Cet article a été co-rédigé avec Monique Henry du CEGEP de St-Laurent (Québec).
Nous savons déjà que la pollution des eaux est diverse et complexe. Dans un article précédent, nous avons tenté d'en définir les contours. (Voir l'article de Médaiterre :
actu,20130402163049,1.html )
Dans cette nouvelle dépêche, nous allons voir comment les spécialistes peuvent la caractériser et la quantifier. Rappelons d'abord comment elle se définit.
La
pollution, telle que définie par la Directive-Cadre Européenne sur l'Eau (DCE),
est l'introduction directe ou indirecte, par suite de l'activité humaine, de
substances ou de chaleur dans l'air, l'eau ou le sol, susceptibles de porter
atteinte à la santé humaine ou à la qualité des écosystèmes aquatiques ou des
écosystèmes terrestres dépendant directement des écosystèmes aquatiques, qui
entraînent des détériorations aux biens matériels, une détérioration ou une
entrave à l'agrément de l'environnement ou à d'autres utilisations légitimes de
ce dernier.
Pour
caractériser la pollution de l'eau, on peut mesurer les divers polluants un à
un, en utilisant obligatoirement des méthodes normalisées, reconnues par les
organismes de réglementation, afin que tous les intervenants puissent
travailler de la même manière et que les résultats soient indiscutables. Par
exemple, en France, la normalisation et sa promotion sont assurées par
l'l'Association Française de Normalisation (AFNOR) et les organismes délégués
par AFNOR et agréés par le ministre chargé de l'industrie comme Bureaux de
Normalisation Sectoriels.
Il
arrive aussi que des techniques non normalisées soient utilisées pour les
mesures, particulièrement en routine, par exemple par les exploitants de
stations d'épuration (STEP). Si elles n'ont pas un caractère légal, elles sont
utiles parce qu'elles sont souvent plus rapides et moins fastidieuses.
Pour
des raisons économiques et par manque de temps, la caractérisation quotidienne
de la pollution, particulièrement dans les STEP, fait appel à des paramètres
globaux, intégrant des caractéristiques communes à un ensemble de polluants.
Pour le suivi directement dans les milieux, des eaux potables ou pour des
études particulières, on élargira aux pollutions plus spécifiques, comme c'est
le cas pour les substances prioritaires dans les écosystèmes aquatiques
d'Europe (DCE).
Dans
les paramètres globaux, fort utilisés pour caractériser les eaux polluées et
qui sont aussi mesurés via des méthodes normalisées, il y a les Matières en
Suspension (MES). Les MES se définissent par leur taille (particules de taille
telle qu'elles sont arrêtées par un filtre de 0,45µm) et sont donc facilement
mesurées par filtration (généralement sur filtre en fibres de verre normalisé)
et séchage du filtre à 105°C. Les MES sont un mélange de substances
organiques et minérales et elles caractérisent bien les eaux usées. Les MES
sont mesurées depuis des décennies, sont éliminées en partie par décantation et
servent de paramètre de contrôle des STEP. Elles s'expriment en mg/l. L'analyse
peut être complétée par une calcination du filtre à 550°C, de façon à éliminer
les matières les plus fragiles, les plus volatiles (MESV) ne laissant que les
matières "fixes" , constituées essentiellement de sels et d'oxydes stables
(MESF). On assimile parfois grossièrement les MESV à la matière organique en suspension.
Comme
autre mesure globale, il y a la Demande Biochimique en Oxygène sur 5 jours
(DBO5). Ce paramètre traduit la quantité de matières facilement biodégradables
dans l'eau. On mesure sur 5 jours la quantité d'oxygène consommé en créant un
milieu propice (dilution, ajouts d'éléments nutritifs et/ou ensemencement si
nécessaire) aux microorganismes qui dégradent les matières et consomment
l'oxygène. La DBO5 est aussi connue depuis des lustres et sert pour le contrôle
des STEP : elle est un bon indicateur de l'efficacité des traitements
biologiques (boues activées, biofiltration,...). La DBO5 s'exprime en milligramme
d'oxygène consommé par litre d'échantillon (mg/l). Les "respiromètres"
permettent de suivre la consommation de l'oxygène en continu, permettant par
exemple de tracer la courbe de la DBO en fonction du temps. Il est recommandé
d'ajouter aux échantillons un inhibiteur de nitrification si on ne veut pas
risquer de mesurer, en plus de la demande carbonée, la demande correspondant à
la nitrification.
La
Demande Chimique en Oxygène (DCO) est un autre paramètre qui englobe diverses
substances. Elle permet d'évaluer les matières difficilement biodégradables en
plus de celles qui le sont facilement. On peut d'ailleurs caractériser les eaux
usées en faisant le rapport DCO/DBO5 qui traduira la biodégradabilité d'une
eau : plus le rapport est bas, plus l'eau usée sera biodégradable. Alors
que la DBO est une mesure de type biologique, la DCO est une mesure
chimique : un oxydant puissant est rajouté à l'échantillon, en milieu
acide concentré, et on mesure la quantité d'oxydant consommé. La DCO s'exprime aussi
en mg/l d'oxygène.
Le
Carbone Organique Total constitue un paramètre global plus direct de la charge
organique puisqu'il exprime la quantité de carbone (en mg) contenue dans un
litre d'échantillon : c'est donc une mesure plus directe que la DBO ou la
DCO. Peu de stations sont encore équipées de ces appareils qui tendent
cependant à se démocratiser.
Au-delà
de ces paramètres globaux, fort connus des spécialistes, on en mesure plusieurs
autres sur une base routinière. C'est le cas de la mesure du pH qui traduit le
caractère plus ou moins acide de notre eau. Comme le pH des eaux naturelles,
sauf exception, devrait se situer entre 6 et 8, tout pH en dehors de cette
plage nous indique que l'eau est probablement polluée ou que le procédé de
traitement, dont on contrôle le pH, présente un dysfonctionnement. L'alcalinité
(liée au pH), la turbidité (liée aux MES) et la conductivité sont également des
mesures de routine.
Les
dérivés de l'azote et du phosphore sont évaluées régulièrement dans les eaux
contaminées et épurées. Parmi les composés azotés, on distingue l'azote
organique, l'azote ammoniacal, les nitrites et les nitrates. Les formes d'azote
qu'on retrouve dans l'eau dépendent de la
dégradation plus ou moins poussée des substances présentes et de l'état du
milieu. En France, les traitements biologiques des STEP sont habituellement
conçus pour assurer la nitrification/dénitrification des eaux usées. D'où
l'importance de savoir mesurer les espèces présentes pour en vérifier
l'efficacité. 3 paramètres sont mesurés régulièrement : l'azote Kjeldahl
(NK), qui inclut l'azote organique et l'azote ammoniacal, les nitrates et
l'azote global (NGL) qui comprend toutes les espèces.
Comme
l'azote, le phosphore est suivi de près dans les STEP, afin de diminuer les
risques d'eutrophisation dans les milieux récepteurs. 3 formes de phosphore
sont potentiellement mesurables : le phosphore minéral (orthophosphates et
polyphosphates métalliques), le phosphore organique - souvent incorporé dans la
matière vivante comme l'adénosine triphosphate et le phosphore total qui
englobe les 2 premières formes et qui comprend également les dérivés solubles
et les dérivés en suspension.
Enfin,
pour éviter des analyses spécifiques, exhaustives, longues et couteuses, on
effectue des "bio-essais", donc sur des organismes vivants, pour juger de la
toxicité globale d'un effluent et de l'acceptabilité de son rejet dans le
milieu naturel.
[TECHEAUA]