La nouvelle de l’élection de Dany Laferrière à l’Académie française le 12 décembre a explosé comme une grenade. Un geste, ô combien
historique, qui vient de nous remettre sur la carte du monde. La nouvelle
a parcouru le web – donc la planète – comme un éclair déchirant
l’horizon.
Avec 13 voix sur 23, il devient, après
Léopold Sédar Senghor, le deuxième Noir – ou plutôt le
deuxième descendant d’Africain – à entrer dans cette prestigieuse
institution vieille de plus de trois siècles. L’histoire retiendra que “Da” est entré à l’Institut sans se fatiguer, contrairement à
de grandes figures de la littérature française, entre autres Zola ou
Hugo, qui se sont vus recaler à plusieurs reprises avant d’y être accueillis.
Les discours pleuvront – si ce n’est déjà le cas – sur la
terre d’Ayiti Toma.
Mais avec quel courage on entendra la ministre de
la Culture [haïtienne], sourire aux lèvres, une pointe de fierté dans le regard, un
noble orgueil dans la voix, adresser ses félicitations à l’académicien ?
Ou même notre président de la République, qui n’a fait que se servir de la
banalisation du savoir pour arriver au pouvoir ? On se souvient encore
de ses slogans de campagne. “A bas les diplômes !” clamait-on haut et fort
pendant toute la période électorale.
Que de discours haineux et
méprisants contre ces hommes de plume. Un gouvernement qui ne jure que
par le carnaval. La bamboche populaire au lieu d’investir dans l’homme
haïtien. Les discours pompeux, vides de toute construction sociétale.
On aura vite oublié que Dany est un exilé. Un banni de la dictature de
Baby Doc [Jean-Claude Duvalier, de 1971 à 1986]. A un moment où ce dernier faisait – comme son père [François Duvalier (Papa Doc) de 1967 à 1971 – la chasse
aux intellectuels. Par peur de se voir assassiné comme son ami Gasner
Raymond, journaliste comme lui, il s’est réfugié au Canada. Là-bas, il a
été accueilli. Accepté. Respecté. Vénéré. Et on a cru en lui. Il s’est
construit une vie. Une nouvelle famille. Dans le froid glacial de cette
mégapole qui l’a bercé plus de trente-cinq ans durant. Fatigué et meurtri par le
silence imposé par Le Cri des oiseaux fous, pour avoir perdu Le Goût des jeunes filles et L’Odeur du café, Dany revient
aujourd’hui Vers le sud pour revivre ses Années 1980 dans sa vieille
Ford. Question de résoudre l’énigme du retour.
C’est Edward Said qui l’écrit dans Representations of the
Intellectual : “L’intellectuel est un individu qui joue, au sein de
la société, un rôle particulier qui ne saurait être réduit à celui d’un
professionnel anonyme ; il est doté de la capacité de formuler une
pensée ou une opinion, aussi bien en direction d’un public qu’en son
nom. Et c’est un rôle délicat, car cet individu mettra un point
d’honneur à poser publiquement des questions embarrassantes, à affronter
l’orthodoxie, à incarner celui qui ne peut être facilement coopté par
les autorités, et dont la raison d’être est de représenter les personnes
et les problèmes qu’on a l’habitude de glisser sous le tapis.” Et Noam
Chomsky de renchérir dans les mêmes termes pour souligner que “les intellectuels sont ceux qui écrivent l’Histoire”. Ils sont le ciment de
la société, nous dit-il. Des avant-gardes.
Avec l’élection de Dany à
l’Académie française, c’est une tout autre page de l’histoire d’Haïti
qui vient d’être écrite ou se récrit. C’est le moment d’envoyer un
autre signal au monde pour qu’on soit perçu autrement.
Voici venu en Haïti le temps de construire et de croire en
l’homme. Le temps de “tourner la page […], jeter le vieux cahier […] et
enlacer l’arbre, la colonne de marbre qui fuse dans le ciel”, pour
reprendre les paroles de la chanson [Il faut tourner la page] de Claude Nougaro.
La culture
est tout ce qui nous reste debout quand tout tombe en Haïti, avait
souligné notre académicien, il y a seulement trois ans. Qu’avons-nous
fait de c(s)es paroles ? Que d’occasions avons-nous manquées afin de
redresser la barque ? Depuis deux siècles que nous nageons dans la
bêtise et la médiocrité ! Cet événement doit au moins nous servir de
prétexte pour nous porter à remettre les pendules à l’heure. A nous
prendre au sérieux. A faire de la culture notre carte de visite. A
croire aux choses de l’esprit. Question d’inventer un avenir aux jeunes.
Fondé en 1898, sous le titre originel Le Matin, le plus ancien journal francophone des Amériques est devenu un an plus tard Le Nouvelliste. Quelques années passent, puis il est racheté par l’imprimeur Henri Chauvet, dont la famille est toujours propriétaire. En 2006, l’ouverture de son site Internet, sous la rédaction en chef de Frantz Duval, permet au monde entier d’avoir accès à l’actualité haïtienne, ainsi qu’aux analyses et opinions de ce seul quotidien du pays, qui paraît du mardi au samedi, distribué seulement par abonnements.