La décroissance est-elle inéluctable, comme le prétendent certains mouvements de pensée ? Ou peut-on, au contraire, concilier développement et transition énergétique ? Penchant pour cette deuxième hypothèse, les collectivités et les entreprises cherchent des solutions nouvelles.
Épuisement des ressources énergétiques, dérèglement du climat, diminution de la biodiversité, pollutions diverses, dégradation de la santé des populations, accumulation de déchets, malbouffe… Les activités humaines génèrent ce que l’on appelle pudiquement des « externalités négatives » qui peuvent aujourd’hui menacer l’avenir de la planète.
La situation serait aujourd’hui si préoccupante que selon certains mouvements de pensée, la seule solution serait la « décroissance ». Néologisme né dans les années 1970, ce mot exprime l’idée que la croissance économique serait plus néfaste que bénéfique pour l’humanité. L’objectif serait donc de cesser de faire de la croissance un objectif.
« Alors que 20 % des humains s’accaparent plus de 80 % des ressources naturelles de la planète, que les capacités de celle-ci à absorber les pollutions que nous émettons ont largement été dépassées et que les ressources fossiles s’épuisent, avons-nous encore le choix, dans les pays riches, entre croissance et décroissance ? », interroge ainsi Vincent Cheynet dans son livre Le choc de la décroissance. Pour Yves Cochet, ancien ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire (2001-2002), « on n’a pas à choisir si l’on est pour ou contre la décroissance, elle est inéluctable, elle arrivera qu’on le veuille ou non ».
Une décroissance inéluctable ?
Partant de l’axiome de base selon lequel « la croissance ne peut être infinie dans un monde fini », les « décroissants » considèrent le concept de développement durable comme un « faux ami », voire une « imposture ». Selon eux, développement économique et transition énergétique seraient deux notions parfaitement antinomiques. Ils se prononcent pour une éthique de la « simplicité volontaire » et invitent à réviser les indicateurs économiques de richesse comme le PIB (qui ne prend en compte ni le bien-être des populations ni la pérennité des écosystèmes) et à repenser la place de l’économie et celle du travail dans la vie.
Signe que l’idée fait son chemin, même le pape François a récemment déclaré : « L’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties ».
Mais pour de nombreux économistes, libéraux ou keynésiens, la croissance économique reste une évolution positive. Elle permet notamment, si la richesse créée est correctement distribuée, d’améliorer le niveau de vie des populations. On observe également une corrélation entre la qualité des systèmes de santé et l’espérance de vie d’une part et le PIB par habitant d’autre part.
Selon Robert Solow et Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie en 1987 et 2001, le capital et le travail peuvent se substituer aux ressources naturelles dans la production, directement ou indirectement, permettant ainsi d’assurer la pérennité d’une croissance et d’un développement durable. Le capital humain, la connaissance et l’innovation technique peuvent prendre le relais des facteurs matériels. Beaucoup considèrent également que ce sont justement les progrès de la science et de la technologie qui permettront de résoudre les graves problèmes énergétiques et écologiques auxquels nous devons faire face.
Mais il faudra pour cela révolutionner les modes de production et de consommation. Les collectivités territoriales et les entreprises n’ont pas le choix : elles doivent trouver des solutions concrètes pour concilier développement économique et transition énergétique.
Face à la hausse du prix de l’énergie et dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, mais aussi face à la nécessité de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, elles sont à la recherche de nouvelles solutions pour maîtriser leur consommation d’énergie.
Des leviers pour les villes
Pour cela, les villes disposent de plusieurs leviers : l’aménagement et l’urbanisme, les bâtiments, les transports, mais aussi les réseaux d’énergie et l’éclairage public.
A travers leurs politiques d’aménagement, d’urbanisme et d’occupation des sols, elles peuvent d’abord privilégier un modèle de ville compacte, afin de diminuer les déplacements et de développer les modes de transport doux (marche, vélo). Les besoins de mobilité sont en effet largement déterminés par la distance entre les lieux de travail et d’habitation. Dans le même objectif, elles peuvent également favoriser la mixité fonctionnelle en développant des quartiers regroupant logements et entreprises. Elles peuvent enfin choisir de densifier les zones situées à proximité des gares et des voies de transport public (tramway, métro, etc.).
Les collectivités s’efforcent également de mieux maîtriser les consommations énergétiques des bâtiments, avec une action directe sur le patrimoine bâti public et indirecte auprès des bailleurs sociaux et des particuliers.
Le développement de transports « propres » est aussi une direction clé pour réduire la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre des villes. Flotte de véhicules municipaux et transports publics « verts », développement de pistes cyclables, mise en place de bornes de recharges électriques et de systèmes d’autopartage de véhicules ou de covoiturage… Les collectivités disposent de plusieurs pistes dans ce domaine.
