Le Centre Canadien d'Architecture (CCA) présente depuis le 26 novembre " Actions : comment s'approprier la ville ". Cette exposition s'intègre dans la série d'événements organisés par le CCA pour animer la réflexion sur l'utilisation de l'espace urbain à l'heure des enjeux de la durabilité : Perspectives de vie à Londres et à Tokyo (2008); 1973 : Désolé, plus d'essence (2007); Environnement : manières d'agir pour demain (2006) et ; Sensations urbaines (2005).
L'exposition a été pensée et organisée par Mirko Zardini, directeur du CCA ainsi que par Giovanna Borasi, conservatrice de l'architecture contemporaine au musée. Des visionnaires.
Précédant la Biennale d'art contemporain de Montréal 2009 qui a pour thème " culture libre ", l'exposition porte sur divers projets d'appropriation de l'espace urbain. Le CCA parle " d'actions ". Dans le même esprit que celui de la Biennale mais sur une échelle spatiale se prêtant au mandat du CCA, l'événement nous invite à nous pencher sur l'impact d'une forme d'art qui va au-devant de son public, qui va le chercher dans la rue même et qui le fait participer à l'évolution de l'oeuvre comme telle.
" Actions : comment s'approprier la ville " s'inscrit dans le cadre de ce que le CCA décrit comme l'exploration continue " des questions liées à l'ordre urbain, social et environnemental ". Elle fait réfléchir à la place que l'on occupe sur la place publique et interroge le public : qu'elle place qui nous est laissée ?
De toute évidence, les individus derrière les actions présentées se sont posés la question. Ils répondent en intervenant en milieu urbain. Ils conçoivent diverses oeuvres et performances d'art public. Souvent in situ, les actions sont de nature temporaire, mais marquent l'imaginaire dans la durée. Le CCA participe d'ailleurs à la pérennité de ces initiatives en les répertoriant.
Il y a une concordance parmi la pléthore de réponses apportées. C'est en occupant l'espace urbain que les artistes et architectes contemporains nous obligent à reconsidérer la place que l'on occupe dans la cité. Les projets documentés par le CCA participent à une réflexion sur la nécessité pour les citoyens de s'approprier ou de se réapproprier la ville.
Dans un essai repris dans le catalogue de l'exposition, Mirko Zardini explique : " (l'exposition) ne recueille que quelques-unes des nombreuses actions 'singulières et plurielles' qui se manifestent de plus en plus visiblement et fréquemment dans nos villes. Elles révèlent l'existence d'un monde riche d'imagination et d'inventivité, qui se distingue clairement des modèles de consommation actuellement en vigueur ".
Le CCA présente 97 interventions réalisées dans différentes villes du monde. Le tout est présenté sous forme de dessins d'architecture, photographies, vidéos, publications, artéfacts ou sites Internet. Des films seront aussi présentés en marge de la programmation.
Paradoxalement, si l'espace urbain fut créé pour l'homme lui-même, celui-ci s'en sent dépossédé. Mais dépossédé par quoi, par qui? Voici quelques suggestions : violence urbaine, centres commerciaux inhumains, omniprésence d'une publicité criarde et sans nuances, pollution sonore, automobiles ou encore par les cicatrices urbaines telles que les échangeurs autoroutiers et les gares de triage. La réponse est laissée à chacun. En y répondant, on a déjà des pistes pour comprendre ce que la réappropriation de ces espaces a comme conséquence ultime: l'amélioration de la qualité de vie en ville. Le CCA a organisé l'exposition autour de quatre grandes familles d'actions qui concrétisent " qualité de vie " : marche, jardinage, recyclage, jeu.
La ville constitue un réseau complexe de messages. En changeant la perception que nous avons de la ville, les projets présentés au CCA changent notre perception du monde que l'on habite. Chacun est un catalyseur d'imaginaire. Chacun accélère le brassage d'idées et a ainsi un impact sur l'ensemble du réseau. Chacun confirme le caractère malléable de la ville.
Comme l'écrit Guy Debord dans La Société du Spectacle (1992), " Ce qui change notre manière de voir les rues est plus important que ce qui change notre manière de voir la peinture ". En art, les situationnistes parlent " d'urbanisme libérateur ". Il y a dans ce terme, plus de poésie que dans ceux normalement trouvés dans un plan d'urbanisme municipal. À l'instar des urbanistes ou des architectes, les situationnistes construisent des situations, des actions. Leur objectif est de dépasser l'art en brisant la distance entre art et vie quotidienne. La rue n'est-elle pas le terrain idéal pour mener cette bataille ?
" Sortir un terrain de football d'un pot de peinture " est une action réalisée par l'artiste Maider Lópes. C'est un projet qui colle à l'idée de l'urbanisme libérateur. L'action (difficile de ne pas écrire " oeuvre ") se déroule en 2007 sur une place publique de Sharjah aux Émirats Arabes Unis. L'artiste a tracé sur le sol un immense terrain de football et y a placé des buts. La place est de facture classique avec ses lampadaires ciselés de fer forgé. Elle en est d'autant plus ébranlée. Matériel utilisé : deux buts, pinceau, peinture. Rien de plus selon le cartel apposé à la photo. Est-ce un oubli du CCA ? Le matériel principal ne devrait-il pas être le rassemblement d'individus interagissant avec l'oeuvre ? Sur l'image, une quinzaine de citadins improvisent une partie de football. Ils font indéniablement partie de l'action, de l'oeuvre. Autre omission importante : le canevas ; la ville et son tissu urbain.
L'exposition est accompagnée d'un site Internet. Il comprend des photographies et des ressources vidéo et invite les usagers à participer en affichant leurs propres initiatives ou leurs réflexions sur des actions individuelles qui contribuent à questionner la place du citadin en ville. Patrice LaCroix, copropriétaire de LabFoundation considère l'idée des plus intéressantes. LabFoundation est une entreprise oeuvrant en communication alternative. Pour lui, l'utilisation du Web 2.0 permet à " l'exposition de devenir elle-même acteur de changement (...) Elle ne se cloisonne pas derrière ses murs. Dynamique, l'exposition elle-même s'approprie la ville ". LabFoundation collabore à de nombreux projets d'appropriation de la ville. Leurs véhicules préférés comprennent la vaste palette des " arts de la rue ". Un des projets du groupe pourrait se retrouver sur le site du CCA. Avec le Goethe-Institut, LabFoundation réalise une performance de rue alliant danse contemporaine et Parkour. Le thème choisi : revoir la place de la voiture en ville.
Quand on parle de culture libre, on parle de mouvements marginaux qui se retrouvent au centre de la culture contemporaine par le puissant pouvoir d'évocation de l'action urbaine. Comme l'explique Mirko Zardini : " leurs auteurs proposent des modes de vie autres, réinventent notre quotidien et s'emparent de l'espace urbain pour le destiner à de nouveaux usages. "
L'exposition se poursuit jusqu'au 19 avril 2009.
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