Principal réservoir de terres cultivables dans le monde, l’Afrique importe pourtant des produits alimentaires pour nourrir sa population et reste toujours confrontée à de graves pénuries dans certaines régions. Le formidable potentiel africain en matière d’agriculture peine à se développer par manque de productivité et d’accès à l’eau pour irriguer les cultures.
« C’est l’Afrique qui devrait nourrir le monde, pas l’inverse », affirme Akinwumi Adesina, directeur de la Banque africaine de développement (BAD) et ancien ministre nigérian de l’agriculture. Un paradoxe qui tient en deux chiffres : alors que le continent possède à lui seul 65 % des terres arables non exploitées dans le monde, il consacre 35 milliards de dollars par an à l’importation d’aliments. Un volume qui pourrait même plus que tripler d’ici à 2025, dans un contexte de très forte croissance démographique, si l’agriculture africaine n’augmente pas sa productivité. « L’Inde, et sa révolution verte des années 1960, est une source d’inspiration », selon le directeur de la BAD. « En trois ans seulement, grâce à une volonté politique, des investissements dans le secteur agricole, la vulgarisation de certaines technologies chez les paysans, l’Inde a connu des progrès spectaculaires, passant de pays importateur à exportateur d’aliments ». Un succès qui a inspiré les progrès réalisés notamment en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali, au Sénégal ou au Bénin.
L’agriculture, levier de développement
« L’Afrique connaît une douce révolution qui donne un réel espoir pour l’éradication de la pauvreté et de la famine. Cette transformation ne s’observe pas dans des secteurs tels que le pétrole et le gaz, les minerais ou le tourisme, mais dans l’agriculture, qui demeure l’épine dorsale de l’économie africaine », estimait de son côté Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies. En dépit de la croissance rapide enregistrée dans le secteur des services, l’agriculture représente encore le tiers du PIB du continent. Et malgré l’urbanisation galopante, l’agriculture utilise encore les deux tiers de la main-d’œuvre africaine. « Il a été démontré que l’agriculture s’avère jusqu’à onze fois plus efficace en matière de réduction de la pauvreté que la croissance dans n’importe quel autre secteur, soulignait encore Kofi Annan. Si nous voulons éradiquer la pauvreté et la famine en Afrique d’ici à 2030, l’agriculture devra être au cœur de la stratégie ».
Durant les trois dernières décennies, l’agriculture africaine a quasiment triplé en valeur. Mais cette croissance résulte principalement de l’expansion des surfaces cultivées au détriment des forêts et de la savane et de l’utilisation d’une main-d’œuvre plus abondante. Les rendements, en revanche, n’ont que peu progressé et restent, pour les céréales, inférieurs de moitié à ceux obtenus en Asie. Hormis en Afrique du Nord et dans une moindre mesure en Afrique de l’Ouest, la production augmente mais la productivité stagne.L’intensification raisonnée (introduction de variétés améliorées, meilleure utilisation des engrais et des produits phytosanitaires, recours à l’irrigation, mécanisation) peine à se diffuser sur le continent.
Malgré les progrès réalisés, l’Afrique ne se développe pas suffisamment pour nourrir sa population. Un quart de la population africaine reste sous-alimentée et subit la résurgence des crises alimentaires, dues notamment aux conflits et aux sécheresses. Autosuffisante en céréales en 1960, l’Afrique est ainsi devenue importatrice nette. Le continent importe notamment des produits en concurrence avec sa propre production : viande, produits laitiers, céréales et huiles. Selon la FAO, l’Afrique est le seul continent où le nombre de personnes sous-alimentées a augmenté au cours des trente dernières années. L’insécurité alimentaire touche principalement le milieu rural mais la faim gagne aussi les populations pauvres de la périphérie des villes. Certains risques climatiques, politiques ou économiques affectent des régions entières. Les sécheresses récurrentes dans le Sahel et la Corne de l’Afrique ont largement contribué à détériorer des situations alimentaires déjà précaires. Ailleurs, ce sont les inondations qui affectent les productions agricoles... Et dans les métropoles des pays côtiers, ce sont les épisodes de hausse de prix alimentaires qui affectent la population.
L’enjeu majeur de l’eau et de l’irrigation
Le grand défi pour l’Afrique est d’intensifier la production agricole de manière durable, dans le respect de l’environnement et des ressources naturelles. Un défi qui se pose en particulier en matière d’irrigation et de ressources en eau.En dehors du bassin du Nil et des agrosystèmes méditerranéens, la faible mobilisation du potentiel hydrique est l’une des illustrations les plus évidentes de la sous-exploitation du potentiel agricole de l’Afrique.Aujourd’hui, seulement 5 % des terres agricoles de l’Afrique subsaharienne sont irriguées. L'irrigation est pourtant l’un des leviers les plus importants pour augmenter la productivité des terres agricoles et réduire la surface moyenne cultivée nécessaire pour nourrir un individu. À titre de comparaison, 40 % des surfaces cultivées sont irriguées en Asie.En l’absence de maîtrise de l’eau, les rendements restent fortement dépendants des conditions climatiques et de la variabilité des précipitations. Des incertitudes qui pèsent sur les stratégies des producteurs et les empêchent d’investir dans le progrès technique. L’intensification durable de l’agriculture africaine passera ainsi par la maîtrise des risques et le recours à l’irrigation pour réduire la sensibilité des rendements aux aléas de la pluviométrie.L’amélioration de la gestion des eaux pluviales peut être une partie de la solution. Au Burkina Faso et au Ghana par exemple, les paysans utilisent de petits réservoirs pour mieux gérer l’alternance des périodes de sécheresse et d’inondations, et ainsi disposer d’eau pour les animaux et les cultures tout au long de l’année.
