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Allocution de Pierre Gadonneix, Rome 15 novembre 2007.



  • Allocution de Pierre Gadonneix Président du Conseil Mondial de l'Energie, à Rome (Italie), le 15 novembre 2007, au 20eme Congrès Mondial de l'Energie.Mesdames, Messieurs

    C'est avec une certaineémotion que je m'adresse à vous pour la première fois comme Président du CME, succédant avec enthousiasme à notre ami André Caillé dont je salue l'action.

    Notre Review Session a montré toute la richesse des travaux de ces quatre jours sur l'interdépendance énergétique. Pour clore notre réunion, je souhaiterais insister sur la toute récente prise de conscience à laquelle nous assistons, celle d'une « véritable urgence planétaire » dont nous parlent les prix Nobel de laPaix 2007. Car nous, énergéticiens, sommes les premiers concernés.

    La croissance telle que nous l'avons connue n'est plus possible : elle ruine le climat. La décroissance n'est pas possible : elle creuserait les inégalités. Il faut sortir des dogmes et aller vers une croissance responsable conciliant développement, climat et réduction des inégalités.
    Car la conscience du monde nous crie : vous ne pouvez plus concevoir le développement comme avant.Vous devez changer.
    Si nous, énergéticiens, n'agissons pas, qui le fera ? Que nous diront nos enfants et nos petits enfants ? Comme vous, je refuse qu'ils me disent : « Tu savais et tu n'as rien fait ».

    Concilier préservation du climat, développement et solidarité, c'est un défi sans précédent.

    Mais c'est un défi à notre portée.

    Pour le relever, il faut nous mobiliser :

    nous mobiliser pour investir et bien investir

    nous mobiliser pour développer des politiques énergétiques adaptées

    nous mobiliser pour encourager etétendre les coopérations internationales.

    1. Nous sommes dans une période de relance massive d'investissements énergétiques, profitons-en !

    Parce que la croissance mondiale a dépassé les prévisions, la question de l'approvisionnement énergétique, qui renvoit à ce que nous nommons« Availability »,se pose plus que jamais.

    Témoin de cette tension sur les marchés, le prix du pétrole approche les 100 dollars le baril.

    En quelques années, de grandes nations ont émergé : la Chine, l'Inde, le Brésil, les Pays du Sud-Est asiatique et d'autres encore. L'Afrique avance et elle nous surprendra. Les pays d'Amérique latine se développent.
    Pour soutenir leur croissance, tous ces pays doivent investir dans leurs approvisionnements et leurs équipements énergétiques.

    De leur côté, les pays industrialisés doivent remplacer nombre d'installations vieillissantes construites au lendemain de la deuxième guerre mondiale et rattraper une période de sous-investissements.

    1.1.Être à l'heure des investissements, c'est être à l'heure des choix.
    Nous avons donc une chance historique d'orienter ces investissements massifs pour baisser les émissions de CO2. Nous savons que ne pas agir maintenant nous coûtera bien plus cher demain.

    1.2. Nous disposons dès à présent de technologies matures, pour les usages comme pour la production
    Du côté de la demande, il y a d'autres solutions que l'austérité. J'en citerai quelques unes :
    Dans l'habitat, il y a l'isolation et la régulation, le chauffe-eau solaire, les pompes à chaleur.
    Dans les transports, notamment urbains, il y a les véhicules plus efficaces ainsi que des alternatives au tout automobile, du tramway aux transports individuels électriques.

    Dans l'industrie, il y a des technologies comme l'induction qui chauffe les objets sans chauffer les ateliers.
    A plus long terme, il faut investir dans le développement des immeubles très haute qualité environnementale, des bâtiments à bilan d'émission de CO2 nul (ou architectures « bioclimatiques »), des modes de motorisation plus propres.
    Du côté de l'offre, nous avons aussi des technologies matures et compétitives : grandes chaufferies àbois, hydraulique, nucléaire, éolien, centrales supercritiques au charbon, cycles combiné au gaz, biocarburants durables de deuxième génération.

    A horizon plus lointain, nous devons investir dans le développement du nucléaire de 4e génération, du captage / stockage du CO2, des technologies photovoltaïques plus efficaces, du stockage de l'électricité, et les piles à combustible...
    Mais dès à présent, j'insiste, des technologies existent. Il appartient aux industriels que nous sommes deles promouvoir et de les mettre en oeuvre.
    La question n'est donc pas une question de capacité. C'est une question d'orientation et de volonté. C'est une question de politique énergétique.

