Alors que les discussions sur le nouveau programme de développement qui remplacera les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) des Nations Unies, dont la date butoir est dans un peu plus d’un an, étaient au centre de la 69ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) la semaine dernière, l’AWID a examiné la situation des femmes en Côte d’Ivoire, tout en démontrant pourquoi il importe que le nouveau programme de développement soit fondé sur les principes de droits humains, d’égalité et de durabilité.
Par Mégane Ghorbani
Le mois de septembre a été très chargé aux Nations Unies puisque l’échéance des Objectifs du Millénaire pour le Développement approche à grande vitesse. Parallèlement à l’évaluation des résultats et des lacunes pour l’atteinte de ces objectifs, les négociations pour le nouveau programme de développement de l’après 2015 étaient au cœur de la 69èmesession de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU). L’atteinte des objectifs est longue et inégale entre les pays et les régions, c’est pourquoi les défenseur-se-s et les organisations de droits des femmes plaident pour un nouveau programme de développement fondé sur les principes de droits humains, d’égalité et de durabilité. Il est primordial que les Nations Unies et les Etats membres tirent les leçons des OMD et s’attaquent aux nouvelles questions non incluses dans le cadre des OMD – tels que le changement climatique et l’inégalité croissante, dont l’inégalité de-s genre-s, ainsi que le lien entre l’éradication de la pauvreté et le développement durable.
Suite au lancement du rapport sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement les 16 et 17 septembre 2014 par la Commission Economique pour l’Afrique des Nations Unies, l’AWID s’est entretenu avec Rachel Gogoua, Président de l’organisation non-gouvernementale ONEF (Organisation Nationale pour l’Enfant, la Femme et la Famille) afin d’en savoir plus sur les défis actuels pour l’atteinte des OMD en Côte d’Ivoire d’ici 2015.
D’après le dernier rapport sur les OMD, plusieurs cibles, fixées à 2015, ont été atteintes au niveau mondial, dont notamment la réduction de moitié de l’extrême pauvreté, la lutte contre le paludisme et la tuberculose, l’accès à une source d’eau potable pour un plus grand nombre, la poursuite de l’élimination des disparités entre filles et garçons en matière de scolarisation et l’augmentation de la participation politique des femmes. Cependant, de nombreuses disparités régionales existent. En Afrique subsaharienne par exemple, une majorité de personnes dépendait encore de sources d’eau non potables en 2012 et la cible 2015 pour l’indice de parité des sexes n’était atteinte ni dans l’enseignement primaire, ni dans l’enseignement secondaire et encore moins dans l’enseignement supérieur. Au sein même de l’Afrique, certains pays n’atteindront certainement pas les OMD, en témoigne le cas de la Côte d’Ivoire.
« La Côte d’ivoire fait partie des pays qui n’ont pas beaucoup progressé dans l’achèvement des OMD »
D’après Rachel Gogoua, « la Côte d’ivoire fait partie des pays qui n’ont pas beaucoup progressé dans l’achèvement des OMD. Les progrès en matière de mortalité maternelle et infanto-juvénile, d’assainissement et de pauvreté sont les plus faibles. D’après une enquête sur le niveau de vie des ménages de 2008, 48.9% des Ivoirien-ne-s sont en dessous du seuil de pauvreté. Au niveau de l’éducation, il y a une petite progression mais elle reste faible. Actuellement, l’argent est devenu rare. Les gens ne mangent pas à leur faim. La crise de 2010-2011 a en plus enfoncé la situation. Ces crises politico-militaires ont un impact négatif sur la vie des populations et surtout au niveau des femmes et des enfants qui vivent souvent dans des camps, privées de nourriture, tandis que certaines sont violées voire tuées. L’impact négatif sur les femmes est très important. »
En effet, d’après le dernier rapport sur les OMD en Afrique, les taux d’extrême pauvreté et l’indice de la faim ont augmenté en Côte d’Ivoire entre 1990 et 2012. Rachel Gogoua souligne que le changement climatique ainsi que la féminisation de la pauvreté doivent être pris en compte. « Cette situation va aller en se dégradant avec le changement climatique car il ne pleut plus et quand il pleut, ce sont des pluies torrentielles qui font plus de mal que de bien à l’agriculture. Il y a des disparités avec des régions qui sont plus pauvres que d’autres notamment en milieu rural et dans les villes de l’intérieur du pays qui sont les plus démunies. L’enquête sur le niveau de vie de 2008 a clairement montré que les femmes sont les plus pauvres et sont plus touchées et concernées par ces enjeux que les hommes. Elles se privent pour leurs enfants et pour leur famille. Face à cela, nous menons des activités génératrices de revenus au profit des femmes rurales au niveau de l’agriculture et on leur introduit comment s’adapter aux changements climatiques. »
