L’Afrique ne manque pas de richesses. Cependant, une exploitation à la fois anarchique, non valorisante de ses ressources – certaines durables, comme le solaire, d’autres non renouvelables comme les énergies fossiles et les ressources halieutiques – a conduit à un gaspillage de ce potentiel. Dans un contexte de crises multiples aussi bien alimentaire, qu’économique, financière et climatique et avec la baisse marquée du prix des matières premières – les hydrocarbures en tête – l’économie verte est perçue par certains comme une réponse. Certains pays et acteurs ont d’ores et déjà su comprendre les enjeux d’une croissance durable pour le continent les plus affecté par le réchauffement climatique – tout en étant le moins responsable de ce phénomène – et ouvrent la voie pour une croissance durable, inclusive et à terme, l’émergence.
Continent en danger
Les pays Africains sont parmi les moins responsables du dérèglement climatique mais aussi les plus affectés par celui-ci. A titre d’exemple, 82 % de la calotte glaciaire du Mont Kibo sur le Kilimandjaro en Tanzanie a aujourd’hui disparu par rapport à la première étude approfondie de ce glacier en 1912. De façon générale, la fonte des glaces provoque une augmentation du niveau des eaux, qui menace les populations balnéaires, comme à Banjul en Gambie, où des quartiers entiers risquent d’être submergés.
Plus grave encore, ces changements entrainent également un phénomène de désertification. Le Lac Tchad a ainsi perdu en 40 ans 80 % de sa superficie. Selon le PNUE, 95 % de la culture africaine est pluviale. Pour la Banque mondiale, la quantité totale d’eaux « bleues et vertes » (issues des précipitations et des rivières) diminuera très probablement de plus de 10 % dans toute l’Afrique d’ici à 2020. Les violentes sécheresses et les inondations répétées ont des conséquences graves sur la sécurité alimentaire et hydrique du continent.
Si ces tendances climatiques se poursuivent, la production de blé pourrait enregistrer une baisse de 10 à 20 % d’ici à 2030, comparé aux rendements des années 1998-2002. À l’heure actuelle, quelques 240 millions d’Africains souffrent déjà de la faim. D’ici 2050, il suffira d’une augmentation de 1,2 à 1,9 degré Celsius environ pour accroître de 50% le nombre d’Africains sous- avec des conséquences particulièrement sévères en Afrique de l’Ouest, où cette augmentation est estimée à 95%.
La croissance verte, une solution deux en un ?
Aussi, face à ces répercussions tragiques, la transition mondiale vers des émissions responsables s’impose comme une évidence morale et une nécessité de survie. Mais plus qu’une simple nécessité, il s’agit également d’une opportunité économique porteuse de croissance. En Europe, par exemple, l’économie « verte » a été un créateur d’emploi majeur, et a porté la relance économique. La Commission européenne, déjà activement engagée dans le développement de l’économie durable, fait état dans son dernier rapport de quatre millions de « green jobs » créés entre 2002 et 2011, dont environ un million généré entre 2007 et 2011. D’ici à 2020, des pays comme la Grèce ou la Hongrie estiment qu’elle sera créatrice de centaines de milliers d’emplois, alors que l’Espagne table sur un million.
Ces perspectives ont attiré l’attention de plusieurs dirigeants en Afrique, où la population augmente considérablement et où le chômage structurel est important. Ainsi, au cours des années, nombre d’initiatives nationales, régionales et continentales ont été mises en place afin d’orienter la croissance africaine vers le « vert » et de profiter de son potentiel de développement. Pas plus tard que mardi 1er mars, la Commission Economique pour l’Afrique (Bureau pour l’Afrique du Nord) a lancé les travaux du 31ème Comité Intergouvernemental d’Experts (CIE) à Rabat, sous le thème :« L’économie verte, une voie pour l’accélération industrielle en Afrique du Nord. »
Associer les bienfaits du secteur vert aux écosystèmes économiques traditionnels
Aujourd’hui, le continent africain connait une croissance sans précédent, et se développe à grande vitesse. Un « boum » qu’ont connu les pays d’Asie du sud est dans les années 90, et les pays occidentaux dans lors de la révolution industrielle. Mais cette croissance ne doit pas se faire – à l’instar des précédents – au dépend d’un environnement déjà largement entaché par l’activité humaine du dernier siècle. L’enjeu pour l’Afrique est aujourd’hui de trouver le moyen de concilier la nécessité de croissance et de transformations structurelles qu’imposent la lutte contre la pauvreté et la prise en charge de sa population grandissante, avec le besoin de préserver l’environnement.