    2) Les enjeux relèvent largement des politiques énergétiques.
    C'est ce que dit l'axe Government Engagement de notre étude Scenarios 2050.

    2.1. Le temps des idéologies est derrière nous
    Nous voyons qu'un libéralisme sans contrainte favorise le développement mais menace le climat et peut creuser les inégalités.
    Nous savons combien l'interventionnisme bureaucratique est paralysant.
    Revenons au principe de réalité.
    La réalité nous commande de ne pas opposer Etat et marché, mais de les conjuguer.

    Notreétude le démontre : partout, sous des formes adaptées, on a besoin des gouvernements. Non de leur indifférence, non de leur interventionnisme, mais de leur implication, sous des formes nouvelles intégrant les attentes des populations.

    2.2. Les politiquesénergétiques doivent orienter les choix.
    Les consommateurs doivent pouvoir être sensibilisés et guidés dans leurs choix de tous les jours.
    Ils doivent aussi être davantage impliqués dans la conception de leur habitat, dans l'organisation de leur quartier et de leur ville.

    Les Organisations Non Gouvernementales doiventêtre associées aux réflexions, pour devenir de véritables contributeurs responsables.
    Les orientations doivent porter sur la demande, par des normes et des incitations, notamment pour l'habitat et le transport.

    Elles doivent aussi encourager l'offreà moindre émission de CO2.
    Nous savons tous que les grands barrages, les fermes éoliennes, les centrales nucléaires, les terminaux méthaniers, demandent un encadrement réglementaire incitatif et protecteur pour les populations.
    Nous savons tous aussi que ces offres demandent un vrai prix de l'énergie intégrant le coût des investissements et une valeur du CO2. Ne pas payer ce prix, c'est en

    reporter la dette sur nos enfants qui la paieront avec de lourds intérêts.
    Evidemment, pour ne pas creuser les inégalités, cela suppose de mettre en place, en parallèle, des mécanismes d'aides spécifiques aux populations les plus vulnérables.

    2.3. Les politiquesénergétiques doivent soutenir la construction du futur
    Elles doivent soutenir l'effort de recherche des industriels, notamment pour développer les technologies qui viendront à maturité dans la deuxième partie du 21e siècle. Les partenariats public-privé sont, à ce titre, une voie à approfondir.

    2.4. L'acceptation des ouvrages appelle aussi une mobilisation politique
    L'intérêt général relève en effet des autorités nationales et locales. Ce sont elles qui sont le plus en ligne avec l'opinion et qui peuvent le mieux lui faire comprendre l'intérêt d'un choix technique. C'est tout l'enjeu de notre deuxième « A »Acceptability.

    2.5. Mais pour que les politiquesénergétiques soient efficaces, encore faut-il qu'elles sortent des utopies
    Sortons du mythe de la solution miracle, technologique, ou organisationnelle.
    Il n'y a pas de recette universelle. Chaque pays, chaque région a ses particularités. Telle éolienne performante ici ne le sera pas ailleurs.

    Ni totem ni tabou : qui peut prétendre servir le développement durable en idéalisant des technologies marginales et non matures ? Qui peut prétendre servir le développement durable en diabolisant la grande hydraulique, le nucléaire ou l'exploration pétrolière ?
    Nous, industriels nous avons une responsabilité qui est d'éclairer les autorités politiques sur les choix possibles et réalistes.

    3) Voilà pourquoi j'affirme que l'avenir appartient à la coopération, c'est ma conviction !
    3.1.L'avenir appartient à la coopération entre politiques et industriels
    Il nous appartient, nous industriels, d'éclairer la décision publique.

    A nous de dissiper les mirages.
    A nous de signaler les technologiesà faible émission de CO2 les mieux adaptées à une situation.
    A nous d'indiquer comment adapter les installations à la réalité du réchauffement climatique.

    3.2. L'avenir appartientà la coopération entre les pays développés et les moins développés pour de nouvelles solidarités
    C'est tout le sens de notre premier « A » « Accessibility ».
    Les mécanismes de développement propre ont fait leurs preuves. Développons-les, mais en cessant d'en exclure les technologies les plus robustes et matures, comme les grands barrages.