Des disparités persistent dans l’accès à l’éducation, à l’emploi et à l’égalité de revenus. Le taux d’alphabétisation n’atteignait que 67% en 2010 avec notamment un écart considérable entre les hommes et les femmes, puisque des barrières demeurent pour les femmes et les filles. Le rapport salarial femmes/hommes est inférieur à 0.5, ce qui signifie que le salaire des femmes est au moins deux fois moindre que celui des hommes. A ce titre, 85% des femmes en Afrique subsaharienne occupent un emploi précaire. En Côte d’Ivoire, le phénomène est également présent, d’après Rachel Gogoua, « les femmes sont majoritairement dans le secteur informel avec des activités de petits commerces et elles peuvent être l’objet de violences, ce qui accroit leur vulnérabilité. »
La santé maternelle reste un défi, en moyenne seulement 58.6% des Ivoiriennes étaient assistées pendant leur accouchement par un personnel de santé qualifié en 2006 et la différence de nombres d’accouchements assistés est considérable entre le milieu rural et le milieu urbain, allant respectivement de moins de 50% à moins de 90%. A cela, Rachel Gogoua ajoute que « les mutilations génitales féminines (MGF) ont un rapport avec les droits sexuels et reproductifs dans la mesure où lorsqu’une femme n’est pas excisée, elle peut accoucher normalement. Mais lorsqu’on a été excisé, les organes génitaux ne sont plus élastiques, donc pour l’accouchement, il faut un forcing. Si une femme accouche en dehors d’une maternité, il va de soi qu’elle peut en mourir. Si elle n’en meurt pas, elle va être atteinte de prolapsus, c’est-à-dire de la descente des organes génitaux. Dans ce cas, elle ne peut plus avoir de rapports sexuels et son époux la délaissera. C’est une pratique encore courante ici. Alors qu’une loi interdit les MGF en Côte d’Ivoire, le problème qui se pose est celui de l’application. Cela fait vingt ans que nous luttons contre l’excision et contre les violences sexuelles en prenant en charge les victimes.»
La Côte d’Ivoire est classée 129ème (sur 153) en termes de représentation des femmes au Parlement, avec seulement 9.4% de postes occupés par des femmes. Rachel Gogoua souligne « Nous avons constaté qu’il n’y a pas d’évolution notable de la situation des femmes en Côte d’Ivoire, notamment au niveau des instances de prise de décision. Les progrès sont très lents et quand on analyse la situation, on voit qu’au niveau des engagements, même au plus haut niveau, il n’y a aucun problème. Mais quand on quitte les engagements pour passer à la mise en œuvre, on n’avance plus. Les associations de femmes ont donc créé un groupe d’organisations qui œuvre pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les secteurs en Côte d’Ivoire et nous menons des activités de plaidoyer, tout en analysant et suivant les nominations de femmes aux postes de décisions et produisons des publications sur les questions des droits des femmes. C’est en ce sens que le Ministère en charge des droits des femmes nous a rencontré et nous avons mis en place un comité bipartite qui travaille sur la représentation des femmes depuis l’indépendance à ce jour. Nous rédigeons actuellement une note d’orientation stratégique qui sera bientôt finalisée et la troisième phase ciblera l’élaboration de projets de lois, dont un sur l’égalité femmes-hommes et un autre sur la modification du système électoral au regard de cette égalité. »
Le Programme de Développement de l’après-2015
Du 27 au 29 août 2014, Rachel Gogoua a participé à la 65ème conférence annuelle de la section des Organisations Non Gouvernementales (ONG) du Département de l’information des Nations Uniesqui portait sur le programme de développement de l’après-2015.
« Cette rencontre a tourné autour de trois thématiques importantes dont les droits humains, l’environnement et le changement climatique, et la lutte contre la pauvreté. Durant cette réunion, nous nous sommes attardés à faire des propositions et à l’issue, nous avons signé unedéclaration, dont une première partie évoque notre vision et la deuxième les différentes propositions de l’agenda post-2015, qui constitue en réalité un plan d’action pour la société civile dans l’agenda post-2015. En Afrique nous n’étions que deux organisations francophones, l’une au Sénégal et l’autre en Côte d’Ivoire et il n’y avait pas beaucoup de représentant-e-s d’organisations de droits des femmes puisque le problème pour aller à ce type de conférence est lié à la prise en charge des coûts.
Pour l’après-2015, ma première attente serait que les femmes qui sont analphabètes ne le soient plus pour qu’elles puissent s’autonomiser au niveau du langage. Le fait de ne pas savoir lire et écrire est un véritable handicap qui les empêche de se prendre en charge au plan de la santé, de l’éducation et des activités génératrices de revenus. De plus, la mortalité maternelle et infanto-juvénile doit être réduite et enfin, chaque enfant doit avoir une identité juridique car si ce n’est pas le cas, ils sont inexistants aux yeux de l’Etat et n’ont pas de droits. »
Retrouvez prochainement, une analyse de l’AWID sur les résultats de la 69esession de l’AGNU et de la Conférence Mondiale sur les Peuples Autochtones qui se sont tenus entre le 16 septembre et le 1er octobre.
[POST2015G]
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