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Discours de Michaëlle Jean à New York, le 21 septembre 2016



  • Discussion de haut niveau sur « Le coût économique de la violence contre les femmes »

    Seul le texte prononcé fait foi

    Excellences,
    Madame la Présidente de la Lituanie,
    Madame la Présidente du Chili,
    Mesdames et Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement,
    Excellences,
    Mesdames, Messieurs,

    L’an 2000, c’était hier, vous en conviendrez. Et pourtant, aucune référence, je dis bien aucune référence n’était faite à la violence à l’égard des femmes et des filles, dans les Objectifs du millénaire pour le Développement, solennellement adoptés par tous les chefs d’Etat de la planète cette année-là. Aucune référence, non plus, aux mariages précoces et forcés, ni aux mutilations génitales féminines.

    Je ne parle pas de temps lointains, mais de notre entrée fracassante dans le 21ème siècle, il y a à peine seize ans !

    Est-ce à dire qu’en 2000 le problème n’existait pas, ou qu’il n’était pas suffisamment grave, pas suffisamment lourd de conséquences pour qu’on décide d’y remédier ?

    Nous savons, toutes et tous, ici combien ce virus est actif, virulent, combien ce fléau es enraciné dans les mentalités, dans les comportements, dans les réflexes, presque atavique.

    Actuellement, une femme sur trois est victime de violences psychologiques, physiques, sexuelles.

    Plus de 700 millions de femmes ont été mariées alors qu’elles n’étaient encore que des enfants.

    Alors si l’on peut se réjouir que les Objectifs du développement durable adoptés, ici même, l’an dernier, fassent enfin référence à ce fléau, c’est encore bien en-deçà de qu’il faudrait faire.

    Ce dont nous aurions besoin, c’est d’un plan global, d’une véritable campagne mondiale de sensibilisation contre les violences faites aux femmes et aux filles, parce que tous les pays, sans exception, sont concernés : les pays en développement, les pays émergents, les pays industrialisés, les pays en guerre comme les pays en paix.

    Chacun doit avoir le courage de balayer devant sa porte !

    Qu’on ne nous parle pas de particularismes culturels, de zone rurale ou de zone urbaine, de niveau d’éducation, de catégories socioprofessionnelles. Qu’ils soient paysans ou citadins, éduqués ou pas, chefs d’entreprise ou ouvriers, qu’ils se réfèrent à des coutumes ou pas, les individus qui exercent des violences contre les femmes et les filles, ont tous le même profil : dominer, soumettre, humilier, briser par la violence.

    Mesdames et Messieurs,

    La partie est loin d’être gagnée. C’est un combat de tous les instants. Les progrès existent, mais que d’énergie dépensée pour des avancées, encore trop lentes, trop timides, vous en savez quelque chose Chère Michelle Bachelet.

    Nous ne devons pas pour autant baisser les bras. Bien au contraire. Et cette réunion d’aujourd’hui, nous y invite.

    Je dois vous dire que je reste profondément optimiste quand je pense au militantisme de toutes ces femmes, et de tant d’hommes aussi, à leur détermination, leur activisme, quand je pense aussi à ces centaines de femmes et à leurs enfants que j’ai accompagnés durant plus de dix ans au Québec d’abord, puis dans le reste du Canada et au vaste réseau de centres d’hébergement d’urgence et de soutien que nous avons créé, sur l’ensemble du territoire canadien, en milieu urbain et rural. J’ai participé à ce rude combat, un combat de tous les instants pour vaincre l’indifférence, parfois l’immobilisme, le déni des autorités mêmes.

    Et pourtant, je reste optimiste quand je pense aussi à toutes ces femmes qui ont rejoint le Réseau francophone pour l’égalité femme-homme. Je crois plus que jamais à cette mise en réseau, à cette mise en contact par-delà les frontières et les océans. L’union, dans ce combat comme dans d’autres, fait véritablement la force. Et c’est une des approches privilégiées par la Francophonie, une Organisation riche de 80 Etats et gouvernements répartis sur les cinq continents,

    Je crois plus que jamais au partage d’expériences, de bonnes pratiques, de solutions.

