"Utiliser du papier favorise la déforestation", "Les panneaux solaires ne sont pas efficaces dans les régions du nord de la France", "Les produits bio sont forcément écologiques"... Voici quelques-uns des a priori les plus usités dans la vie quotidienne de ceux qui pourtant cherchent à réduire en toute bonne foi leur empreinte écologique. Preuve qu'en matière d'écologie, l'information passe encore mal et que nous accusons globalement un déficit de sensibilisation aux questions environnementales.
Papier égal déforestation ?
D'où vient-elle, cette idée que l'utilisation du papier est le principal facteur de destruction de nos forêts ? Car c'est omettre la question de l'élevage extensif qui, de paire avec la production de soja comme aliment du bétail, constitue la première cause de déforestation. Greenpeace affirme en effet que l'élevage bovin est responsable à 80% de la destruction de la forêt amazonienne. Ce n'est donc pas notre consommation de papier qui risque de faire disparaître nos forêts, d'autant plus que seuls 40% des fibres présentes dans le papier sont des fibres neuves issues de sciures, ou de jeunes arbres qu'il faudra de toutes façons couper pour laisser pousser leurs cadets. Les 60% restants sont, quant à eux, issus du recyclage. L'encadrement du prélèvement d'arbres pour les besoins de l'industrie papetière est par ailleurs assez strict, et c'est peut-être ce qui explique que chaque année, en France, la superficie forestière s'accroît de 50 000 hectares. En revanche, là où des efforts restent à fournir, c'est dans la consommation d'eau associée à la fabrication du papier. Selon le CNRS, il faut encore 60 à 100 litres d'eau pour fabriquer 1 kilo de papier classique mais, heureusement, 20 fois moins pour fabriquer l'équivalent en papier recyclé.
Peut-on mesurer précisément l'empreinte carbone ?
Selon le WWF " L'empreinte écologique est une mesure de la pression qu'exerce l'homme sur la nature. C'est un outil qui évalue la surface productive nécessaire à une population pour répondre à sa consommation de ressources et à ses besoins d'absorption de déchets. " Si les outils de mesure existent nous ne savons pas encore très bien comment estimer l'ampleur de l'empreinte carbone d'un produit, et encore moins celle d'un service. Récemment, le groupe Accor a publié les résultats d'une étude sur son empreinte environnementale, réalisée avec le cabinet PwC. Bien qu'ayant utilisé une méthodologie éprouvée et reconnue - celle de l'analyse du cycle de vie (ACV) -, le groupe a mis en exergue les difficultés rencontrées du fait du caractère international de son activité et celles liées à la définition du périmètre de cette activité (construction et rénovation des bâtiments d'hébergement touristique, mobilier des chambres d'hôtels, équipements des bureaux, consommation globale d'eau et d'énergie, climatisation, restauration...). Par exemple, dans cette étude, n'ont pas été prises en compte les données liées aux déplacements des clients, trop compliquées à recueillir mais dont l'évaluation serait pourtant judicieuse.
Les idées reçues en matière d'écologie restent nombreuses et très ancrées. Ainsi pour compenser l'émission de C02 due à la fabrication d'un ordinateur de bureau - fabrication des composants, transport, assemblage des composants -, et selon une étude de l'institut de recherche de Bifa d'Ausbourg et Fujitsu publiée en 2011, il faudrait utiliser cet ordinateur pendant 48 ans à raison de 260 jours par an en y incluant les extinctions, les mises en veille, etc. D'autant plus que cette étude ne prenait pas en compte l'écran!
Autre bilan carbone intéressant, celui réalisé par la Fédération française de motocyclisme qui s'inquiétait des effets polluants de la pratique de ce sport. Résultat publié dans Moto magazine: " l'impact carbone des motos de compétition est insignifiant (moins de 3% de l'empreinte totale des activités de la FFM), il représente l'équivalent du kilométrage annuel de six semi-remorques de transport " soit au total 35 000 tonnes de CO2, mais générés aussi par les déplacements des nombreux spectateurs amateurs de cette discipline (plus de 100 000 spectateurs par exemple pour suivre l'enduro du Touquet).