Cela devrait passer par la promotion des emplois verts, la gestion efficiente des ressources naturelles, un système énergétique durable accompagné d’une transformation sociétale forte pour saisir les opportunités de la croissance actuelle du continent. Cela permettrait de sauvegarder les écosystèmes économiques traditionnels (comme l’agriculture) en y associant les bienfaits du secteur vert. Mme Hakima El Haité, ministre marocaine de l’Environnement et envoyée spéciale du climat pour la COP22 a fort justement souligné l’intérêt profond pour le continent de s’orienter au plus tôt vers un développement durable : « Les pays industrialisés se sont installés dans leur industrie, et aujourd’hui, leur adaptation et leur résilience revient beaucoup plus cher que ce que nous coûterait de choisir un modèle de développement plus sobre en carbone. »
Pallier le « jobless growth » : l’exemple du Gabon
Les bienfaits seront d’abord énergétiques. Au Danemark, aujourd’hui 30% de la production électrique est éolienne grâce à une politique volontariste, ce qui réduit considérablement la facture énergétique du pays. Et en la matière, l’Afrique n’a rien à envier à l’Europe, au contraire – surtout avec l’énergie solaire. Cela s’accompagnera de retombées économiques majeures, notamment en matière d’emploi. Les économies de rente, sur lesquelles l’Afrique a basé sa croissance au cours des dernières décennies, sont en effet stériles.
Ce phénomène se nomme la « jobless growth » : un cas de figure où la croissance ne s’accompagne pas de création d’emploi. L’industrie pétrolière, par exemple, emploie peu de nationaux et ses bénéfices ne sont que trop rarement réinvestis sur place. Un problème assez ancré en Afrique donc, dont a parlé Maixent Accrombessi, directeur du cabinet présidentiel gabonais, dans une tribune récemment. Pour lui, « le Gabon doit développer la transformation locale des industries extractives afin de générer plus de valeur ajoutée, et plus d’emplois dans ces secteurs traditionnellement peu inclusifs. Une stratégie nationale d’industrialisation, élaborée dans ce cadre, montre comment la transformation locale va se développer pour ériger le pilier du Gabon industriel ». L’homme milite depuis toujours pour le développement vert au Gabon. Lors du New York Forum Africa 2014, il avait déjà mis en garde contre le risque de jobless growth « qui caractérise les pays dont l’économie se base sur les industries extractives, pays peu créateurs d’emplois, dont l’essentiel de la population vit bien souvent sous le seuil de pauvreté. »
Le Gabon est un très bon exemple. Après une année 2009 difficile, le pays a été contraint de repenser son modèle économique, et ces réflexions ont mené à l’l’élaboration du Plan Stratégique Gabon Emergent. Son impact a été considérable comme le rappelle Maixent Accrombessi, l’un des principaux cerveaux derrière ce projet : « L’économie gabonaise créait en moyenne 3 500 emplois sur la période 2000 à 2009. Entre 2010 et 2015, 12 000 emplois ont été créés en moyenne chaque année ». Une augmentation substantielle dans un pays comptant moins de deux millions d’habitants. « Le PIB national gabonais devra tripler d’ici 2025, et ce sans augmentation de l’empreinte carbone », ajoute-t-il. Et le Gabon n’est pas le seul exemple de réussite de l’économie verte en matière d’emploi. En Afrique du Sud par exemple, un accord sur l’économie verte entre le gouvernement, les syndicats, le secteur privé et les organisations de la société civile pris en Novembre 2011 a permis de créer 300 000 nouveaux emplois verts. Plus globalement, l’engagement de l’Afrique sur la voie de la croissance verte se manifeste par l’augmentation des investissements dans les énergies renouvelables – leur montant a effectué un bond spectaculaire, atteignant 211 milliards de dollars en 2012. Les pays africains enregistrent ainsi parmi les taux d’augmentation les plus élevés de tous les pays en voie de développement. Cette dynamique vers un modèle de développement plus écologique est aussi perceptible au sein de la Banque africaine de développement qui a largement intégré les concepts de développement sobre en carbone et la gestion des risques climatiques dans ses divers travaux.