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La stratégie climatique de Seattle porte ses fruits



  • Cet article a été rédigé par un journaliste de Seattle, M. Jonathan Hiskes, qui écrit des chroniques sur les technologies propres, l'innovation environnementale et l'environnement urbain. Il est correspondant pour le Nord-Ouest Pacifique du magazine Sustainable Industries.

    Il est difficile d'imaginer une pénurie d'eau à Seattle. Dans cette ville de l'État de Washington, au nord-ouest des États-Unis, bien connue pour son crachin, on peut voir le Puget Sound et des lacs d'eau douce de pratiquement toutes les collines. Deux chaines aux sommets enneigés, les Olympic Mountains et les Cascades, bordent la ville à l'est et à l'ouest.

    Et pourtant, la menace de pénuries d'eau - causées par la fonte des glaciers et accélérées par le réchauffement climatique - a inspiré cette ville de 609.000 habitants à lancer un des plus ambitieux plans de protection climatique du pays. Elle a mis en route des programmes visant à diminuer le gaspillage énergétique en isolant et en modernisant les bâtiments, à réduire l'usage des voitures en construisant de nouveaux réseaux de transports en commun et à se positionner comme un foyer d'innovation et d'emplois dans l'énergie propre.

    Les résultats sont évidents depuis plusieurs années : en 2008 - avec 4 ans d'avance sur la date butoir - Seattle a atteint les objectifs de réduction des gaz à effet de serre inscrits dans le Protocole de Kyoto, ramenant leurs émissions à 7 % en-dessous du niveau de 1990 fixé pour les États-Unis. Son exemple a inspiré plus de 1.000 autres villes et agglomérations du pays à adopter ce même objectif.

    M. Greg Nickels, ancien maire de la ville qu'il a dirigée de 2002 à 2009, raconte que tout a commencé par la survenue de prévisions sinistres sur l'approvisionnement en eau.

    " Lorsque je suis devenu maire ", déclare-t-il, " le climat n'était pas sur ma liste des choses à faire. J'ai rempli des nids-de-poule et j'ai dû faire face aux conséquences des attentats du 11 septembre en essayant de redonner du travail aux gens. "

    " Je me fondais sur deux hypothèses : d'abord que le changement climatique était loin dans le futur et qu'il commencerait d'abord ailleurs, et ensuite que le gouvernement fédéral ferait quelque chose. Je m'étais trompé ".

    Le maire montre la voie

    Selon certaines personnes au fait de la politique urbaine, l'imminence de la menace a été révélée lors d'une réunion des principaux conseillers municipaux. Le chef des services publics de la ville a prévenu M. Nickels que la fonte des glaciers risquait de créer des pénuries d'eau beaucoup plus tôt que le public ne s'y attendait et que, dans la mesure où la plus grande partie de l'approvisionnement électrique de la ville venait de centrales hydroélectriques, les pénuries d'eau risquaient aussi de causer une crise énergétique.

    À la même époque, 141 pays étaient prêts à ratifier le Protocole de Kyoto, sans les États-Unis. M. Nickels a annoncé à son personnel que Seattle allait prendre le taureau par les cornes, même si le gouvernement fédéral n'était pas prêt à le faire.

    " Il s'est appuyé sur la table, nous a regardés et a déclaré : 'Nous ne visons pas assez haut' ", se souvient M. Mike Mann, ancien directeur du Bureau municipal de la durabilité et de l'environnement. Lorsque le maire a parlé de signer le Protocole de Kyoto, " les conseillers en sont restés bouche bée lorsqu'ils ont compris qu'il était tout à fait sérieux ".

    Nickels a lancé l'Accord des maires américains en vue de la protection du climat afin de convaincre d'autres maires à s'engager à respecter les objectifs d'émissions des gaz à effet de serre. Plus tard, cette même année, il s'est rendu à Montréal à l'occasion de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques pour faire passer le message que de nombreux dirigeants locaux américains était prêts à prendre des mesures sur le changement climatique.

    De retour à Seattle, il a dû convaincre ses administrés que le moment était venu de prendre des mesures courageuses. La plus grande partie de l'électricité de Seattle provient de centrales hydroélectriques qui ont une empreinte carbone - estimation de la quantité de dioxyde de carbone produit par une entité telle qu'une société - moindre que celle des centrales au charbon ou au gaz. Cela signifie que la plus grande partie des émissions de gaz à effet de serre vient des transports et donc que remplacer les déplacements en voiture par des déplacements en transports en commun était la clé de la réduction de l'empreinte carbone de la ville.

    La densité : un concept nouveau pour Seattle

    Nickels savait qu'il fallait des quartiers " compacts " et piétonniers pour soutenir des réseaux de bus et de systèmes légers sur rail. Or, si la ville regorge d'amoureux de la nature attirés par les montagnes et les lacs avoisinants, beaucoup d'entre eux ne voient pas le rapport entre la protection de l'environnement et les quartiers densément peuplés. Seattle est une des plus grandes villes américaines à avoir plus de maisons individuelles que d'immeubles collectifs à haute densité.

    " Je ne crois pas que les citoyens aient vraiment compris l'importance des quartiers compacts et densément peuplés ", dit M. Mann, qui travaille maintenant comme consultant en durabilité écologique pour la municipalité.

