Par : Jean Baril, avocat et vice-président du Centre québécois du droit de l'environnement (www.cqde.org)
Si la Révolution française a consacré le " citoyen ", il faut attendre près de deux siècles avant que ce dernier commence à se voir reconnaître le " droit " d'accéder à l'information détenue par l'État. L'apparition de " l'État providence " et des régimes totalitaires a mis en lumière l'importance des informations détenues par l'État et la nécessité que ces informations relèvent du domaine public. Le droit d'accès à l'information ne peut donc être détaché de la lutte pour les droits fondamentaux et la démocratie.
Le développement des préoccupations environnementales a aussi fortement contribué à renforcer les exigences en matière d'accès à l'information pour les citoyens. Le droit de l'environnement fait une large place à des mécanismes d'information, tant pour l'État que pour ses citoyens. La terre étant notre seul lieu d'habitation et l'humanité devant faire des choix quant au partage et à l'aménagement de ce lieu fragilisé, il ne doit pas être permis que ces choix se fassent sur la base d'informations incomplètes ou inégales. La science reconnaît que l'échange d'information est une condition pour la survie des espèces et un signe de coopération. Le droit doit maintenant mettre en oeuvre ce constat.
La place centrale qu'occupe l'information dans l'élaboration de tout type de mesures environnementales exige une démocratisation marquée de l'accès à l'information environnementale. Pour y arriver, nous devons mettre de l'avant le principe juridique d'égalité d'accès à l'information environnementale. À ce jour, c'est loin d'être le cas. Les pollueurs sont les plus grands détenteurs d'information de nature environnementale et seule une partie de celle-ci, lorsque c'est prévu par la loi, est transmise aux autorités étatiques. L'État peut lui-même être un pollueur important et se retrouver en conflit d'intérêts quant à la divulgation d'informations sur ses " pratiques polluantes " et l'application de ses propres mesures de " contrôle " de cette pollution. Puis, de cette information détenue par l'État, le citoyen ne peut avoir accès qu'à la partie non soumise aux nombreuses exceptions à la divulgation prévues par les lois générales d'accès à l'information ou encore par les restrictions imposées par des lois spécialisées d'ordre environnemental. De fait, nous vivons dans un monde très inégal quant aux possibilités de connaître, comprendre, débattre et contribuer à la solution des diverses problématiques environnementales nous entourant. Et le Québec ne fait pas exception.
Un des premiers textes juridiques édictés en Nouvelle-France, au XVIIe siècle, ordonne aux bouchers de la colonie de jeter dans les rivières toutes les carcasses et les immondices des bêtes abattues. Déjà, l'idée que " ce qu'on ne voit pas et ce qu'on ne sait pas ne font pas mal " est présente.
En 1972, le Québec adopte sa première loi dédiée spécifiquement à la protection de l'environnement, la Loi sur la qualité de l'environnement. À ce moment, le Québec fait partie de l'avant-garde puisque les États-Unis ont été le premier pays à adopter une loi-cadre sur la protection de l'environnement en 1969. Cependant, contrairement aux États-Unis, la loi québécoise n'accorde alors aucun droit d'accès à l'information environnementale aux citoyens et ne contient aucun mécanisme permettant la consultation et la participation de la population.
En 1975, suite à une injonction du juge Malouf paralysant les travaux d'Hydro-Québec à la Baie-James, les Cris et les Inuits obtiennent la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Pour la première fois au Canada, on y reconnaît diverses obligations d'information et de participation pour la population touchée par certains grands projets sur ce territoire. Mais, ces droits ne s'appliquent pas au Québec méridional.
C'est en 1978, au cours du premier mandat du gouvernement dirigé par celui qui avait déclaré " Être informé c'est être libre ", M. René Lévesque, qu'on modifie profondément la Loi sur la qualité de l'environnement de façon à permettre aux citoyens de s'informer et de participer activement à la protection de l'environnement. Au Québec, à l'image de ce qui s'est produit en droit international, ce sont les préoccupations environnementales qui ont justifié les premières mesures reconnaissant aux citoyens un droit d'accès à certaines informations détenues par l'État. Par exemple, la loi permet alors aux citoyens de demander au ministère de l'Environnement certaines informations concernant les contaminants et ce dernier a l'obligation de divulguer ces renseignements sans délai. Il s'agit alors d'une innovation majeure puisqu'aucune loi sur l'accès à l'information n'existe à ce moment, tant au Québec qu'au Canada.
En 1982, le Québec adopte sa Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels qui reconnaît comme principe général le droit à l'information des citoyens. Mais, les nombreuses exceptions au principe de divulgation prévues par la Loi sur l'accès, particulièrement celles portant sur les renseignements pouvant avoir des incidences sur l'économie et celles sur les décisions administratives ou politiques, s'avèrent très négatives pour l'exercice du droit d'accès des citoyens à l'information environnementale. En effet, ces exceptions sont régulièrement invoquées avec succès pour restreindre la portée des dispositions théoriquement plus généreuses de la Loi sur la qualité de l'environnement. Par exemple, un renseignement remis par un tiers au ministère de l'Environnement pour obtenir un certificat d'autorisation ne pourra être divulgué à un citoyen qui en ferait la demande, à moins que le tiers ne donne son autorisation. C'est ainsi que les gazières ont refusé que le ministère rende publique la liste des produits chimiques spécifiquement utilisés pour chacun des forages ayant été autorisés à ce jour. C'est ainsi que nous ne pouvons savoir ce que l'État québécois a obtenu lorsqu'une de ses sociétés d'État, Hydro-Québec, a cédé à la compagnie Petrolia le droit d'exploiter, sur l'île d'Anticosti, une ressource naturelle non renouvelable appartenant à l'ensemble de la population québécoise.
Je viens de conclure une thèse de doctorat en droit démontrant qu'il existe toujours, au Québec, un profond déséquilibre entre l'information environnementale détenue par l'État, les pollueurs et les citoyens. Ces derniers ne bénéficient pas d'un égal droit d'accès aux informations d'ordre environnemental. Si on veut parvenir à un développement qui soit durable, il faut repenser l'architecture juridique entourant le droit d'accès à l'information environnementale.
Pour connaître le pays que nous avons, pour penser le pays que nous voulons, pour construire le pays que nous aurons, il faut revendiquer et obtenir l'égalité d'accès à l'information de nature environnementale. Il faut révéler tout ce qui touche à la nature si on veut se révéler à nous même.
Note : ce texte sera lu dans le cadre de la journée NOUS qui se tiendra le 7 avril prochain au Monument National.
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