Le numéro 75 de la lettre NAPA
Edito : La fable du Dodo par Geoffroy MAUVAIS Coordinateur du Papaco
Tout le monde connait le Dodo (Raphus cucullatus). Un gros oiseau balourd qui ne volait pas et vivait sur l’île Maurice, il y a trois-cents ans. Et qui a disparu. Cousin des pigeons, il mesurait près d’un mètre de haut et fut décrit pour la première fois en 1598, par les explorateurs hollandais qui abordèrent l’île. Grisâtre, les ailes atrophiées, de forme un peu cubique, il était tout sauf beau. Et les récits de l’époque racontent qu’il n’était pas très bon à manger. Il était gros et lourd et ne volait plus, ayant perdu cette faculté au fil des âges car il n’avait aucun prédateur à fuir sur le sol.
Pour cette raison, il ne craignait pas l’homme lorsque celui-ci débarqua et en fut une proie facile, presque « stupide ». Le Dodo s’est éteint en moins d’un siècle après sa découverte par l’homme. Victime de la chasse, mais surtout cible des espèces arrivées avec les navigateurs, comme les chiens, les chats, les singes ou les porcs. Puis il fut oublié. Le seul spécimen empaillé et conservé au Musée d’Oxford fut jeté à la poubelle au milieu du XVIIIème siècle car il tombait en poussière. Tant et si bien qu’au début du XIXème siècle, le Dodo n’était plus un fait mais un mythe, un animal inventé pour peupler les contes enfantins, comme le Dahu ou le Yéti. Il devint même plus tard un personnage des aventures d’Alice au pays des Merveilles ( Lewis Carrol ), consacrant définitivement son statut de fiction. Et transformant par la même occasion l’histoire documentée d’une des premières extinctions animales du fait de l’homme en une simple fable.
Seule restait l’expression « dead as a Dodo » (aussi mort qu’un Dodo) pour se souvenir de son triste sort. Et il fallut l’énergie d’archéologues, bien plus tard, pour ramener ses os fossilisés à la surface et nous rappeler que le mythe avait bel et bien été réalité. Cette histoire nous en rappelle d’autres passées ou présentes. La Liste Rouge des espèces menacées de l’UICN en est pleine et encore, il manque toutes celles qui nous sont et nous seront à jamais inconnues (sur les espèces connues aujourd’hui, près de 25% des mammifères, 13% des oiseaux et 40% des amphibiens sont menacés d’extinction). Des dizaines, des centaines d’espèces vont continuer à disparaître, devant nous, tels des Dodos sans défense. Comme hier le Rhinocéros noir d’Afrique de l’Ouest ( Diceros bicornis longipes ), officiellement disparu à jamais en 2011.
Ou encore, petit à petit, des espèces encore présentes mais sur un déclin dramatique comme le lion, si emblématique de l’Afrique et pourtant si maltraité, déjà éliminé de la moitié des pays qu’il habitait jadis. Partout, notre incroyable « résilience » nous permet d’oublier ce que nous avons perdu pour ne voir que ce qui reste, d’oublier sans cesse ce qu’était la norme pour réinventer de nouveaux « seuils de normalité ». Partout cette faculté de s’adapter au toujours moins, de repartir à chaque nouvelle génération avec le sentiment que, finalement, ça ne va pas si mal... c’est bien pour vivre sereinement au quotidien, mais jusqu’où peut-on aller ainsi ? Si une voix, une seule, s’était émue et avait simplement avertit à l’époque que le Dodo s’en allait, peut-être serait-il là encore...
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