociologie sur la performance énergétique dans les bâtiments basse-consommation (BBC).
3Anne Dujin, Mai 2012, Performances énergétiques dans le tertiaire : l'apprentissage des occupants est un enjeu majeur.
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07/10/24 à 12h30 GMT