    Par exemple, un plan visant à construire des immeubles plus hauts à proximité d'une nouvelle station de rail léger dans le quartier de Mount Baker s'est heurté à l'opposition des résidents qui craignaient que la densité plus forte de population ne soit cause de congestion routière et n'amène une augmentation de la criminalité. " Les gens ont besoin de parcs et d'espaces ouverts pour conserver leur santé mentale " a déclaré un résident, M. Pat Murakami, au Seattle Times. " Sommes-nous censés vivre entassés comme des sardines en boite ? "

    Pour convaincre les résidents de l'importance d'une densité urbaine plus élevée, la ville a bénéficié de l'aide d'un groupe déterminé de défenseurs de la durabilité. M. Alex Steffen, écrivain basé à Seattle, fait l'apologie de " l'urbanisme vert vif ", mariage des valeurs environnementales, de la technologie et de l'utilisation intelligente de l'espace qui permet aux quartiers urbains d'être plus conviviaux, sains et prospères que les banlieues où la voiture est reine. Des institutions locales à but non lucratif, comme Climate Solutions, Great City et le Sightline Institute cherchent à lier les tendances pro-environnement des résidents de Seattle et les plans d'urbanisme à grande échelle.

    " Je veux participer à une vraie révolution, pas faire des gestes futiles " déclare M. K.C. Golden, directeur de la politique de Climate Solutions. " C'est pourquoi revenir à de seules mesures locales et privées ne marchera pas. "

    Le joyau de la vision urbaine verte de Seattle est la rénovation du quartier de South Lake Union, proche du centre-ville. Il y a une dizaine d'années, c'était une zone de parcs de stationnement et d'entrepôts sous-utilisés. Grâce à un partenariat entre la ville et des investisseurs privés, c'est devenu un quartier high-tech très actif qui abrite les neuf bâtiments du siège du cybermarchand Amazon.com. La transformation a été possible, dit M. Mann, parce qu'elle offre des avantages qui plaisent aux résidents et aux employés de bureau : une ligne de tramway, des magasins et des restaurants et un parc de front de mer qui a remplacé un chantier naval.

    " Quand on augmente la densité (urbaine), il faut que cela convienne aux gens ", prévient encore M. Mann. " il faut des lieux d'agrément, des endroits publics et pas seulement des tours de logement de style soviétique dont les gens ne veulent pas ".

    Des voitures ou des trains

    Dans d'autres domaines, la réduction des émissions causées par les transports s'est avérée plus difficile. La ville et l'État sont prêts à commencer la construction d'un tunnel routier de plusieurs millions de dollars sous le front de mer du centre-ville. Les plans ne laissent pas de place pour une voie ferrée et les défenseurs de la durabilité avancent que c'est manquer de vision que d'investir des sommes aussi importantes dans un projet réservé uniquement aux automobiles.

    M. Nickels, après avoir négocié une réduction de la taille du tunnel, a fini par lui donner son aval, et beaucoup pensent que c'est ce qui lui a coûté le vote environnemental en 2009, lors des élections qui ont donné une victoire inattendue à M. Mike McGinn, l'organisateur écologiste.

    Mais la campagne lancée par M. Nickels se poursuit sous la conduite du nouveau maire. La ville a entamé la construction sur 15 ans du plan de rail léger que l'ancien maire avait promu et les électeurs approuvé. Les taux de recyclage et de compostage sont parmi les plus élevés du pays. Les navires de croisière en route vers l'Alaska viennent se connecter au réseau électrique lorsqu'ils viennent à quai au lieu de laisser tourner leurs moteurs sur le front de mer.

    Les bâtiments qui fuient sont modernisés

    Chose des plus prometteuses, la ville a lancé un programme novateur pour réduire le gaspillage énergétique des bâtiments qui " fuient ". Aux États-Unis, les bâtiments sont responsables de 40 % des émissions de gaz à effet de serre. Le programme de la Community Power Works (services électriques communautaires) avec un financement de 20 millions de dollars du fonds fédéral de stimulation économique (American Recovery and Reinvestment Act) vise à éliminer certains des obstacles qui empêchent les propriétaires de moderniser leurs bâtiments.

    D'abord, il offre des évaluations énergétiques peu coûteuses pour aider les propriétaires de maisons et de commerces à déterminer où leurs propriétés gaspillent la chaleur et l'électricité. Ensuite, en association avec la société d'investissement communautaire Enterprise Cascadia, il offre des prêts sur 20 ans pour des investissements dans l'efficacité énergétique : cela résout le dilemme financier qui tourmente de nombreux propriétaires, à savoir que les investissements dans l'isolation et l'étanchéité sont rentables à terme, mais les coûts initiaux sont élevés.

    Enfin, Community Power Works lance un " fonds incitatif de réduction du carbone ", pour l'essentiel un marché du carbone avec primes qui verse des subventions aux propriétaires en fonction des réductions d'émissions de dioxyde de carbone qu'ils obtiennent. Le programme de Community Power Works est modeste : il vise à moderniser 2.000 foyers et des commerces et des hôpitaux mais, dans la mesure où il teste de nouvelles idées, son influence peut être beaucoup plus importante.

    " Les villes sont à l'origine de beaucoup d'émissions parce qu'elles sont des centres de commerce et de population ", déclare M. Mann. " Mais elles sont aussi des laboratoires de recherche. Elles vont donner naissance à des idées qu'à terme le gouvernement fédéral finira par adopter par la force des choses. "

    Source : Bureau des programmes d'information internationale du département d'Etat.
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