    Je crois à la nécessité, aussi, de faire remonter les témoignages, les données, de briser les solitudes, de libérer la parole, de dire, de faire savoir, en ouvrant des lieux d’échange, présentiels ou virtuels, respectueux de l’anonymat si nécessaire.

    Moins de 10% des femmes victimes de violences demandent de l’aide ou font appel à la police. C’est dire que nous travaillons sur des chiffres approximatifs et sous-estimés, tant en ce qui concerne le nombre de victimes que le coût occasionné par les violences faites aux femmes.

    Nous devons mener le combat sur deux fronts.

    Celui des principes, tout d’abord, avec pour mot d’ordre la tolérance zéro. Les violences faites aux femmes constituent une atteinte grave aux droits fondamentaux de la personne. Nous devons le marteler sans cesse.

    Les arsenaux juridiques pertinents existent au niveau international et national. La Francophonie a, pour sa part, adopté en 2010, une Déclaration, et en 2013, un Plan d’action sur les violences faites aux femmes et aux filles. Mais nous savons bien qu’il y a souvent très loin entre les textes et leur mise en œuvre effective et que l’impunité reste la règle dans trop de cas. C’est cela que nous devons combattre, jour après jour, sur le terrain, tout en faisant de la prévention, notamment auprès des jeunes esprits. Dès l’adolescence, de jeunes garçons emploient la violence contre de très jeunes filles, et c’est effarant.

    Voilà plus de quinze ans que la Francophonie, dans ses pays membres, sensibilise et forme des organisations de la société civile et des institutions au plaidoyer sur la lutte contre la violence faite aux femmes et aux filles. Voilà plus de quinze ans qu’elle accompagne ces victimes dans leur reconstruction, leur réinsertion sociale et économique : en Afrique de l’Ouest, en République démocratique du Congo, en Asie du Sud-est, en Haïti, au Maroc, en Tunisie.

    Le deuxième front sur lequel nous devons nous mobiliser, c’est celui des coûts. Et je veux vous remercier, Madame la Présidente de Lituanie, Madame la Présidente du Chili d’avoir pris l’initiative de cette Discussion de haut niveau.

    Si parler de droits fondamentaux ne suffit pas à convaincre, alors parlons finances pour, peut-être, nous faire mieux entendre.

    Car enfin, nous sommes face au plus incompréhensible des paradoxes : la communauté internationale peine à financer les objectifs ambitieux qu’elle affiche, à l’horizon 2030, en matière de développement humain et économique durable, en matière de lutte contre le réchauffement climatique ; nombre de pays, lourdement endettés, sont contraints de mettre en œuvre des politiques de restriction budgétaire drastiques, et pourtant nous renonçons à saisir les opportunités qui nous permettraient de doper la croissance et de dégager des financements nouveaux.

    Je pense au gain considérable que représenterait la fin de la discrimination hommes-femmes dans l’accès à l’emploi. Le FMI, l’OCDE, merci cher Angel Gurría, ont commencé à le chiffrer pour en arriver à la conclusion que la prospérité de l’économie mondiale est incontestablement entre les mains de ces 865 millions de femmes encore empêchées de contribuer formellement à l’économie de leur pays. Et c’est dans cet esprit que la Francophonie, dans sa toute nouvelle stratégie économique, a voulu mettre l’accent sur l’emploi des femmes et des jeunes. Une femme jouissant d’une pleine autonomie financière est moins vulnérable.

    Je pense aussi au gain considérable que représenterait la fin des violences faites aux femmes, car ce fléau a un coût psychologique, physique, certes, mais aussi financier : coût pour les victimes, coût pour les employeurs, coût pour le secteur public en matière de santé, de police, de justice et autres. On estime que le coût annuel de la violence domestique se chiffre en milliards !

    Nous aurions, à cet égard, un besoin urgent d’instruments pour mesurer au plus près cette réalité économique afin de susciter une prise de conscience au niveau des décideurs, mais aussi une prise de conscience collective.

    Cette discussion nous y invite et croyez bien que l’Organisation internationale de la Francophonie est prête à se joindre à toutes les initiatives qui seront prises en ce sens.

    Je vous remercie

    [agonu71]

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