Un cas emblématique
Pour revenir au papier, nombreux sont ceux qui s'interrogent aujourd'hui sur le bilan écologique du livre papier comparativement à celui du livre numérique, supposé propre car dématérialisé. Tandis que les fabricants de liseuses de ebooks brandissent l'argument de la lecture "quasiment" 100% écologique, la situation est en fait beaucoup plus complexe... Le livre papier suscite déjà la controverse, puisqu'au moins deux experts en la matière, dont Cleantech, avancent des chiffres différents. Ainsi, un livre papier pourrait produire de 1 à 7,5 kg d'équivalent carbone. Du côté de la lecture dématérialisée, une tablette émettrait 130 kg et une liseuse 168 kg d'équivalent carbone, ce qui placerait le seuil de "rentabilité carbone" à la lecture d'environ 20 livres numérisés. Le calcul est pour le moins hasardeux. Si, par ailleurs, on tient compte du fait que l'industrie papetière utilise principalement des "sous-produits" de la forêt (chutes de scierie, branches, cimes), on peut légitimement s'interroger sur l'impact environnemental d'une liseuse au regard des composés chimiques, de la batterie et des matières plastiques qui la composent. Un dernier point sur cette analyse, décidément complexe à mener, consiste à comparer la durée de vie des deux types de livres. Là encore, les avis sont partagés. Le livre papier est a priori immortel car recyclable, tandis que le recyclage de la liseuse est encore susceptible de polluer.
Des alternatives astucieuses?
Devant une telle complexité, plusieurs éditeurs ont décidé de porter leurs efforts sur l'évaluation de l'empreinte carbone sur l'ensemble de la chaîne du livre. Par le passé, des initiatives avaient conduit certains à n'évaluer que l'empreinte du livre numérique, mais c'était sans compter tout le contexte de production, de distribution et de lecture. Le n°1 de l'édition française, Hachette Livre, a récemment annoncé que désormais, le poids en CO2 de chaque livre serait affiché, en tenant compte de toute la chaîne du livre. Selon le responsable du développement durable chez Hachette Livre, Ronald Blunden, ce bilan carbone sera évalué grâce à " un système de calcul informatisé qui intègre tous les éléments en amont : le papier utilisé, la distance entre le papetier et l'imprimeur, l'impression elle-même, et enfin le transport entre l'imprimeur et le centre de distribution de Hachette ". Toujours chez Hachette, une alternative est également à l'étude, celle de l'impression à la demande qui fonctionne déjà très bien pour les livres dits "à rotation lente". Le principe est qu'une fois la commande de l'ouvrage passée auprès du libraire, la livraison intervient dans les 48 heures. Les machines utilisées par Hachette Livre permettent d'imprimer un ouvrage en une dizaine de minutes et le procédé est bien plus économe que l'impression traditionnelle, notamment au niveau des matières premières. Il n'y a " pas de stock, donc aucune perte de matière ", ajoute le représentant de Hachette Livre qui précise aussi que le pilon " est vertueux, pour le coup, avec 100 % de la matière recyclée ".
Pour autant, comment être sûr qu'un consommateur comprenne bien ce que représente 1,3 kg d'équivalent carbone pour le livre qu'il vient d'acquérir ou 339 kg de CO2 pour un ordinateur ? La mesure de notre empreinte écologique n'est pas encore à la portée de tous, même si nous sommes nombreux à être sensibles au devenir de l'environnement. Une récente étude menée par Harris Interactive montre en tout cas que 6 Français sur 10 font un lien très clair entre crise écologique et crise économique, un taux élevé qui atteste que le développement durable est un objectif bien compris.07/10/24 à 12h30 GMT