Une bonne nouvelle dans le paysage des recherches sur le climat : le " courant des Aiguilles ", au large de l'Afrique du Sud, stimulerait la circulation océanique du Nord au Sud dans l'Atlantique. Ce " tapis roulant ", qui redistribue et régule la chaleur sur l'ensemble du globe, menace de ralentir avec la fonte des glaces. Mais, comme vient de le montrer une récente étude, publiée dans la revue Nature Climate Change(1) basée sur des mesures altimétriques par satellite, le fameux courant s'accélère. Ce dernier, situé à l'interface entre océans Indien et Atlantique, multiplie alors les injections dans l'Atlantique d'eaux chaudes et surtout très salées en provenance de l'océan Indien. Ce phénomène, également provoqué par le réchauffement climatique, pourrait ainsi compenser, en retour, les effets de la fonte glaciaire sur la circulation thermohaline(2) et le climat global. Plus localement, il modifiera considérablement le climat de l'Afrique australe.
La fonte des glaces arctiques due au réchauffement climatique pourrait freiner la circulation océanique mondiale*, qui elle-même régule le climat global de la Terre... Un effet déstabilisateur auquel pourrait s'interposer le fameux " courant des Aiguilles ", au large de l'Afrique du Sud, comme vient de le montrer une équipe de recherche de l'IRD et de ses partenaires sud-africains(1) dans la revue Nature Climate Change.
D'Aiguilles en anneaux
Le courant des Aiguilles se situe à l'interface entre océans Indien et Atlantique et constitue un élément clé de la " machine climatique " de la planète. Généré par les vents au-dessus de l'océan Indien, il prend sa source dans le Canal du Mozambique, entre Madagascar et l'Afrique. Puis il longe les côtes sud-africaines, avant de faire demi-tour sur lui même de manière spectaculaire au large du Cap de Bonne-Espérance. Ce phénomène est appelé la " rétroflexion du courant des Aiguilles ". Cependant, une partie du flux ne retourne pas dans l'océan Indien mais s'échappe vers l'ouest. Cette " fuite des Aiguilles " injecte ainsi de manière discontinue dans l'Atlantique des eaux chaudes et surtout très salées en provenance de l'océan Indien. Ces eaux de surface se propagent sous forme de gigantesques tourbillons pouvant atteindre 500 km de diamètre, soit parmi les plus grands du monde, baptisés les " anneaux des Aiguilles ". Ceux-ci alimentent alors la circulation thermohaline mondiale(2) et l'arrivée d'eaux chaudes et salées au Nord de l'Europe.
Le courant s'accélère
A partir d'observations satellitaires de la topographie de la surface des mers mesurée de 1993 à 2009, les chercheurs révèlent que le courant des Aiguilles accélère depuis 17 ans. Ce résultat confirme de précédents travaux réalisés à partir de simulations numériques combinées à d'autres observations par satellite(3) qui ont modélisé cette intensification depuis les années 1980.
Comme le montre la nouvelle étude, cette accélération est due aux changements de vents au-dessus de l'océan Indien. Les légendaires vents d'ouest des " quarantièmes rugissants "(4) et les alizés dans la région se renforcent du fait du réchauffement global. En effet, l'élévation des températures des eaux de surface et l'augmentation des pluies à l'équateur dans l'océan Indien accentuent la circulation atmosphérique au-dessus de cet océan. Les vents accrus renforcent alors le courant des Aiguilles.
La circulation des océans est entretenue
L'augmentation de la puissance du courant amplifie la " fuite des Aiguilles " et augmente le nombre et l'intensité des tourbillons océaniques qu'elle provoque dans l'Atlantique. Ces flux d'eaux plus salées en direction du Nord participent alors au maintient de la circulation thermohaline mondiale. Ce phénomène permettrait de compenser en partie les effets de la fonte des glaces et, à terme, contribuerait à réguler le réchauffement global.
Par le passé, le courant des Aiguilles a d'ailleurs fait preuve de son influence sur le climat terrestre. Des travaux de recherche paléo-océanographiques ont notamment montré son rôle majeur dans l'ampleur et la durée des périodes glaciaires.
