Les entreprises manufacturières subissent de plus en plus de pressions de la part des consommateurs afin de quantifier leur empreinte environnementale (1). Ce phénomène est déjà palpable dans plusieurs régions du monde. En effet, l'étiquetage environnemental, appelé aussi écoétiquettage, est devenu un enjeu majeur, particulièrement en Europe : les consommateurs désirent disposer d'informations sur les impacts environnementaux de leurs achats. Pour répondre à ce besoin de transparence, les industriels doivent quantifier les impacts environnementaux de leurs activités afin de pouvoir mettre en valeur leur bonne performance dans ce domaine. Dans certains secteurs où la compétition est particulièrement vive, la capacité d'offrir des produits ou des services avec une meilleure performance environnementale que la concurrence peut permettre d'augmenter considérablement les parts de marché.
L'industrie forestière a pour vocation de récolter et de transformer une ressource renouvelable, le bois. Le groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) reconnaît qu'un des meilleurs moyens d'atténuation des changements climatiques est l'aménagement durable des forêts et l'utilisation des produits du bois (2). Ce matériau est un réservoir naturel de carbone qui est séquestré lors de la croissance grâce au phénomène de photosynthèse. Lorsque cette matière ligneuse est récoltée de façon durable, les produits du bois représentent un réservoir de carbone (appelé carbone biogénique) tout au long de leur durée de vie (3). De nombreuses études, dont le bilan carbone comparatif de la structure de l'aréna de l'UQAC, démontrent que les matériaux de construction en bois sont moins énergivores et ils ont, par conséquent, une intensité carbonique faible, en comparaison avec les produits compétiteurs (4). Cela fait des matériaux en bois une alternative intéressante dans la lutte contre les changements climatiques, particulièrement dans les secteurs énergétiques et de la construction. En effet, la quasi-carboneutralité de la combustion de bois rend intéressant la substitution des énergies fossiles (5). En Amérique du Nord, la majorité des édifices non résidentiels sont constitués principalement de béton et d'acier (6). Ce qui présente un potentiel de séquestration de carbone par la substitution qu'offrent les produits de structure en bois.
Afin de quantifier les impacts environnementaux, l'analyse de cycle de vie (ACV) est la méthode reconnue et normalisée par ISO (série 14040). C'est à partir de cette méthode que sont réalisées les déclarations environnementales de produits, qui commencent à être imposées sur le vieux continent. L'ACV présente l'avantage d'offrir une vision globale qui met en évidence les éléments néfastes ainsi que le déplacement des externalités négatives d'une phase à l'autre du cycle de vie. Cette méthodologie quantitative est couramment utilisée pour estimer les impacts potentiels sur l'environnement des produits du bois (6, 7).
Initié en 2010 par le cégep de Saint-Félicien, le projet d'inventaire de cycle de vie des produits du bois (ICV-PDB) vise à rendre disponible aux entreprises de la filière forestière un outil en ligne (https://www.icv-lci.ca/), convivial, permettant de rentrer les données sur leurs activités, facilitant ainsi la réalisation d'analyse de cycle de vie des produits qui leurs sont spécifiques. Les entreprises ont plusieurs avantages à rendre publiques (ou " mettre à disposition ") ces données. Le premier est d'obtenir l'empreinte carbonique de leurs activités et de la comparer avec la moyenne régionale. De plus, les données moyennées par régions forestières alimenteront les bases de données d'ICV québécoise et mondiale, permettant ainsi de mettre en évidence les avantages environnementaux de l'utilisation des produits du bois québécois, notamment dans la réalisation d'ACV pour les bâtiments durables. La résultante devrait induire une compétitivité accrue des produits québécois sur les marchés internationaux.
La phase pilote, qui consiste à collecter les données des entreprises de travaux sylvicoles et de première transformation dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, est sur le point de prendre fin. Déjà 70 entrepreneurs ont répondu favorablement aux sollicitations en s'inscrivant et plus de 40 d'entre eux ont rempli le formulaire en ligne. Ce qui a permis au Centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie (CIRAIG) de valider la qualité des données recueillies et d'alimenter la base de données québécoise à partir de données moyennes par régions forestières. Les activités sylvicoles (en forêt) sont plus énergivores au Québec qu'en Europe, car les distances d'approvisionnements sont plus longues, mais aussi, car il faut encore construire des chemins pour accéder au parterre de coupe. Cet écart est compensé lors des étapes de transformation grâce à l'utilisation de l'hydroélectricité dans les moulins à scie. Afin d'augmenter cet avantage sur les autres pays producteurs, il semble pertinent de maximiser la transformation des produits du bois au Québec. La phase suivante, qui est présentement à la recherche de financements, vise justement à étendre la collecte à l'ensemble du Québec, ainsi qu'aux secondes et troisièmes transformations des produits du bois.
L'engouement des marchés en regard de la transparence environnementale des biens de consommation est transversal, touche tous les secteurs et invite à l'utilisation accrue des ACV. Pour ce faire, la collecte de données est la partie la plus laborieuse et elle demande beaucoup de temps aux analystes. À ce titre, l'enrichissement des bases de données de cycle de vie permettrait de gagner un temps précieux pour la réalisation d'ACV spécifique, mais également de régionaliser les analyses. L'avenir nous le confirmera, mais la méthodologie développée pour l'ICV-PDB a le potentiel d'être applicable à l'ensemble des secteurs d'activités du Québec. Elle pourrait même déboucher, dans un avenir proche, sur une formation de niveau collégial en inventaire de cycle de vie.
Référence :
(1) Frota Neto, J.Q., Bloemhof-Ruwaard, J.M., van Nunen, J.A.E.E., van Heck, E., 2008. Designing and evaluating sustainable logistics networks. Int. J. Prod. Econ. 111, 195-208.
(2) IPCC, 2007. Fourth Assessment Report: Climate Change 2007 (AR4). IPCC, Geneva, Switzerland.
(3) Karjalainen, T., Pussinen, A., Kellomäki, S., Mäkipää, R., 1999. Scenarios for the carbon balance of Finnish forests and wood products. Environ. Sci. Policy.
(4) Laurent, A.-B., Villeneuve, C., 2011. Bilan carbone comparatif de la structure de l'aréna de l'UQAC. Chaire en éco-conseil de l'UQAC pour CECOBOIS. Repris dans Construction en bois, vol. 4, n. 2, été 2012.
(5) IEA, T. 38, 2002. Greenhouse Gas Balances of Biomass and Bioenergy Systems.
(6) Beaulieu, L. 2012. Rapport du groupe de travail visant à favoriser une utilisation accrue du bois dans la construction.
(6) Sartori, I., Hestnes, A.G., 2007. Energy use in the life cycle of conventional and low-energy buildings: A review article. Energy Build. 39, 249-257.
(7) Sathre, R., O'Connor, J., 2008. A Synthesis of Research on Wood Products & Greenhouse Gas Impact ( No. Technical Report No. TR-19). FPInnovation.
Auteur : Laurent Achille-Benjamin,
doctorat en génie industriel, Département de génie mécanique, Faculté des sciences et génie, Université Laval
Source: L'Interdisciplinaire, journal étudiant de l'Institut EDS
[Journallinterdisciplinaire]