Ressource rare et limitée, l'eau est fragile, non substituable et indispensable à la vie. Antoine de Saint-Exupéry disait à ce propos que " l'eau n'est pas nécessaire à la vie, elle est la vie ". Cependant, la ressource eau fait l'objet de pollutions et est source de convoitises et de conflits aux conséquences dommageables pour les êtres humains, les nappes d'eau et la biodiversité à différentes échelles.
Le Burkina Faso, couvrant une superficie de 274 200 km² et situé à l'intérieur de la boucle du Niger, est confronté de plein fouet à ces difficultés : conflits entre agriculteurs, "agrobusiness", industriels et éleveurs, pollutions et détournements des cours d'eau, etc.
Pour saisir ces problématiques dans leur globalité, le Burkina Faso, classé parmi les pays les plus pauvres du monde et appartenant à la catégorie des Pays les Moins Avancés (PMA) et des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE), a développé en moins d'une quinzaine d'année un ensemble institutionnel et juridique de gestion des ressources en eau par bassin, sur le fondement de la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) consacrée par les droits internationaux, régionaux et transfrontaliers de l'eau.
Ce dispositif, institué par la loi d'orientation relative à la gestion de l'eau, a été renforcé par le Code Général des Collectivités Territoriales au Burkina Faso qui a généralisé la communalisation - création de 302 communes rurales en plus des 49 communes urbaines existantes - et a procédé à la confirmation des Régions collectivités. Il s'inscrit notamment dans la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) en matière d'eau potable et d'assainissement.
Au regard du contexte hydrographique, géologique et climatique globalement défavorable et malgré l'existence d'une gouvernance hydraulique bien structurée à l'échelle nationale - nous y reviendrons dans nos prochains articles -, la mise en oeuvre conjointe de la loi sur l'eau et des lois sur la décentralisation renforce considérablement la tendance à la territorialisation de la politique de l'eau.
La territorialisation est une approche de l'autorité publique qui met l'accent sur les spécificités de chaque territoire. Le but est de mieux prendre en compte la variabilité et la multiplicité des situations locales. La territorialisation se manifeste par la définition et la mise en oeuvre de stratégies de développement qui permet d'adapter les politiques sectorielles aux contraintes locales. Dans le domaine de la gestion des ressources en eau, elle se réalise essentiellement par la voie de la décentralisation et de la gestion par bassins versants.
Signalons, avant d'aborder ces deux éléments de territorialisation du droit de l'eau, que les services déconcentrés de l'Etat en eau et assainissement ont été les premières poches de territorialisation. La déconcentration conduit les gouverneurs, les directions régionales et provinciales de l'agriculture, de l'hydraulique et des ressources halieutiques à adapter les règles juridiques aux situations locales.
Si la déconcentration produit une territorialisation du droit de l'eau, la décentralisation en est l'élément essentiel.
Jean-Bernard Auby disait, dans son livre intitulé "La décentralisation et le droit", paru aux Editions LGDJ en janvier 2006, que la " décentralisation est bien, en soi, un vecteur de territorialisation du droit. Elle l'est (...) par construction juridique et par effet sociologique ".
Les articles 88 à 90, 102 et 103 du Code Général des Collectivités Territoriales du Burkina Faso ont procédé au transfert d'importantes compétences aux 13 Régions, aux 49 communes urbaines et aux 302 communes rurales.
L'article 6 du décret n° 2009-107/PRES/PM/MATD/MAHRH/MEF/MFPRE du 3 mars 2009, pris en application des articles du CGCT ci-dessus, transfère les compétences suivantes aux communes dans le domaine de l'approvisionnement en eau potable et de l'assainissement :
-les avis sur le schéma directeur d'approvisionnement en eau et assainissement ;
-l'élaboration et la mise en oeuvre des plans locaux de mobilisation, de traitement et de distribution dans le domaine de l'approvisionnement en eau potable ainsi que les plans locaux d'assainissement ;
-la mobilisation, le traitement et la distribution de l'eau potable ;
-la réalisation et la gestion des puits, forages, bornes fontaines et systèmes d'approvisionnement en eau;
-la participation à la protection et à la gestion des ressources en eaux souterraines, en eaux de surface et des ressources halieutiques ;
-l'assainissement des eaux usées et des excrétas.
Aussi, la décentralisation est-elle génératrice d'effets territoriaux divers. Elle favorise d'une part le regroupement de collectivités territoriales en associations et surtout en communautés de communes, provoquant ainsi la création de nouveaux territoires de gestion des services publics de l'eau et de l'assainissement. Par ailleurs, elle entraîne la naissance de coopérations décentralisées qui englobent les relations d'amitié, de jumelage ou de partenariat nouées entre les collectivités territoriales burkinabées et celles des autres pays, notamment dans le secteur de l'eau et de l'assainissement.
Toutefois, la territorialisation peut bien exister sans décentralisation. Et c'est là qu'intervient le principal vecteur de territorialisation de la gestion des ressources en eau : la gestion par bassins versants.
Le Burkina Faso appartient à trois (3) districts hydrographiques internationaux : la Comoé, la Volta et le Niger. Par le biais du décret portant détermination des bassins et sous bassins hydrographiques, le territoire national a été découpé en 4 bassins versants. Il s'agit des bassins de la Comoé, du Mouhoun, du Nakanbé et du Niger.
Cinq (5) espaces de gestion des ressources en eau, constituant systématiquement les zones d'intervention des agences de l'eau, ont été délimitées : les Cascades, le Gourma, le Liptako, le Mouhoun et le Nakanbé.
Le processus de décentralisation, combiné à celui de la gestion intégrée des ressources en eau, place-t-il les agences de bassin, les régions et les communes au centre de la gestion territoriale des ressources en eau ?
Tout au long des articles qui suivront, nous tacherons d'y répondre à travers les questions suivantes : de quels outils juridiques et financiers les agences de l'eau et les collectivités territoriales sont-elles dotées ? Comment organisent-elles leurs interventions dans le domaine de l'eau et de l'assainissement ? Existe-t-il des interactions organisationnelles, juridiques et financières entre les agences de l'eau, les régions et les communes dans la gestion de la ressource eau ? Quelles sont les défis auxquelles elles sont confrontées ? En quoi la coopération décentralisée participe-t-elle à la gestion locale de l'eau ? Quelles sont les actions à envisager pour une gouvernance de l'eau plus efficace ?
L'intérêt de ces questionnements est moins de décrire le droit de l'eau tel qu'il existe - pourtant nécessaire -, mais de l'analyser juridiquement et le confronter à quelques réalités pour en tirer les insuffisances d'une part et proposer des pistes d'amélioration d'autre part. Ce travail est d'autant plus intéressant car le Burkina Faso est l'un des 1ers pays de l'Afrique de l'Ouest à s'être impliqué dans la gestion des ressources en eau par bassins versants.
Auteur: Ismaël MILLOGO
[IEAUGIRE]
06/05/24 à 12h32 GMT