Souvent présentée comme écologique, la construction en bois n’affiche pas un bilan environnemental irréprochable. Ce matériau de base n’est pas si inoffensif que le marketing des sociétés de construction veut bien le laisser entendre.
L’image est belle sur la brochure : une maison en bois, quelques arbres au feuillage trop vert pour être honnête, de la lumière, de la pureté. Il est facile de se laisser tenter, et les marketteurs des années 2010 l’ont bien compris. A la recherche d’authenticité et de bien-être écolo, de plus en plus d’acheteurs se laissent tenter par les constructions en bois, bardées de logos environnementaux en tous genres. Mais sur ces brochures manquent souvent le pedigree du bois utilisé et la liste de produits chimiques peu recommandables.
La pollution commence en amont
Bien avant d’arriver sur les chantiers, le bois de construction est source de différentes pollutions atmosphériques. Les premières victimes sont les ouvriers des scieries, à cause des poussières de bois. Celles-ci peuvent provoquer des maladies à court terme, voire des cancers après plusieurs années d’exposition. Selon l’enquête nationale de SUMER (Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels), 370000 salariés sont exposés aux poussières de bois en France. Toute la filière bois est concernée, et ces chiffres sont accablants. Ces poussières font partie du Top 3 des « causes les plus importantes de cancers reconnus d’origine professionnelle (principalement naso-sinusiens et pulmonaires) », affirme le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer). Dans la plupart des cas, elles atteignent les poumons, provoquant des lésions définitives graves comme des fibroses. La prévention de ces poussières fait d’ailleurs partie de la lutte contre les agents classés comme cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR).
« L’utilisation de machines tournant à grande vitesse produit une quantité de poussières très fines facilement inhalables, explique le Dr Nicole Rosenberg dans un rapport de l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité). Leur déposition à tous les niveaux de l’appareil respiratoire est à l’origine des manifestations cliniques qui vont intéresser le nez, les bronches et le poumon profond. Par ailleurs, les moisissures, les bactéries et leurs endotoxines qui croissent sur les pièces de bois entreposées dans les différents lieux de travail – scieries, tailleries, menuiseries –, ainsi que les différents additifs utilisés dans l’industrie du bois, constituent un risque respiratoire supplémentaire. »Les entreprises françaises ont donc des progrès à faire. Si l’immense majorité des machines fixes possèdent un système d’aspiration des poussières à la source, 80% des machines portatives en sont dépourvues. L’air des scieries dépasse trop souvent les normes françaises, avec une VELP (valeur limite d’exposition professionnelle) sur huit heures supérieure à 1mg/m3. Le respect de cette valeur, pour le ministère de la Santé, doit être « considéré comme un objectif minimal de prévention ». Peut mieux faire.
Après la découpe arrive l’étape du triple traitement : ignifuge (contre les incendies), fongicide (contre l’humidité et les champignons) et insecticide. Toutes les pièces de charpente, panneaux et autres marches doivent être traités, par pulvérisation, trempage ou en autoclave (très haute pression). Selon le ministère de la Santé, « près de 800000 salariés sont exposés aux dangers des fongicides dans leur activité professionnelle en France. » L’OMS (Organisation mondiale de la santé) a également dressé une très longue liste de molécules (benzimidazole, dithiocarbamate, bénomyl, oxydes chlorés…) provoquant des troubles aigus pour la santé, des crises hépato-digestives, des troubles respiratoires et des cancers. Après l’amont, voici l’aval.
Une armée d’ennemis invisibles
L’assemblage de l’ossature en bois est terminé, votre maison est prête pour vous accueillir. Elle sent bon le « bois fraîchement coupé ». Bienvenue dans une illusion qui vous coûtera peut-être un passage chez le médecin, pour des problèmes allergiques, voire de l’asthme. Car cette délicieuse odeur émise par le bois est celle des terpènes, composés chimiques qui se diffusent naturellement dans votre intérieur. Des composés chimiques peu fréquentables en réalité. Et ce ne sont pas les seuls à garnir l’air intérieur des maisons en bois. Plusieurs instituts se sont penchés sur la question de la pollution atmosphérique de nos habitats. Au banc des accusés : les COV (composés organiques volatils), émis naturellement par le bois. L’Agence nationale sécurité sanitaire (ANSES) a par exemple listé plusieurs composants utilisés dans les constructions en bois, comme les panneaux agglomérés (le principal émetteur de COV), les planchers, les bois de charpente… Auxquels s’ajoutent ensuite peintures et vernis utilisés en finitions.
