Suite à l’annonce récente d’ONG locales au sujet de meurtres de plus de 700 femmes accusées de sorcellerie en un an en Tanzanie, l’AWID s’est entretenue avec Yvette Valérie Banlog, Présidente fondatrice de l’ONG Femme Action et Développement En zone CEMAC(FADEC) afin de revenir sur les violences perpétrées à l’égard des femmes accusées de sorcellerie et l’absence de réponses efficaces et appropriées.
Par Mégane Ghorbani
La croyance en la sorcellerie est largement répandue en Afrique Subsaharienne. Selon un sondage Gallup, 55% de la population en moyenne croit en la sorcellerie, ce taux variant de 15% en Ouganda à 95% en Côte d’Ivoire, alors que le Ghana (77%), la République Démocratique du Congo (76%) et la Tanzanie (64%) font partie des dix pays où les croyances en la sorcellerie sont les plus fortes. Cette croyance, généralement associée à la « magie » ou au « charlatanisme », fait partie du quotidien des populations, aussi bien au niveau social que juridique puisque la « sorcellerie » est officiellement reconnue et sanctionnée en tant que crime dans ces pays. Cependant, généralement justifiée par le « malheur » au niveau communautaire ou familial, l’accusation de sorcellerie véhicule et engendre des violences basées sur le genre qui justifient l’exclusion sociale voire le meurtre.
Une violence intersectionnelle tolérée par l’Etat
Les femmes constituent la majorité des personnes qui font l’objet d’accusations de sorcellerie et sont victimes des pratiques néfastes qui en résultent, bien que d’autres groupes, dont les albinos[1], les enfants et parfois les hommes, en soient également victimes. Dans son analyse sur l’exclusion sociale pour allégation de sorcellerie au Burkina Faso, la professeure Denise Sidonie Nebie/Zoma explique que « Rarement des hommes sont accusés de sorcellerie, d’être des mangeurs d’âmes et exclus de leur communauté après avoir subi des violences. Les hommes suspectés sont plutôt craints et la population s’en méfie. »
Yvette Valérie Banlog explique à l’AWID que les femmes accusées de « pratique de charlatanisme et de sorcellerie » en République centrafricaine (RCA) sont généralement des personnes du troisième âge. Quatre-vingt pour cent d’entre elles sont veuves et n’ont pas d’enfants, ces derniers étant morts ou installés loin de la communauté. La majorité (90%) des accusations s’effectue dans les villages et de façon moindre dans les zones urbaines. L’objet de ces accusations porte principalement sur des facteurs subjectifs de perception de l’image de la femme et des superstitions qui y seraient associées. D’après Yvette Valérie Banlog, ce sont notamment des femmes avec une « mine pas très affable », liée par exemple à la faim, aux maladies, aux soucis, à une malformation ou encore à un handicap, qui seraient les principales cibles de ces accusations. « Ces femmes sont indexées sur la base d’éléments sans aucun fondement juridique ». Les personnes vivant seules font également l’objet de ce type d’accusations par les autres membres de la communauté, notamment dans les milieux pauvres, et « une personne ayant perdu tous les membres de sa famille est accusée d’office de les avoir mangés.»
La famille de la victime est parfois à l’origine de ces imputations et l’on observe notamment une tendance croissante envers les jeunes femmes lors du décès de leur époux, la belle-famille récupérant ainsi les biens du défunt. Denise Sidonie Nebie/Zoma explique que ces femmes moins âgées sont accusées de sorcellerie car elles sortent de la norme sociale qui leur est imposée. « Dans cette catégorie d’accusée de sorcellerie, il y a les femmes insoumises, économiquement indépendantes, qui veulent jouir de leur droit de parole, de choisir leur époux, de planifier leur grossesse, d’exercer une activité, d’aller et de venir sans autorisation préalable, etc. En somme les femmes exclues sociales pour allégation de sorcellerie sont généralement des femmes sans soutien, qui constituent une charge pour la famille, ou des femmes qui refusent de se conformer à leur rôle et statut préalablement définis par la société.»
