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Femmes d'Afrique et environnement (1) - À l'avant-garde du combat écolo au quotidien

   

Article paru dans le journal Le Devoir (Canada-Québec) le mardi 8 août 2006 *.

Déforestation, désertification, explosion des villes et des bidonvilles, pollution de l'eau et de l'air, autant de fléaux qui menacent l'Afrique. Mais les femmes veillent au grain. Elles sont les premières sur le front des luttes visant à assainir l'environnement. Notre collaboratrice Monique Durand a sillonné l'Afrique, à leur rencontre. Elle nous livre ici le premier d'une série de cinq articles.

Elles accouchent de bébés, mais aussi de mil, de patates douces et d'arbres. Elles sont depuis toujours responsables d'assurer la suite des générations et des cultures. Penchées sur les entrailles de la terre et sur leurs propres entrailles vagissantes, enturbannées sur leurs reins, les femmes africaines prennent soin du sol nourricier depuis la nuit des temps.

Si l'avenir environnemental d'une Afrique encore largement rurale repose sur leurs épaules, c'est parce qu'elles y représentent la principale force de travail. Et qu'elles sont à l'avant-plan des combats écologiques au quotidien.

Partout elles se rassemblent en petits comités pour nettoyer un bout de terrain, une plage, organiser le ramassage des ordures ménagères, faire de la récupération, éprouver des techniques nouvelles contre l'érosion. Actions humbles et quotidiennes. Petits gestes faits et refaits, machinaux. «Les femmes sont naturellement sensibles à l'ordre de la terre comme à l'ordre de la maison», m'avait dit Reine-Marie Coly, directrice régionale de l'environnement à Dakar.

«Les femmes sont plus enclines que les hommes à la protection de l'environnement, m'avait dit aussi sa compatriote Julienne Kuiseu. Elles sont sensibles à la santé de leurs champs comme à celles de leurs familles. Quand on améliore le sort des femmes, alors on améliore celui de l'environnement.»

C'est à elles qu'on fait appel pour planter des arbres, initier leurs voisins et voisines à la modération dans l'usage des fertilisants chimiques, mettre les produits dangereux à l'abri des enfants, balayer la poussière de tout un continent livré aux vents du désert.

La dégradation environnementale et la pollution sont en Afrique plus visibles, plus violentes, qu'ailleurs. Portrait-charge peut-être de ce qui existe, à des degrés divers, partout sur le globe.

Une Afrique que la sécheresse est en train de grignoter, sous les coups de boutoir du désert qui avance de milliers de kilomètres carrés par année, brûlant tout sur son passage, transformant les jardins d'antan en sablières et les fleuves d'autrefois en ruisseaux faméliques.

Dans les villes africaines, c'est une pollution bleue qui vous prend à la gorge, fruit souvent de carburants trafiqués, dont une partie se vend dans des vieilles bouteilles de Coke et d'alcool sur les trottoirs. Pollution pétaradante des motos qui déboulent sur les artères, taxis collectifs bondés crachant leurs saletés par les pots d'échappement, trafic intense du lever au coucher du soleil, ajoutant au capharnaüm de toute cette vie qui bat, presque affolante. Sans compter la chaleur suffocante et la poussière omniprésente.

Choc de voir, partout sur le continent africain, ces tas d'immondices accumulés sur les plages, dans les champs, le long des routes, ces déchets qui jonchent le sol, pas un centimètre carré vierge, des détritus partout et jusque dans les arbres. Des arbres recouverts de sacs de plastique que le vent a déposés là, longs pendentifs suspendus aux branches. «Pourquoi les gens lâchent-ils ça dans la nature ?» Je demande un peu partout. Haussements d'épaules. «C'est comme ça.»