Outre ces composés organiques, le bois « expire » également les produits chimiques hérités des traitements évoqués plus tôt, ainsi que des produits additionnels comme les colles et les résines nécessaires lors du montage. L’OQAI (Observatoire de la qualité de l’air intérieur) a mené l’an dernier une longue étude sur la concentration de COV (hexaldéhyde, toluène, formaldéhyde…) dans l’air que nous respirons. Selon l’Observatoire, 10% des logements sont « multi-pollués », affichant de fortes concentrations de trois à huit des vingt composés mesurés, 15% étant « pollués », 30% « légèrement pollués » et 45% « peu pollués ». Si, selon l’ANSES, ces composants identifiés peuvent aussi se mélanger à des composants issus de l’activité humaine (produits d’entretien par exemple), ils proviennent surtout de produits utilisés pendant le processus de construction.
Ces micro-organismes qui nous pourrissent la santé
Mais il n’y a pas que les constructions neuves, dans le domaine du bois. La grande majorité des maisons individuelles datant de la fin du XIXe et du début du XXe siècle présente des ossatures en bois. Et ces structures vulnérables constituent aujourd’hui des festins pour bon nombre de micro-organismes. Le bois, contenant cellulose et lignine, représente en effet des nutriments pour des insectes et des micro-organismes. Les champignons profitent quant à eux de conditions humides dues, très souvent, à une mauvaise ventilation. Selon l’OQAI, entre 15 et 20% des logements français présenteraient des moisissures visibles, et 40% des champignons microscopiques. L’OMS voit d’ailleurs là un véritable motif d’inquiétude et un enjeu majeur de santé publique. « Les mauvaises conditions d’habitat augmentent la prévalence de l’asthme, des allergies respiratoires et de la peau, et des autres maladies pulmonaires », explique un rapport de l’Organisation mondiale de la santé.
Les normes européennes ont trouvé un nom pour le mal touchant ces logements : ils souffriraient de SBM (syndrome des bâtiments malsains). La qualité de l’air y altèrerait la peau, les muqueuses, le système nerveux et/ou le système respiratoire. L’institut technologique FCBA – qui délivre le certificat CTB-A pour la qualité du bois – a publié un guide pratique intitulé Protection et lutte contre les pathologies du bois dans le bâti, à l’attention des particuliers, pour les sensibiliser aux micro-organismes qui peuvent pulluler dans les maisons. Ce guide décrit à la fois les « bestioles » en question, les matériaux dont celles-ci sont friandes et la manière de s’en prémunir. L’Etat lui aussi a pris la mesure de ces problèmes de santé publique. La loi Alur de 2014 a ainsi instauré une réglementation pour lutter contre la mérule, un champignon lignivore, dont les spores constituent un polluant atmosphérique pour l’être humain. « Les problèmes de santé résultant de la présence de champignons dans les bâtiments, écrit André Fraiture dans la Revue du Cercle de mycologie de Bruxelles, touchent presque toujours les voies respiratoires et sont plus importants chez les personnes ayant des problèmes d’allergie : irritations des muqueuses, rhinites et bronchites allergiques, asthmes, mycoses et alvéolites allergiques, dermatites, conjonctivites... Sauf dans les cas de dermatites et de conjonctivites, ils sont généralement la conséquence de l’inhalation de petites particules fongiques telles que spores et conidies. Ils peuvent également être dus aux composés volatils (comme la géosmine, qui donne son odeur au moisi) ainsi qu’aux mycotoxines, ces dernières pouvant elles-mêmes être transportées par les spores. »
Le bois déjà existant dans les charpentes est également une cible de choix pour les insectes xylophages et les termites, cinquante-quatre départements français étant d’ailleurs concernés par des arrêtés préfectoraux. Pour lutter contre ce fléau, le seul traitement est chimique, avec des biocides qui ne sont pas non plus sans conséquences sur l’homme. Si la pollution atmosphérique due aux pots d’échappement fait davantage la Une des journaux, la pollution de nos habitations est donc tout aussi réelle, elle aussi.
11/12/24 à 13h46 GMT