Les accusations de sorcellerie sont généralement confirmées par une personne qui prétend consulter « les esprits ». Femme au Fone, une organisation de soutien aux femmes victimes de violences en République Démocratique du Congo (RDC), rapporte avoir reçu plusieurs messages révélant cette pratique de « test de sorcellerie » vis-à-vis des femmes suspectées de sorcellerie dans la province du Sud-Kivu à l’est de la RDC. Yvette Valérie Banlog a observé le même procédé en RCA où « les violences surviennent généralement après un drame familial – le décès d’un membre de la famille ou d’une personne dans le voisinage. En cas de décès, on a très souvent recours à un « ganga », un oracle qui consulte les esprits et c’est lui qui donne le verdict des esprits. Sa parole est d’évangile. Généralement, celui-ci est consulté même pour faire les déclarations devant les tribunaux, où l’affaire est souvent portée puisque le Code pénal centrafricain condamne « les pratiques de charlatanisme et de sorcellerie » et prévoit une incarcération à cet effet. Dans les prisons centrafricaines où j’ai eu à travailler avant la crise de 2013[2], 70% des détenues étaient des personnes de plus de 60 ans et essentiellement accusées de pratiques de charlatanisme et de sorcellerie. »
Paradoxalement, ces femmes se sentent plus en sécurité dans les prisons car lorsque les accusations ne sont pas portées devant la loi, elles sont victimes de « la justice populaire », c’est-à-dire de violences perpétrées par la communauté qui varient de l’exclusion du village à l’assassinat par lapidation, l’immolation par le feu, les coups de machettes en passant par les humiliations publiques et la séquestration. Femme au Fone fait part notamment de cette violence à travers le témoignage d’une trentenaire en RDC : «C'était un samedi soir, mes beaux-frères et belles sœurs sont venus avec le cadavre d'une de leur sœur qui était malade et qui venait de mourir. Ils m'ont dit : 'toi, la sorcière, tu vas nous le payer, tu vas ressusciter notre sœur que tu as ensorcelée ou bien tu vas manger son cadavre cru.’ Deux d'entre eux se sont jetés sur moi et ont commencé à me battre. Mon mari n'a même pas répliqué, au contraire, il m'a giflée et je me suis retrouvée par terre avec mon bébé attaché au dos. Ils m'ont enfermé dans la cuisine avec le cadavre de ma belle-sœur toute la nuit. C'était tellement horrible... C'est le lendemain qu'ils m'ont sortie de là avec toutes les injures que vous pouvez vous y imaginer. » Yvette Valérie Banlog ajoute que celles qui ne sont pas lapidées, battues à mort ou encore brûlées vives sur la place publique sont chassées du village et contraintes à l’exil dans les grandes villes. En général, la police est complice car elle n’intervient pas pour prévenir cette violence.
Une vulnérabilité renforcée par des réponses inappropriées
Lorsqu’elles survivent, ces femmes, parfois des filles, sont contraintes à l’exil dans des conditions de pauvreté absolue. Certaines, dans le Nord du Ghana par exemple, s’installent dans des camps, où elles sont censées être « exorcisées ». Pour pouvoir vivre dans ces camps, sans eau ni électricité, elles doivent alors effectuer des travaux dans les champs, ce qui traduit alors l’exploitation d’une main d’œuvre gratuite de la part des gérants de ces camps. D’après un rapport de l’organisation ActionAid sur les conditions de vie à l’intérieur de ces camps, les services publics y sont quasi-inexistants et les besoins en matière de santé de base et d’éducation restent insatisfaits. De plus, ces femmes, n’ont aucun pouvoir de décision et un accès à la justice très faible, voire inexistant. Leur vulnérabilité est exacerbée par un manque de soutien familial conduisant ces femmes à perdre l’estime de soi et à vivre leur traumatisme de manière isolée.
Au Burkina Faso, le Ministère de l’Action sociale et de la solidarité nationale a adopté un plan d’action qui s’étend sur la période 2012-2016 suite à la mobilisation des organisations de la société civile pour mettre fin à l’exclusion des femmes accusées de sorcellerie. Ce plan prévoit une prise en charge financière, juridique et psychologique des victimes d’exclusion. Dans le même sens, le Fonds Commun Genre, initié par des partenaires techniques et financiers du Cadre de Concertation Genre au Burkina Faso, a apporté près de 170 millions de francs CFA au projet de la Commission Justice et Paix qui lutte contre l’exclusion de ces femmes. Ce projet comprend la sensibilisation des populations et des leaders communautaires, la prise en charge des femmes dans des centres d’accueil, leur réinsertion familiale et le renforcement du dispositif de prévention de violences. En RCA, les ONG et les confréries religieuses, principalement issues de l’Eglise catholique, accueillent également quelques-unes de ces femmes.
Cependant, aucune action ne semble s’adresser à l’origine du problème qui est celui d’une vulnérabilité et d’une exclusion des femmes qui défient les normes sociales, d’où une poursuite de la persécution. D’après l’étude menée par ActionAid, 40% des femmes réinsérées sont finalement retournées dans les « camps de sorcières » du Nord du Ghana l’année suivante car elles ont à nouveau été victimes d’accusations.
Dans des pays où la pauvreté est multidimensionnelle, avec notamment plus de 40% de la population qui se trouve dans une situation d’extrême pauvreté[3], ces accusations sont majoritairement motivées par des raisons financières selon certaines ONG, afin de s’emparer des biens de la personne accusée. De plus et puisque l’accès à l’éducation reste limité dans certaines régions, avec un taux de scolarisation dans l’enseignement primaire de 78% en Afrique Subsaharienne, « les croyances ont la peau dure » nous dit Yvette Valérie Banlog. L’actrice congolaise Rachel Mwanza, accusée par sa famille de sorcellerie durant son enfance, rappelait dès lors dans un discours en octobre 2014 l’importance de l’accès à l’éducation dans la lutte contre ces croyances.
[1] Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad Al Hussein, a fermement condamné la dernière attaque contre des personnes albinos en Tanzanie. Voir la déclaration ici : http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=34298#.VOrYf_mG9UU
[2] Une guerre civile intercommunautaire a éclaté en RCA au cours de l’année 2013, le pays étant depuis en état de crise sécuritaire et politique.
[3] Excepté pour le Ghana qui affiche un taux de pauvreté de 24.2%.
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