Autre choc : ces ruisseaux où coulent un filet d'eau putride que les femmes, encore elles, vont recueillir pour les besoins de la maison. Une large partie de ce coin de la planète n'a pas encore accès à l'eau potable. Scène vue en plein coeur de Kigali, au Rwanda : des femmes, les pieds dans un ruban d'eau saumâtre, un bébé noué sur les reins, puisent le liquide avec des bassines qu'elle porteront ensuite, sur la tête, jusque sur leur colline lointaine. «C'est l'Afrique...» me dira simplement Godeliève, avec une moue plus sage que résignée.

Autre problème environnemental galopant à travers l'Afrique : le développement sauvage à l'intérieur et aux abords des villes, où explosent population, pollution et misère. À la grandeur du continent, les ruraux descendent en ville, dans l'espoir d'améliorer leur sort, formant de nouveaux pans de bidonvilles, addenda que les pouvoirs publics, souvent sans moyens, laissent enfler à vue d'oeil.

Alors les femmes africaines se battent, nombreuses, pour remettre la terre à l'endroit. Malgré le gigantisme de la tâche. Pour faire un peu d'ordre et de propreté, chez elles et autour de chez elles. Chacune nettoyant, lessivant, balayant son petit pan de pays. Elles s'activent pour empêcher la terre de s'épuiser, les eaux de se tarir, les enfants de perdre leurs jeux et leur vie dans la misère et la poussière .

On est parfois découragé pour elles. Mais on se dit qu'on n'a pas le droit de l'être davantage qu'elles. Après tout, il n'y a pas si longtemps que, chez nous, on n'éjecte plus nos papiers gras par la fenêtre de la voiture (quoique...), qu'on ne laisse plus les cadavres de bouteilles de bière dans le décor (quoique...) ou qu'on ne va plus «porter les vidanges au fleuve». Peut-être vous souviendrez-vous de cette époque, qui remonte à pas si longtemps, où le plaisir des riverains à Saint-Sulpice, Sorel, Pointe-du-Lac, Verchères et ailleurs consistait à aller lancer leurs déchets domestiques en yacht au large du Saint-Laurent ?

Les militantes, elles, s'attellent à plus vaste que la maisonnée : à leur quartier, leur ville ou village, leur pays, leur continent. C'est Césarie, au Rwanda, qui préside un syndicat de paysans et combat l'érosion. C'est Hortensia, au Bénin, qui collecte un peu d'argent, chaque mois, auprès des locataires de son immeuble pour le nettoyage des latrines communes. C'est Tiné, au Sénégal, qui s'est lancée dans la culture biologique. Ou encore Liliane, au Kenya, qui s'en va haranguer les paysans, le samedi, pour les convaincre de planter des arbres.

C'est ainsi que s'installe, tout doucement, une conscience régionale et continentale de l'environnement à travers toute l'Afrique. Cette conscience fournit bien sûr une nouvelle palette d'interventions environnementales possibles, mais d'abord et avant tout le sentiment qu'on n'est plus seul, au fond de son pays à soi, à vouloir lutter. «Je ne vois plus les choses de la même façon», me dira Immaculée Ingabire, la Rwandaise, très active au sein d'une association qui s'occupe de bonne gouvernance dans 11 pays d'Afrique de l'Est. «Je ne résonne plus seulement pour le Rwanda, maintenant je pense régional, continental, global. Et ça m'aide à vivre.»

«L'Afrique n'a plus le choix»

L'Afrique se préoccupe d'environnement, comme on le fait partout ailleurs dans le monde. Au fond, elle fait tout ce que le reste de la planète fait, mais avec moins de moyens, et des écueils plus redoutables devant elle. Elle aussi commence à penser bio, écolo, équitable. Et envisage des actions d'envergure pour assainir la terre, l'air et l'eau, y compris des lois et règlements pour contraindre, interdire, sanctionner. «L'Afrique n'a plus le choix», répète-t-on partout.

Le Rwanda, par exemple, est un des premiers pays africains à interdire la coupe des arbres sous peine d'amende. Un des premiers pays aussi à proscrire les sacs de plastique non biodégradables.

