Au soir de cette journée du 13 février, consacrée Journée mondiale de la radio, un questionnement s'impose : que serait la société haïtienne sans la radio ?
Question absurde, peut-être, car on ne peut pas refaire l'histoire. Mais la pertinence d'une telle interrogation est qu'elle nous amène à examiner nos relations aux médias, en particulier la radio, et considérer que les acquis en matière de liberté de production et diffusion radiophoniques sont précieuses. Peser aussi la responsabilité de se battre pour la préserver.
C'est la deuxième fois que cette journée est célébrée.
En 2012, aux bons soins de l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), une journée (le 12 février) a été retenue pour " rendre hommage à la radio en tant que moyen de communication ; améliorer la collaboration entre les diffuseurs et encourager aussi bien les grands médias que les radios communautaires à s'engager pour l'accès à l'information et la liberté d'expression sur les ondes ".
Très peu d'échos de la commémoration de cette journée en Haïti, à part quelques petits soubresauts sur les réseaux sociaux, en particulier Facebook et Twitter. Elle est surement encore méconnue, quelques interventions isolées dans certaines stations pour la promouvoir ne suffisant pas. Évidemment.
" C'est encore le média qui permet d'atteindre l'audience la plus large au niveau mondial "
" Alors que la radio continue d'évoluer dans notre ère numérique, c'est encore le média qui permet d'atteindre l'audience la plus large au niveau mondial. La radio avec ses multiples fonctions peut aider les personnes, jeunes inclus, à engager la conversation sur des sujets qui les touchent. Elle peut sauver des vies en cas de catastrophes naturelles ou d'origine humaine, et fournit aux journalistes une plateforme où ils peuvent s'exprimer et rapporter l'information ".
Ainsi, l'Unesco attire l'attention sur l'importance de la radio, apparue à la fin du 19 e siècle. Elle a accompagné les progrès du monde et continue aujourd'hui encore de jouer un rôle capital dans nos vies (surtout nous du tiers-monde).
Haiti et la radio, toute une histoire
Haïti et la radio, tel que précisé à plusieurs occasions dans des chroniques et écrits circonstanciels, c'est toute une histoire.
Les Haïtiens n'ont jamais été indifférents à la radio, qui a fait son apparition dans les années 1930 dans le pays. Ils comptent d'abord sur la radio pour s'informer au quotidien et pour avoir accès à l'espace public.
Ceci est, bien sur , du aux particularités culturelles, sociologiques et géographiques d'Haïti (oralité, analphabétisme, pauvreté, géographie accidentée). Malgré les récents développements technologiques et médiatiques (entre autres, expansion de la télévision), la radio demeure le média le plus percutant et le plus instantané. Il existe plus de 300 stations locales, régionales, ou qui couvrent un espace plus étendu à travers des réseaux hertziens ou autres.
L'importance de la radio est aussi historique en Haïti, car elle a été le fer de lance de la lutte démocratique (des années 1970) qui a conduit à la fin de la dictature duvaliériste. Avec le temps, les Haïtiens ont développé une culture de l'écoute autant pour le divertissement, l'information, que pour la sensibilisation ou des efforts d'éducation qui mobilisent les moyens radiophoniques.
Aujourd'hui, il convient de souligner que ce moyen de communication de masse constitue le principal lieu de l'expression des idées et opinions. Il exerce un impact considérable au niveau de l'opinion publique.
Depuis le début des années 1990, les radios régionales et locales, y compris des radios communautaires se sont multipliées et ont pris de l'importance tandis que, à cause des contraintes politiques et économiques, les grandes radios AM ont disparu.
En ce qui concerne les radios communautaires elles sont plus d'une quarantaine, disséminées dans des localités à travers tous les départements. Avec les autres radios locales, elles jouent le rôle de médias de proximité qui font partie de la vie des populations.
Avec la radio, les médias sont devenus un espace d'interlocution capital pour faire avancer la cause démocratique, le progrès social et celui des connaissances à travers le pays. Dans le cheminement de la révolte populaire de février 1986 et au lendemain de cette période charnière, elle a permis de renforcer la position des entités de la société civile en tant que protagonistes et d'ouvrir une fenêtre sur le monde pour des millions d'Haïtiens.
Qu'on se rappelle que, bien avant l'Internet grand public, il y avait la radio ondes courtes. Bien avant l'Internet grand public, la radio était mobile, portable, wireless et micro.
Quand l'étau se resserre autour de la radio
Ce n'est pas pour rien qu'à certaines périodes de la vie politique haïtienne, l'étau se resserre autour de la radio. Journalistes-radio assassinés, disparus, stations attaquées et détruites. La parole laissée orpheline de mille voix sympathiques, intelligentes, réconfortantes ou combattives.
Les journalistes-radio " continuent de faire face à des défis quotidiens dans des situations qui n'ont pas atteint le seuil d'un conflit armé, mais qui sont caractérisées par la violence, l'anarchie et la répression ", souligne Frank La Rue, Rapporteur spécial des Nations Unies pour la liberté d'expression.
" A l'heure où l'attention se porte de plus en plus sur l'image et les nouveaux médias, (...) les médias traditionnels conservent un rôle crucial d'information pour de nombreuses populations à travers le monde, notamment dans les zones rurales ou reculées. Les journalistes de radio travaillent trop souvent dans de terribles conditions d'insécurité, au prix de leur liberté quand ce n'est pas de leur vie ", selon Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters Sans Frontières.
En novembre 2012, aux Cayes (Sud), la radio communautaire Voix Claudy Museau (VKM) a été fermée sur ordre du Conseil national des télécommunications (Conatel), dans un contexte marqué par la présence dans cette ville du président Michel Martelly. L'idée d'une tentative de censure politique n'a pas pu être écartée par les responsables de cette station.
Liberté de parole, liberté sur parole
Des milieux journalistiques haïtiens, ont bien raison d'être interpelés par le communiqué du dimanche 10 février 2013 du Ministère de la justice et de la sécurité publique, qui rappelle que " la législation pénale haïtienne punit sévèrement la diffamation, les menaces et les incitations à la violence ".
Ce communiqué s'appuie également sur le " décret du 31 juillet 1986 sur la presse et la répression des délits de presse " du temps du pouvoir militaire, au lendemain de la chute du dictateur Jean-Claude Duvalier, et de surcroit antérieur à la Constitution en vigueur, comme le notent des observateurs.
Liberté de parole, liberté sur parole, la génération d'aujourd'hui est celle qui considère, à juste titre, après les combats des aînés, qu'elle a bien une bouche pour parler et se faire écouter. Nous ne devons absolument pas revenir à une civilisation de bouche cousue, de mutisme, de silence.
En Haïti, pour aujourd'hui et demain, il faut que les bouches et les antennes restent ouvertes.
Sous aucun prétexte, on ne peut permettre que la parole soit en danger, soit verrouillée. Il ne faut pas tourner le bouton !
Gotson Pierre
12/12/24 à 10h17 GMT