Ce texte est le premier de 3 articles. Il a été co-rédigé avec Monique Henry du CEGEP de St-Laurent (Québec).
Les traiteurs d'eau ont souvent de la difficulté à distinguer l'agressivité de la corrosivité. Pour mieux appréhender ces phénomènes, cet article va rappeler quelques définitions et en présenter quelques conséquences. Les plus importantes résultent du piètre état des réseaux ce qui entraine, dans les réseaux de distribution, des pertes importantes d'eau potable et dans les réseaux d'eaux usées, des infiltrations surchargeant les stations d'épuration. Dans un prochain article, on approfondira ces notions et présentera les techniques de "stabilisation" de l'eau.
Voici d'abord quelques définitions importantes:
-Caractère incrustant : Une eau est incrustante quand elle tend à déposer du calcaire (CaCO3). On dit aussi qu'elle est " entartrante ".
-Caractère agressif : Une eau qui tend à attaquer, à dissoudre le calcaire et les matériaux qui en contiennent avec lesquels elle est en contact est agressive.
-Corrosivité : Une eau qui tend à attaquer, à dissoudre les métaux est corrosive. Les eaux agressives sont généralement corrosives mais l'inverse n'est pas forcément vrai. Les mécanismes de corrosion sont complexes (chimiques, galvaniques ou biologiques).
Comme c'est souvent le cas dans le domaine scientifique, ces premières définitions en appellent d'autres :
-Solubilité : C'est la concentration maximale possible d'une substance dans une solution (dans des conditions précises de température et de pression). La solution est alors " saturée " et tout ajout supplémentaire reste insoluble, sous forme de " précipité ". Une solution " sursaturée " est instable et l'excès tend à précipiter. La précipitation est souvent amorcée sur des sites ou " noyaux " et peut être accélérée par certains agents jouant le rôle de germes.
-Inhibiteur de corrosion : Un inhibiteur forme, à la surface d'un matériau, une couche qui le protège des attaques ultérieures et ralentit donc son attaque (agression ou corrosion).
-Séquestration : Les agents séquestrants forment des complexes avec les ions métalliques et limitent ainsi leur disponibilité. Par exemple, si du fer a été solubilisé, en présence d'oxygène, il est transformé en fer ferrique, insoluble et précipite sous forme de rouille (couleur ocre). En présence de silicates ou de polyphosphates, le fer sera " séquestré " ou " masqué ".
-Inhibiteur de précipitation : Certains agents empêchent la précipitation même à très faibles concentrations, sans doute en évitant la formation de germes.
Au niveau chimique, tout n'est qu'équilibre entre les différents éléments présents dans l'eau. Ainsi, l'on se doit de distinguer :
-Calcaire : Roche sédimentaire contenant surtout du carbonate de calcium (CaCO3) mais aussi du quartz, de la dolomite, des argiles... Les principales formes cristallisées sont la calcite et l'aragonite. La calcite a de nombreuses applications industrielles, en particulier dans la construction (ciment, chaux...). Chaque espèce a une solubilité différente, caractérisée par sa constante Ks de solubilité.
-Équilibre calco-carbonique : Si une réaction chimique est réversible (peut se faire dans les 2 sens), on atteint un état d'équilibre dynamique quand les vitesses dans les 2 sens sont égales; les concentrations des diverses espèces sont alors fixées. L'équilibre calco-carbonique correspond à la réaction du gaz carbonique avec le carbonate de calcium :
CO2 + H2O + CaCO3 ▼ ⇌ Ca++ + 2 HCO3 ¯
Cependant, un équilibre est instable et le moindre changement dans les concentrations entraîne son déplacement, c'est-à-dire favorise la réaction dans un des 2 sens : par exemple, si la teneur en gaz carbonique CO2 augmente, la réaction a lieu vers la droite de façon à éliminer cet excès.
-Acide carbonique : On a longtemps considéré que le gaz carbonique dans l'eau (H2O + CO2) formait une molécule de formule H2CO3, formule qui illustrait bien son caractère acide (et même di-acide); on sait maintenant que, en solution aqueuse, le gaz carbonique reste sous forme moléculaire CO2... ce qui ne change rien à ses propriétés d'acide faible; on parle de CO2 "libre", par opposition aux formes "combinées" que sont les bases conjuguées de cet acide ( l'ion bicarbonate HCO3¯ - ou hydrogénocarbonate - et l'ion carbonate CO3¯ ¯ ).
-Dureté calcique : C'est la teneur d'une eau en calcium, exprimée en mg de Ca/L ou, plus souvent, en mg/L de CaCO3 équivalent (1 mg/L de Ca correspond à 2,5 mg/L de CaCO3). En France et dans d'autres pays francophones, la dureté s'exprime en degrés français (1 degré français correspond à 10 mg/L de CaCO3).
-Alcalinité : elle est due aux substances à caractère basique présentes dans une eau : généralement des bicarbonates (HCO3¯), bases faibles et, plus rarement, des carbonates (CO3¯ ¯ ) ou des alcalis (OH¯), bases fortes qui élèvent le pH au dessus de 8,3; l'alcalinité totale est mesurée par la quantité d'acide qu'il faut pour "neutraliser" ces substances et abaisser le pH à 4,5. En France et dans d'autres pays francophones, l'alcalinité s'exprime en degrés français.
Le caractère de l'eau est donc d'une importance primordiale, particulièrement pour les réseaux de distribution d'eau, appelés réseaux d'aqueduc au Québec. Ainsi l'agressivité des eaux distribuées entraînent de nombreux problèmes qui expliquent en partie le mauvais état de certains réseaux d'aqueduc. A contrario, les eaux incrustantes risquent de diminuer le diamètre utile des conduites et même de les obstruer, entraînant leur remplacement ou leur réhabilitation.
C'est ce qu'on retrouve dans le "Guide de conception des installations de production d'eau potable" du Ministère du Développement Durable, de l'Environnement, de la Faune et des Parcs du Québec.
Dans ce document, on y explique que la corrosion interne des conduites d'aqueduc (formation de tubercules sur les parois des conduites, mise en solution de métaux, amincissement des tuyaux,...) est un phénomène complexe qui cause très souvent une dégradation de la qualité de l'eau distribuée, une diminution des performances hydrauliques ainsi qu'une augmentation des coûts de distribution de l'eau (augmentation du coût de pompage relié à la présence de dépôts, augmentation de la demande en chlore, réclamations des citoyens pour des souillures sur la lessive et pour des dégâts d'eau dans les domiciles exigeant le remplacement du réseau interne de distribution,...).
Dans ce même guide, on mentionne aussi les difficultés avec une eau "incrustrante" caractérisée par sa capacité à précipiter du carbonate de calcium. Le principal impact de ce type d'eau est l'augmentation du coût de pompage due aux dépôts et à la friction hydraulique. Certaines conduites peuvent être complètement obstruées, ce qui peut entraîner soit leur remplacement, soit un curage suivi d'une réhabilitation : application d'un revêtement (ciment ou époxy) sur les parois internes d'une conduite.
[TECHEAUA]
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22/10/24 à 11h20 GMT