- CE, 19 septembre 2014,N° 357327 : Conformité d’un arrêté d’urbanisation avec la protection des espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard
Le 19 septembre 2014, le Conseil d’État français a rejeté la demande de l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir et autres d’annuler pour excès de pouvoir, les deux arrêtés du 21 juin 2006 par lesquels le préfet de l'Aveyron a délivré à la SNC ESCO, d'une part, le permis de construire trois aérogénérateurs et un poste de livraison à Lavernhe-de-Séverac et, d'autre part, le permis de construire un aérogénérateur à Séverac-le-Château.
En effet, l’association demandait au Conseil d’Etat:
- « d'annuler l’arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 5 janvier 2012 en ce qu’elle maintenait les arrêtés préfectoraux,
- de régler l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ; et enfin,
- de mettre à la charge de l'Etat et de la société SNC ESCO la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ».
Dans un argumentaire en huit points : le Conseil d’Etat explique le rejet de la demande de l’association :
Primo, le préfet n’était pas obligé de diligenter une nouvelle enquête suite à un changement de circonstances.
Secundo, « […] aux termes du II de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme : " Les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ". En vertu de l'article R. 123-18 du même code, dans sa rédaction applicable en l'espèce, les zones dites " zones ND " des plans d'occupation des sols sont des zones naturelles " à protéger en raison, d'une part, de l'existence de risques ou de nuisances, d'autre part, de la qualité des sites, des milieux naturels, des paysages et de leur intérêt, notamment du point de vue esthétique, historique ou écologique " […] ces dispositions du code de l'urbanisme n'interdisaient pas par principe que le règlement d'un plan d'occupation des sols permette la construction d'éoliennes en zone de montagne ou en zone naturelle ni n'imposaient la délimitation de certains secteurs pouvant seuls recevoir l'implantation de ces ouvrages, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt au regard de l'argumentation dont elle était saisie et ne s'est pas méprise sur la portée des documents du plan d'occupation des sols, n'a pas commis d'erreur de droit ».
Tertio, « […] aux termes du 1er alinéa du III de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme : " Sous réserve de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension limitée des constructions existantes et de la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées, l'urbanisation doit se réaliser en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants ". Pour qualifier le parc éolien envisagé d'" équipement public " au sens de ces dispositions, la cour a relevé que les 15 à 18 gigawatts par heure de production électrique que devait engendrer le parc éolien avaient vocation, non pas à faire l'objet d'une consommation privée, mais à alimenter le réseau général de distribution d'électricité. La cour s'est ainsi fondée, pour retenir cette qualification, sur la contribution du projet à la satisfaction d'un besoin collectif par la production d'électricité destinée au public et n'a, ce faisant, ni commis d'erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en tenant compte non seulement de la nature mais aussi de l'importance des ouvrages concernés pour juger que l'implantation de telles éoliennes était incompatible avec le voisinage de zones habitées. »
Quarto, « […] il résulte de l'article ND 1-2 du règlement du plan d'occupation des sols de la commune de Séverac-le-Château que l'édification de " bâtiments et ouvrages techniques d'intérêt public " peut, sous certaines conditions, être autorisée dans la zone ND. La cour a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas méconnu la portée des dispositions de l'article ND 1-2 et s'est livrée à une appréciation souveraine exempte de dénaturation en jugeant que des éoliennes telles que celles de l'espèce, dont la production d'électricité avait vocation à alimenter le réseau général, devaient être regardées comme des " ouvrages techniques d'intérêt public " au sens de ces dispositions ».
Quinto, « […] les dispositions du III de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme régissent entièrement la situation des communes classées en zone de montagne pour l'application de la règle de constructibilité limitée, qu'elles soient ou non dotées d'un plan d'occupation des sols, d'un plan local d'urbanisme ou d'une carte communale. Ainsi, en jugeant que les requérants ne pouvaient utilement se prévaloir des dispositions du a) de l'article R. 111-14-1 alors applicable aux communes, telles que Lavernhe-de-Séverac, dépourvues de plan local d'urbanisme approuvé ou de document d'urbanisme en tenant lieu, en vertu desquelles le permis peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions sont de nature, par leur localisation ou leur destination, à favoriser une urbanisation dispersée incompatible avec la vocation des espaces naturels environnants, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ».