Quelles conséquences pour la pêche ?
Les vastes tourbillons océaniques jouent également un rôle dans la productivité des eaux. Ils structurent en effet toute la chaine alimentaire, du plancton aux oiseaux, en passant par les poissons et les crustacés. Leur intensification pourrait aussi avoir un impact sur les ressources halieutiques au Sud de l'Afrique. Le projet MESOBIO(5), mené par l'IRD et ses partenaires notamment sud-africains, vise à étudier leur influence sur les pêches dans le Canal du Mozambique, lieu de pêcheries importantes, au thon et à l'espadon en particulier. Ce programme s'attache à décrire l'impact des tourbillons à travers une approche pluridisciplinaire, de la physique via des modélisations à l'observation en mer et jusqu'à la gestion des ressources exploitées.
L'accélération du courant des Aiguilles observée par l'équipe de recherche, elle-même due au changement global d'origine anthropique, a en retour un effet stabilisateur sur le climat planétaire. Une bonne nouvelle pour l'avenir de la planète et de ses habitants, face à un réchauffement de l'atmosphère devenu irréversible.
Rédaction : Dic, Gaëlle Courcoux
Notes
(1) Ces travaux ont été réalisés par des chercheurs de l'Université de Cape Town et du Nansen/Tutu Center en Afrique du Sud, en partenariat avec des chercheurs de l'IRD et du laboratoire mixte international IRD ICEMASA.
(2) Circulation très lente de l'océan à l'échelle mondiale liée aux écarts de température et de salinité entre les masses d'eau. Au niveau des hautes latitudes, particulièrement en Atlantique Nord, les eaux froides et salées plus denses plongent au fond de l'océan et alimentent cette circulation.
(3) Rouault M., Penven
Pierrick, Pohl B., Warming in the Agulhas Current system since
the 1980's,
Geophysical Research Letters, 2009, 36, L12602. http://dx.doi.org/10.1029/2009gl037987
(4) Les marins ont ainsi baptisé les latitudes situées entre les 40e et 50e parallèles Sud, en raison des forts vents d'ouest qui y soufflent.
(5) Projet " Influence de la dynamique méso-échelle sur la productivité biologique à différents niveaux trophiques dans le Canal du Mozambique " en partenariat avec les universités de la Réunion, Cape Town et Rhodes, le DEA/Oceans and Coasts et le Bayworld Centre for Research and Education en Afrique du Sud, l'Institut d'Halieutique et des Sciences Marines à Madagascar et l'Instituto de Investigação Pesquira au Mozambique.
* Le saviez-vous ?
Selon un scénario climatique " catastrophe ", la désalinisation de l'Atlantique Nord due à la fonte de la calotte arctique diminuerait la densité des eaux de surface de l'océan. Dans plusieurs dizaines d'années, ces dernières ne pourraient alors plus alimenter la circulation thermohaline mondiale.
Pour en savoir plus
Contacts :
Bjorn Backeberg, postdoctorant du Nansen-Tutu Center à l'University of Cape Town
Tél. : 27 21 650 3281
Pierrick Penven, chercheur à l'IRD
Tél. : 27 21 650 5425
Laboratoire de physique des océans %u2013 LPO (UMR IRD, CNRS, Ifrermer, UBO)
LMI ICEMASA
Mathieu Rouault, chercheur à l'University of Cape Town
Tél. : 27 21 650 3607
Adresse
Department of Oceanography,
University of Cape Town,
Private Bag X3,
Rondebosch 7701,
South Africa
Références :
Backeberg B. C., Penven Pierrick, and Rouault M.. Impact of intensified Indian Ocean winds on mesoscale variability in the Agulhas system, Nature Climate Change, 2012. doi:10.1038/nclimate1587
Conférence Chapman du 8 au 12 octobre 2012 à Stellenbosch en Afrique du Sud co-financée par l'IRD.
Mots clés :
Océan, climat, courant des Aiguilles, Afrique du Sud
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20/08/22 à 08h30 GMT