Pour fournir à l’agriculture africaine suffisamment d’eau pour garantir la sécurité alimentaire, le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad), sous la tutelle de l’Union africaine, préconise d’augmenter l’irrigation tout en évitant le piège de la sur-irrigation. Composante importante de la « révolution verte » asiatique, l’irrigation a permis de doubler les rendements. Mais dans certaines régions, une irrigation excessive a réduit les ressources des nappes phréatiques, et des milliers d’hectares de terres productives ont été perdues à cause de la salinisation et des sols gorgés d’eau, notamment en Inde. Le Nepad privilégie aussi l’investissement dans des technologies d’irrigation simples et peu coûteuses, nécessitant un développement limité d’infrastructures et pouvant bénéficier à un grand nombre de paysans. Différentes études ont montré, notamment au Burkina Faso ou au Mali, que les projets d’irrigation à petite échelle (petits barrages, puits et canaux construits dans les villages) permettent d’augmenter la production agricole et de mieux faire face aux périodes de famine durant l’année. Selon la FAO, les bénéfices vont même au-delà : les femmes acquièrent le temps de cultiver des potagers, les familles peuvent réduire leurs dettes, l’assiduité scolaire est améliorée, la migration saisonnière pour le travail limitée et l’argent gagné permet de payer les soins médicaux. Un véritable cercle vertueux.
Des solutions sur mesure, pragmatiques et robustes
« Ces dernières années, l’amélioration de la productivité agricole a été décevante, alors même que la demande alimentaire croît rapidement. Pour résoudre ce problème, le développement de systèmes d’irrigation s’avérera crucial », note l’Institut international de gestion de l’eau (IWMI) qui travaille en Afrique de l’Ouest sur la sécurité de l’approvisionnement en eau des paysans pauvres des régions rurales et périurbaines. L’Institut plaide « pour des systèmes innovants, robustes, abordables et adaptés à chaque site, contribuant à une utilisation durable de l’eau d’irrigation, à la préservation de la fertilité des sols et à la réduction de la pollution des réserves d’eau douce ».
Il s’agit de privilégier des aménagements d’irrigation à petite échelle, moins exigeants en investissement pour la mise en œuvre et l’entretien et plus rapides à mettre en place que des aménagements de grande ampleur. C’est aussi le constat dressé par Veolia Water Technologies (VWT). Dans le cadre de son projet « Ambitions pour l’Afrique », qui mobilise un millier de collaborateurs dédiés à travers le continent, l’entreprise entend apporter des réponses locales aux problématiques locales, passant par des solutions techniques adaptées aux spécificités africaines : robustes, fiables, mobiles, conçues pour fonctionner « hors réseau », et pouvant être rapidement prises en charge par les populations locales. « Le modèle occidental de la centrale lourde de retraitement raccordée aux réseaux de distribution d’eau n’est pas toujours pertinent en Afrique, simplement parce que les dits réseaux n’existent pas, dans bien des pays, au-delà des agglomérations principales, explique Patrick Couzinet, DG de Veolia Water Technologies Afrique. C’est pour cela que nous avons également développé des solutions de retraitement de l’eau en containers. Ce sont des solutions déployables rapidement partout en Afrique, économes en énergie et permettant un retraitement de l’eau même dans les régions les plus reculées. »
En Afrique, les besoins en eau pour l’industrie et l’agriculture doivent se concilier avec les besoins urbains en eau potable. Entre les régions qui manquent d’eau et celles qui en ont trop, l’Afrique nécessite des solutions sur mesure, pour optimiser l’ensemble des usages possibles, de la production au retraitement. Des solutions adaptées aux spécificités de chaque situation locale : conditions climatiques, ressources en eau, état des infrastructures, besoins de l’agriculture et de l’industrie locales…
Innovations technologiques
Les innovations technologiques apportent également de nouvelles solutions. Grâce au potentiel de l’internet des objets, la Banque mondiale tente ainsi d’introduire des systèmes d’irrigation intelligents, combinant des capteurs automatiques d’humidité des sols et une plateforme cloud pour l’analyse des données. Des dispositifs voués à doper les rendements tout en réduisant la consommation d’eau. Au Kenya, la Banque mondiale exploite également des données massives obtenues par des technologies de télédétection et des systèmes d’information géographique pour développer l’analyse d’observations agrométéorologiques et assurer un suivi précis des conditions climatiques, afin de permettre aux petits agriculteurs d’optimiser leur production.
Dans un autre domaine, alors que l’Afrique souffre également d’un manque de mécanisation, la société Hello Tractor permet aux agriculteurs nigérians et kényans de louer des tracteurs à faible coût en passant par leur téléphone portable. Autant d’initiatives qui peuvent contribuer à relever le défi de l’intensification durable de l’agriculture africaine.