Le ministre camerounais des Forêts et de la Faune, Jules Doret Ndongo, a adressé une correspondance au délégué régional du Littoral le 25 juillet 2022 lui demandant de « conduire sur le terrain, sans autre délai, une mission mixte brigade régionale de contrôle/service régional des forêts, afin de recouper les allégations de construction d’une route traversant la forêt d’Ebo et d’exploitation illégale de bois sous le couvert de la construction de cette infrastructure ». La sortie du ministre est consécutive à la lettre transmise le 22 juillet 2022 à des missions diplomatiques au Cameroun par huit organisations non-gouvernementales (CED, Ajesh, Greenpeace Africa, Fern, Rainforest Foundation UK, Foder, milieudefensie et GDA), au sujet de l’arrêt des travaux d’ouverture d’une route et de l’exploitation forestière dans la forêt d’Ebo.
Les missions diplomatiques concernées sont : la délégation de l’Union européenne au Cameroun, les ambassades d’Allemagne, de France et des Etats-Unis et le Haut-commissariat de Grande-Bretagne. Selon l’esprit de cette lettre, les signataires évoquent le fait qu’aucun processus formel de consultation n’a été engagé avec les communautés locales pour déterminer la véritable trajectoire de la route. Par ailleurs, le projet de route est « illégal » en raison de l’absence d’études d’impact environnemental et social. Par ailleurs, l’initiative favorise l’exploitation forestière illégale. D’après le Centre pour l’environnement et le développement (CED), le désenclavement de cette route pourrait n’être qu’un prétexte pour exploiter la forêt autrement, à partir du moment où le processus de classement en UFA n’a pas prospéré. L’association Forêts et Développement rural (Foder) voit davantage en la route un danger pour l’intégrité de cet écosystème forestier.
La sortie des ONG fait suite au lancement des travaux d’aménagement des routes en vue du désenclavement des villages autour de la forêt d’Ebo, engagés le 13 mai dernier par le président exécutif du comité de développement de la forêt, l’honorable Samuel Dieudonné Moth. Selon ce dernier, il était question de mettre en route un projet structurant (la route notamment) pour favoriser le retour des Banen sur leurs terres, après 60 ans d’errance du fait de la guerre du « maquis ». Les travaux sur le terrain sont menés par la Société camerounaise d’industrie et d’exploitation de bois (SCIEB).
La règlementation sur l’ouverture et la réouverture des routes en zone rurale en question
Le 6 mai 2022, c’est-à-dire sept jours avant le lancement de ces travaux, le délégué régional des Forêts et de la Faune du Littoral a adressé une note à l’attention du gouverneur de la région du Littoral portant en objet « Non-respect de la procédure administrative dans le cadre d’un projet d’ouverture de routes rurales ». Selon Georges Amougou Ondoua, l’une des routes à rouvrir traverse une concession forestière (UFA 07-002) actuellement attribuée à un opérateur économique et en cours d’exploitation. « Les activités d’ouverture et de réouverture des routes en zone rurale prévoient, tant dans leur programmation que leur exécution, l’encadrement conformément à la réglementation en vigueur, des coupes des bois situés dans les emprises concernées. Lesdits bois sont en effet identifiés, inventoriés, cubés, marqués, abattus en temps opportun et vendus aux enchères par l’administration chargée des forêts. Les fonds générés sont reversés dans les caisses de l’Etat », avait expliqué le délégué régional. Au finish, M. Amougou Ondoua a souhaité que l’exécution du projet puisse survenir après consultation préalable du ministre des Forêts et de la Faune qui, en cas d’avis favorable, donnerait de hautes directives relatives aux bois et à la traversée de l’UFA.
Le 11 août 2020, le secrétaire général des services du Premier ministre avait signé un communiqué dans lequel il informait que le président de la République avait « ordonné de surseoir à la procédure de classement de la portion de forêt de 65 007 hectares située dans le département du Nkam et constituée en unité forestière d’aménagement dénommée UFA 07-005 ».
Ebo : une biodiversité unique au monde
La biodiversité de la forêt d’Ebo est particulière et unique au monde. Le 6 août 2020, l’acteur américain Léonardo Di Caprio, a tweeté pour la protection de cet écosystème. D’après les scientifiques du jardin botanique britannique de Kew, un arbre tropical a été d’ailleurs baptisé du nom de l’acteur en janvier dernier. En 2018, la population des chimpanzés était estimée à environ 750 individus, parmi lesquels le chimpanzé du Nigeria-Cameroun qui est la moins étudiée des quatre sous-espèces de chimpanzés selon Global Wildlife Conservation. Il s’agit d’ailleurs du seul chimpanzé au monde qui utilise les outils (cailloux et bâtons) pour casser les noix ainsi que les petits bâtons pour extraire les termites, les fourmis ou le miel afin d’en consommer. Le site abrite également 25 gorilles environ, l’unique population dans le monde dont les scientifiques ne connaissent pas encore à quelle espèce de gorille elle appartient.
Les sources officielles parlent aussi de l’existence de 160 espèces d’oiseaux exotiques, notamment le perroquet gris et le picatharte au cou gris, la grenouille Goliath, la plus grande au monde avec 75 centimètres de long. Au niveau de la flore, la canopée forestière d’Ebo est un puits d’environ 35 millions de tonnes de carbone, d’après Greenpeace.
07/10/24 à 12h30 GMT