Sur tout le continent fleurissent les départements d'études environnementales, formant la conscience écologique d'une nouvelle génération d'Africains et d'Africaines galvanisée par leur héroïne : Wangari Maathai, écologiste kényane lauréate du prix Nobel de la paix en 2004. Tandis que les écoles de journalisme préparent aussi des êtres attentifs à la santé de la terre, de l'air et de la mer. Eugénie Aw, directrice de l'école de journalisme de l'Université de Dakar au Sénégal, qui a vécu 14 ans au Québec, fait plancher ses étudiants sur l'effroyable pollution de la baie de Hann, à Dakar même. Où les femmes vendent, sur l'immense dépotoir pétrifié qu'est devenue la plage, du poisson frais...

«C'est le cycle de la pauvreté, avec à sa base le manque de connaissances, qui engendre la dégradation de l'environnement», avance Eugénie Aw. «Attention !» fait sa compatriote, Reine-Marie Coly. «On ne peut pas tout mettre sur le compte de la pauvreté ! Il ne faut pas fuir devant l'énormité des problèmes environnementaux, il faut agir ! Et éduquer !»

L'Afrique lutte pour préserver l'environnement à la mesure de ses moyens. Mais avec un enjeu en plus, et un enjeu colossal : la survie au quotidien. Ce qui suppose des choix à faire plus dramatiques qu'ailleurs, qui s'apparentent parfois au choix de Sophie.

L'Afrique doit-elle consacrer ses ressources à sauver la nature ou à sauver les humains ? Doit-elle penser aux ventres qui crient famine maintenant ou à ceux, encore plus nombreux, qui crieront famine demain ? Car famine il y a. Au nord du Kenya. Au sud et à l'ouest du Rwanda. En Somalie, en Éthiopie, en Érythrée.

Et encore, l'Afrique doit-elle utiliser ou pas des fertilisants chimiques, devant l'épuisement généralisé des sols et les besoins accrus en nourriture ? Doit-elle consentir ou pas aux OGM, pour augmenter la production ? Toute la filière du coton, notamment, l'une des principales ressources du continent, jongle avec cette question.

Et qu'est-ce que Justa doit choisir : préserver un arbre parce qu'il empêche l'érosion des berges et l'avancée du désert ou l'abattre pour les besoins de la cuisine et de la famille, elle qui, ce jour-là, a déjà marché cinq kilomètres pour trouver du bois ?

«Entre survie et environnement, m'avait dit la Rwandaise Godeliève Mukasarasi en faisant une longue pause... «je crois qu'il faut choisir de travailler pour nos enfants et petits-enfants. Pour les Africains de demain. Parce que pour nous, de toute façon c'est trop tard.»

«Je dis souvent à ma fille, raconte sa compatriote Immaculée Ingabire, ta vie sera ce que tu en feras. Et l'Afrique deviendra ce que vous en ferez, vous les jeunes. Tu dois avoir des principes et les défendre, même si tu luttes pour ta survie. C'est la différence entre les humains et les animaux sauvages. C'est un minimum. Et peut-être la seule chose qui te restera parfois.»

***

Collaboration spéciale

Monique Durand s'est rendue dans plusieurs pays africains grâce à un programme de l'ACDI destiné aux journalistes, et avec le soutien des organismes Oxfam-Québec, Droits et Démocratie et Développement et Paix.

* L'Institut de l'Énergie et de l'Environnement de la Francophonie (IEPF) remercie Madame Monique Durand et le journal Le Devoir d'avoir bien voulu contribuer à l'animation du portail "Femmes" de Médiaterre en acceptant d'y diffuser 5 articles sur le thème "femmes africaines et environnement" publiés dans Le Devoir du 8 au 13 août 2006 ainsi que 2 articles sur les femmes africaines publiés dans Le Devoir les 9 et 10 août 2005.
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