Pour réduire la place de la voiture dans la ville, le développement des transports en commun (métro, bus, tramway) et des modes doux (vélo, marche) est une condition incontournable, ainsi que la facilitation de l’intermodalité, c’est-à-dire du passage d’un mode de transport à l’autre. La mise en place de parcs de vélos en libre-service et de zones de parking près des gares va par exemple dans ce sens, l’objectif global étant d’optimiser l’organisation des déplacements quotidiens dans la ville.
L’éclairage intelligent pour les villes…
L’éclairage public est également pour les villes un gisement d’économies d’énergie. Selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), ce poste représente en effet plus de 40 % de la consommation d’électricité des collectivités.Or, aujourd’hui en France, près de la moitié des installations d’éclairage seraient obsolètes et donc fortement énergivores. La modernisation des installations est donc une priorité. « Leur rénovation permet aux villes de réduire leur consommation d’électricité de 50 % à 75 % », estime Citelum, entreprise spécialisée dans l’éclairage urbain, qui n’hésite d’ailleurs pas à s’engager sur des objectifs chiffrés auprès de ses clients, collectivités ou entreprises.
Citelum propose même dans ce domaine une approche globale pour aider les collectivités à réduire leur facture énergétique et leurs émissions de CO2 sans freiner leur développement économique. Une gamme de solutions qui passe d’abord par un schéma directeur d’aménagement lumière conçu en fonction des spécificités et des objectifs de la ville et par le déploiement massif d’ampoules LED, plus économes et à plus longue durée de vie… Et qui intègre également de nouvelles technologies de télégestion à distance et en temps réel des points lumineux de la ville ou de capteurs de présence et de luminosité permettant d’adapter l’éclairage en fonction des situations. Ces infrastructures d’éclairage peuvent même se connecter à de nouveaux services facilitant la mobilité (bornes de recharge de véhicules électriques, systèmes de stationnement intelligent), la sécurité (signalisation lumineuse tricolore, radars de feux et de vitesse, vidéoprotection) et le bien-être des citoyens (bornes wifi, panneaux d’information, capteurs de pollution).
… et les entreprises
Ce savoir-faire, acquis dans l’éclairage urbain, peut être transposé aux entreprises de nombreux secteurs, qui doivent également faire face à des problématiques similaires en matière de réduction des consommations d’énergie et de diminution de l’empreinte carbone.« Nous travaillons par exemple pour des constructeurs automobiles et d’autres industriels qui souhaitent dégager des économies d’énergie dans leurs unités de production, ou encore pour des hôtels et des enseignes de distribution sur des concepts de « magasins intelligents » », explique ainsi Carmen Munoz-Dormoy, directrice générale de Citelum.
L’optimisation de la performance énergétique des équipements et des procédés industriels est en effet devenu un vrai sujet… Et l’éclairage, comme la motorisation électrique, le chauffage, la ventilation ou les réseaux, sont par exemple des postes énergivores et pour lesquels des actions simples, à retour sur investissement rapide, peuvent être réalisées. Pour diminuer leurs émissions de CO2 et leur facture énergétique, les entreprises doivent en effet maîtriser leurs consommations sur tous les postes.
La conception des bâtiments, en particulier leur isolation, est également un élément déterminant pour la performance énergétique. Sans parler d’un certain nombre d’« éco-gestes » simples, à réaliser au quotidien par les collaborateurs : ne pas laisser la lumière allumée lorsque l’on n’en a pas besoin, ni son ordinateur en veille, ne pas surchauffer les bureaux, bien fermer les portes et fenêtres pour conserver l’isolation…
Pour diminuer les consommations d’énergie dans les entreprises, l’utilisation d’Internet est également un facteur à ne pas négliger. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’utilisation du web dans le monde consomme l’équivalent de la production électrique de quarante centrales nucléaires et émet autant de gaz à effet de serre que l’ensemble de l’aviation civile mondiale. Supprimer régulièrement ses e-mails, éviter les pièces jointes lourdes, ainsi que les transferts de mail à toute l’entreprise quand ce n’est pas nécessaire, sont par exemple des moyens de réduire la consommation énergétique. L’Ademe a ainsi proposé un guide pratique en 29 actions pour réduire l’impact environnemental de l’informatique au bureau.
Pour les entreprises comme pour les collectivités, il existe donc de nombreuses solutions pour consommer intelligemment sans renoncer au développement. Mais le changement est désormais urgent et la volonté collective de tous les acteurs indispensable... Afin d’éviter que la décroissance devienne le seul avenir de la planète.
Auteur: Bruno Lefebvre
04/09/24 à 08h48 GMT