    Prenons en compte les réalités locales et apportons aux pays les moins développés des technologies qui leur conviennent, sans rien exclure a priori.

    3.3. L'avenir appartientà la coopération des producteurs et des consommateurs
    Pays consommateurs et pays producteurs ont des intérêts communs.

    Ils ont besoin de voirà long terme. Ils sont donc partenaires d'un même projet pour assurer la rentabilité des investissements aux producteurs et des prix raisonnables aux consommateurs.
    Les pays consommateurs doivent éviter une concurrence sauvage dans la course à l'énergie, ruineuse pour tous. Ils doivent continuer à développer des règles

    internationales età s'appuyer sur des organisations internationales. Nous devons trouver ensemble les voies pour faire en sorte que les nouveaux grands pays consommateurs, comme la Chine et l'Inde, prennent toute leur place dans ces dispositifs.

    3.4. L'avenir appartientà la coopération mondiale sur le climat, une coopération à l'écoute des pays en développement.
    Là encore, sortons des idéologies et des solutions en prêt-à-porter. Tous les pays ne partent pas à égalité. Les pays du sud doivent pouvoir rattraper rapidement au moins une partie de leur retard.

    Etablissons des règles de commerce international qui en tiennent compte tout en luttant contre les émissions de CO2.
    Pourquoi ne pas rechercher, pour le post-Kyoto, un modèle mixte, avec des engagements d'objectifs pour les pays développés et des engagements de moyens pour les Pays En voie de Développement ?
    En outre, les pays du sud doivent pouvoir sauter l'étape des gaspillages. Il revient aux pays industrialisés de leur transférer des technologies matures à basses émissions de CO2, adaptées à leur réalité.
    Il leur revient aussi de les associer aux recherches sur les technologies du futur.

    3.5. Enfin, l'avenir appartientà la coopération entre les entreprises de domaines différents
    Comment concevoir les transports du futur sans que les industriels de ce secteur, les énergéticiens et les urbanistes y travaillent ensemble ?

    De même, les solutions pour l'habitat de demain ne surgiront pas du carton des architectes ou de celui des énergéticiens. Elles demandent un travail partagé entre énergéticiens, architectes, constructeurs et urbanistes.
    Nous avons besoin de ces coopérations interdisciplinaires.
    J'irai plus loin encore. Nous avons besoin de sortir des cercles de spécialistes et d'intégrer dans l'élaboration de ces solutions des représentants de la population, élus, Organisations Non Gouvernementales, etc.

    C'est sur cette note que je voudrais conclure.
    Faceà l'enjeu majeur du dérèglement climatique, nous devons « réinventer le futur énergétique » comme nous l'indique le Docteur Pachauri, Président du GIEC, co-lauréat du Prix de Nobel de la Paix.

    Réinventer, c'est changer les logiques.
    Réinventer, c'est sortir du confort des cercles fermés.
    Réinventer, c'est accepter d'être dérangé.

    C'est aller au-devant des autres acteurs, publics et privés, et aussi de la société civile et des Organisations Non Gouvernementales.
    C'est travailler ensemble, ce qui veut dire s'écouter, se respecter, établir des bases de langage commun.

    Le CME a un rôle moteur à jouer. Avec ses représentants, de tous les secteurs énergétiques et de tous les pays, il constitue un formidable laboratoire à idées dont les travaux sont ancrés dans la réalité du terrain.
    Ses programmes techniques et ses plans d'action régionaux peuvent aider à agir sans tarder. Ses études mondiales peuvent éclairer les politiques publiques et aider à imaginer l'avenir, en intégrant trois critères - équité, développement et climat -

    Pour accroître notre efficacité, permettez-moi d'insister sur deux points.

    Le premier, c'est que nous devons mieux faire connaître nos études, par une communication plus forte et plus large.
    Le second est que nos travaux seront d'autant plus riches qu'ils seront ouverts aux collaborations avec les parties prenantes des thèmes abordés.
    C'est cette ouverture que je souhaite développer avec vous. Avec une ambition : faire du CME le contributeur actif et reconnu pour bâtir un monde habitable pour tous aujourd'hui et demain.

    [cme2007]
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