Sexto, « […] il résulte des dispositions de l'article R. 111-14-2 du code de l'urbanisme alors en vigueur que le permis de construire peut n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur destination ou leurs dimensions, sont de nature à avoir des conséquences dommageables pour l'environnement. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, sur le fondement de ces dispositions, le préfet a prescrit au pétitionnaire de mettre en oeuvre certaines mesures visant à limiter ou compenser l'incidence du parc éolien sur l'avifaune, en particulier par l'installation de placettes d'alimentation des oiseaux éloignées des ouvrages. En estimant que le préfet n'avait pas adopté des prescriptions manifestement insuffisantes, la cour, qui, sans pour autant renoncer à porter sa propre appréciation sur les faits de l'espèce ni méconnaître son office, a pu tenir compte à cette fin du sens des avis émis sur le projet par la Ligue de protection des oiseaux et la direction régionale de l'environnement, a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation ».
Septimo, « […] il résulte des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction alors applicables, que " le permis de construire peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation ou leurs dimensions, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique " […] D'une part, les requérants ne sauraient utilement reprocher à la cour de ne pas avoir pris en compte, dans sa réponse au moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions, les préconisations émises par divers organismes afin de prévenir les risques liés au passage d'une canalisation de gaz à proximité du projet, dès lors qu'ils ne développaient, devant elle, aucune argumentation en ce sens. Par suite, leurs moyens tirés de ce que la cour aurait, dans cette mesure, insuffisamment motivé son arrêt, commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier ne peuvent qu'être écartés. Les requérants ne peuvent pas plus utilement soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en ne relevant pas, pour les mêmes motifs, la méconnaissance des dispositions de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qu'ils n'avaient pas invoquée devant elle et qu'elle n'avait pas à examiner d'office. D'autre part, s'agissant des nuisances sonores, la cour a estimé que le préfet n'avait pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que si, dans le projet initial, une ferme était susceptible de subir, du fait du fonctionnement de l'une des éoliennes, des nuisances sonores dépassant les niveaux réglementaires, ce projet avait été modifié pour choisir des éoliennes à pales flexibles moins bruyantes et les autorisations avaient été assorties de prescriptions relatives notamment à l'arrêt, dans certaines circonstances, de l'éolienne en cause. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la cour se serait fondée, pour écarter le moyen dont elle était saisie, sur la circonstance qu'une seule ferme était susceptible de subir des nuisances sonores et aurait ainsi commis une erreur de droit. Ils ne peuvent pas non plus utilement soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit et dénaturé les faits de l'espèce en ne retenant pas une méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-3-1 du code de l'urbanisme, qu'ils n'avaient pas invoquée et qui n'avait pas à être examinée d'office par la cour ».
Octavo, « […], il résulte de l'article R. 111-21 du même code, dans sa rédaction alors applicable, que " le permis de construire peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ". Pour estimer que le préfet n'avait pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application de ces dispositions, la cour, qui ne s'est pas bornée à constater que les éoliennes étaient peu visibles depuis l'ouest mais a au contraire relevé, de manière circonstanciée, l'ensemble des précautions et prescriptions visant à atténuer l'incidence visuelle du projet depuis tout autre point d'observation, a suffisamment motivé son arrêt et a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis, sans commettre d'erreur de droit quant à l'étendue de son contrôle, une appréciation souveraine exempte de dénaturation ».
Nono, « […] aux termes du premier alinéa de l'article R. 111-19 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable : " A moins que le bâtiment à construire ne jouxte la limite parcellaire, la distance comptée horizontalement de tout point de ce bâtiment au point de la limite parcellaire qui en est le plus rapproché doit être au moins égale à la moitié de la différence d'altitude entre ces deux points, sans pouvoir être inférieure à trois mètres ". En jugeant qu'une éolienne ne pouvait pas être regardée comme un " bâtiment " au sens de ces dispositions, la cour n'a commis ni erreur de droit, ni erreur de qualification juridique ».
Cet arrêt est très instructif en ce qu’il éclaire sur les conditions de protection des espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard en matière d’urbanisme et en conformité avec l’objectif du développement durable.
[VEIJURIS]
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06/05/24 à 12h32 GMT