Allons-nous disparaître? Nos enfants verront-ils l’effondrement de la civilisation? L’idée de la fin du monde effraie depuis des centaines d’années, mais est rarement appuyée par la communauté scientifique. Cette fois, la quantité de données accumulée par la « collapsologie » semble assurer que le pire est à venir. En Europe comme en Amérique, la thèse de la fin de notre monde fait son petit bout de chemin. Et au Québec, qu’en est-il?
Pour les collapsologues, notre monde est déjà en train de s’effondrer. La croissance économique et l’utilisation des ressources par les humains détruisent la planète, causant des crises sociales et catastrophes environnementales dont nous perdrons assurément le contrôle. Au terme de cet effondrement, il sera impossible de répondre aux besoins de base de la majorité de la population à l’aide de services qui sont actuellement encadrés par la loi. Dramatique? C’est du moins la thèse des chercheurs européens Pablo Servigne et Raphaël Stevens, qui font les manchettes régulièrement de l’autre côté de l’Atlantique. Ces derniers désignent la collapsologie comme « l’étude scientifique de l’effondrement graduel de notre civilisation thermo-industrielle ».
Si leur démarche scientifique est parfois critiquée, le propos ne date pas d’hier. Bien que le mot collapsologie ait été popularisé par la publication de leur ouvrage Comment tout peut s’effondrer : Petit manuel de collapsologie à l’usage des génération présentes, Pablo Servigne et Raphaël Stevens sont loin d’être les premiers à entrevoir le scénario de l’effondrement. Aussi tôt qu’en 1972, le Massachusets Institute of Technology (MIT) publiait le rapport Meadows (aussi appelé Limits to Growth ou Halte à la croissance). Le document devenu célèbre lançait un avertissement quant à l’accélération de la croissance économique et démographique. Selon les chercheurs de l’époque, la croissance allait nécessiter l’exploitation toujours plus grande de ressources, lesquelles viendraient un jour à manquer, provoquant par la suite un déclin inévitable de l’économie et/ou de la population.
« On voyait dans le rapport Limits to Growth la courbe de la production industrielle qui s’effondrait, la courbe de la production alimentaire qui baissait, différentes courbes, celle de la population aussi. La collapsologie s’est donc développée comme une théorisation basée sur la publication du rapport », explique le professeur Alain Létourneau, du département de philosophie de l’Université de Sherbrooke.
Depuis, les résultats de ce rapport et ses relectures ont amené plusieurs auteurs américains et européens à prôner l’approche catastrophiste, tantôt de manière pessimiste, tantôt avec l’espoir de lui apporter des solutions.
Or, pour les collapsologues, vaut mieux être réaliste et trouver le courage d’accepter l’effondrement imminent, martèle Pablo Servigne partout là où il est interviewé.
L’un des principaux arguments de la collapsologie réside en effet dans l’idée du pic pétrolier. « D’un point de vue énergétique, on n’a pas assez d’énergie pour maintenir en fonctionnement toute cette incroyable machine thermo-industrielle qu’est notre civilisation », indique l’agronome et doctorant en biologie Pablo Servigne en entrevue à Mediapart. Sa théorie repose également sur des centaines d’études scientifiques récentes issues de disciplines différentes, lesquelles démontrent l’impossibilité de poursuivre notre utilisation des ressources naturelles actuelles. En compilant les données, il dit s’être rendu compte que « la somme des constats de différentes disciplines donnent un résultat plus alarmant que leurs thèses individuelles ». Bien que l’effondrement ne fasse pas l’objet d’un scénario précis, il sera inévitable, avance-t-il.
Pour les collapsologues, les sociétés avancées doivent dès maintenant se préparer à l’imprévisible. C’est-à-dire qu’il faut faire preuve de résilience afin de mettre sur pied des initiatives qui ne reposent pas sur l’organisation sociale et économique actuelle. L’idée de Pablo Servigne se veut en ce sens optimiste, dit-il : après l’effondrement, la société sera nécessairement « meilleure ».
Un postulat défaitiste?
Le choix du mot « effondrement » a toutefois de quoi faire peur, et ça marche : sur le groupe Facebook Transition 2030, plusieurs internautes adoptent une vision plutôt apocalyptique et en font de la « pop-collapsologie », perçoit le chercheur indépendant et blogueur Philippe Gauthier, administrateur de cette communauté virtuelle depuis de nombreuses années.
Le spécialiste des questions environnementales juge lui aussi inévitable l’effondrement dont Pablo Servigne se fait l’un des prophètes. Mais M. Gauthier refuse de le concevoir comme une crise qui décimera la société actuelle. « Ça ne veut pas dire qu’on va arriver à la fin de la société, la fin de l’état, qu’on va revenir à un état d’anarchie ou de guerre tous contre tous, je n’y crois pas beaucoup à ce genre d’effondrement social complet ». Une telle vision pourrait avoir l’effet de paralyser l’action citoyenne, juge-t-il. Ce dernier critique d’ailleurs l’argumentaire de Pablo Servigne, pour se baser sur davantage de sources anglophones, telle que l’oeuvre de John Michael Greer, un auteur américain. Selon Philippe Gauthier, ce dernier fournit une vision plus circulaire de la théorie de l’effondrement, à l’inverse des collapsologues qui entrevoient un scénario de fin.
Pour sa part, le professeur Alain Létourneau doute de l’efficacité du discours de ces théories, bien qu’il ne remette pas en doute les modélisations de Pablo Servigne. « Le problème qui se pose c’est : est-ce qu’on devrait adopter une vision déterministe de l’histoire ou une vision qui est plus dépendante des facteurs humains, où on pense qu’il y a tout de même moyen d’orienter les choses malgré tout de façon différente? »
Les propos des collapsologues pourraient selon M. Létourneau influencer le cours des choses. « Ou bien le discours de l’effondrement va être un élément mobilisateur, ou bien il va être un élément du fatalisme généralisé. Mais il y a certaines études qui tendent à montrer que tout ce qui est catastrophiste en général est plutôt pas très encourageant pour l’action. Plus il y a des discours catastrophistes, plus les gens pensent se trouver dans un état de non-pouvoir et plus ils ont l’impression que c’est une fatalité. Donc je craindrais que la collapsologie devienne une annexe du catastrophisme. »
Cela dit, pour les collapsologues Servigne et Stevens, le choix du mot était important pour adopter un point de vue réaliste : « On ne voulait pas que ce soit un euphémisme comme « transition » ou métamorphose, parce qu’on voulait être lucide face aux catastrophes. On voulait un mot qui soit clair avec les constats catastrophiques. Ce n’est pas une exagération », indique Servigne dans une entrevue vidéo de Mediapart. L’espoir d’éviter la catastrophe serait ainsi une manière de rester attaché au système actuel, qui détruit la planète, plutôt que d’accepter de s’en détourner entièrement dans une attitude « réaliste ».
L’optimisme québécois
Le Québec semble pour sa part compter un faible nombre de « réalistes ». Le professeur Harvey Mead, qui a publié en 2017 l’ouvrage intitulé Trop tard chez Écosociété, sonne tous les jours la sonnette d’alarme sur son blogue personnel.
« Un ami me disait que je n’ai pas d’espoir. Mais ça dépend! L’espoir en quoi? Je crois que la plupart des gens maintiennent l’espoir de garder la vie qu’ils connaissent. C’est ça l’erreur. Il n’y a aucune raison de vouloir la conserver parce qu’elle détruit la planète, et il n’y a aucune chance de la garder parce que la planète est en train de répliquer », explique M. Mead en entrevue avec GaïaPresse.
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