Interventions humanitaires? point de vue du Sud
Le surgissement de la controverse autour des concepts de « droit » ou de « devoir d’ingérence » date du début des années 1990 et de l’avènement du nouvel ordre mondial unipolaire. Aujourd’hui, les crises dites « humanitaires » et les guerres dites « préventives » ont replacé au cœur des débats internationaux la problématique d’un interventionnisme en quête de légitimation éthique ou juridique. Dans ces conditions actuelles, l’ambiguïté de l’action humanitaire reste totale. Souvent instrumentalisés ou récupérés, ses promoteurs et leurs intentions apparaissent inféodées aux intérêts géostratégiques et aux politiques du « deux poids, deux mesures » des grandes puissances. Sur le terrain dès lors, l’amalgame entre interventions humanitaire et militaire prévaut. Dans d’autres situations, les ressorts et la logique du « complexe humano-urgencier » continuent de poser question. L’organisation de la charité se substitue-t-elle aux programmes de développement ? l’ingérence humanitaire ne trahit-elle pas un aveu d’échec converti en urgence ? Comment s’articulent, dans les pays « assistés », intervenants extérieurs et acteurs locaux ? Et pour quels effets, en termes de durabilité et de reconstruction démocratique et égalitaire ?
Au début du 19e siècle, Hegel décrivait la société civile comme une institution située à mi-chemin entre la famille et les relations politiques de l’Etat. Il admettait ce faisant deux interprétations possibles de la nature de cette institution (institution intermédiaire ou médiatrice). S’appliquer à définir la société civile comme une institution intermédiaire plutôt que médiatrice, ou le contraire, pourrait sembler dérisoire. Pourtant, la question se pose constamment dans les relations quotidiennes entre les sociétés civiles du Sud et les organisations non gouvernementales à vocation humanitaire du Nord. On retrouve cette ambiguïté dans l’attitude que les unes et les autres adoptent à l’égard des défis de la mondialisation. Les ONG du Sud doivent-elles participer de la même manière que celles du Nord à la construction d’une (forme de) mondialisation alternative. Ou convient-t-il plutôt que les sociétés civiles des deux hémisphères agissent ensemble à l’échelle mondiale dans les négociations entre le peuple, les Etats et les marchés ?
L’analyse des rapports entre intervenants humanitaires extérieurs et partenaires locaux dans le contexte du Mozambique passe d’abord par une mise en perspective de l’évolution du concept et de la réalité de la société civile dans ce pays. Domestiquée sur le mode des « associations de propagande » durant la période coloniale et sur celui des « organisations démocratiques de masse » après l’indépendance, elle va être en grande partie « déterminée par l’offre » des ONG du Nord de 1988 à 1998. A partir de 1998 en effet, avec la libéralisation économique et l’adoption de la perspective du multipartisme, les organisations humanitaires du Nord vont débarquer au Mozambique, dans une démarche d’assistance à un pays à la fois en guerre et parmi les plus pauvres du monde. Telles des « messies modernes en quête de nouveaux Lazare », elles vont y susciter l’apparition accélérée de « partenaires locaux » à leur image : des ONG sans représentativité ni idéologie propre, dépendantes « des multinationales de la charité » et dont les retombées seront très inégales, en marge d’innovations institutionnelles et de reconstruction des concepts s’est ouverte, sur des bases plus autonomes, plurielles et participatives, comme l’un des fondements d’une mondialisation alternative. (cf. José Negrao)
L’analyse des catastrophes et des interventions humanitaires au Tchad, des années 1980 à la crise du Darfour, illustre à satiété les manquements des tendances dominantes actuelles. Comme si la mondialisation du modèle de développement hégémonique – basé sur le libre marché – s’opposait à la création de conditions nationales susceptibles de doter les Etats et les intervenants locaux d’outils de prévention, d’anticipation et de la gestion des crises. (Ali Zakaria Moussa).
L’Afrique connaît aujourd’hui des guerres et des conflits aux conséquences humanitaires catastrophiques. Leurs origines et les obstacles à leur résolution renvoient à de multiples facteurs, parmi lesquels jouent un rôle non négligeable l’affaiblissement des Etats, le redéploiement stratégique du « banditisme international » par le biais des trafics de drogues, d’armes, de matières premières, la disparition des mécanismes traditionnels de régulation, etc. La faiblesse majeure des intervenants humanitaires en Afrique, toujours captifs de l’idéal missionnaire, réside dans la disqualification qu’ils opèrent des acteurs et des capacités endogènes : instrumentalisation, marginalisation, ignorance… (Hassan Ba)
Ce numéro de la revue Alternative Sud est une contribution majeure à la connaissance des principes, concepts et réalités relatifs aux interventions humanitaires.
Amady Aly Dieng
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