Cette dépêche a été co-rédigée avec Monique Henry du CEGEP de St-Laurent (Québec)
Nous avons déjà discuté dans des articles précédents de l'importance de la désinfection des eaux de consommation et du rôle bénéfique qu'a joué l'utilisation du chlore dans le monde entier (voir international/actu,20120908164604.html et international/actu,20121008090001.html ).
Sous ce terme général se cache cependant bien des dérivés car, en effet, le chlore élémentaire Cl2 étant extrêmement réactif il se combine à l'infini par des réactions d'oxydo-réduction, d'addition, de substitution.... En voici quelques exemples :
- Quand on ajoute du chlore dans l'eau, on sait qu'il en résulte un mélange complexe où les concentrations des différentes espèces dépendent fortement du pH :
Cl2 + H2O <----> HClO + HCl
HClO <----> H+ + ClO-
Acide hypochloreux (HClO), ion hypochlorite (ClO-), chlore élémentaire sont des formes de chlore "actif libre", qui réagissent très rapidement.
- Si l'eau en question contient de l'ammoniaque, il y a, selon les proportions chlore/ammoniaque, formation de diverses chloramines (ou "chlore actif combiné") :
NH3 + HClO <----> NH2Cl + H2O
NH2Cl + HClO <----> NHCl2 + H2O
NHCl2 + HClO <----> NCl3 + H20 ou encore : NH3 + 3 HClO <----> NCl3 + 3 H2O
avec
NH2Cl = monochloramine
NHCl2 = dichloramine
NCl3 = trichloramine
- De telles réactions peuvent se produire avec toute autre amine présente dans l'eau, comme c'est le cas avec la méthylamine CH3NH2.
Les chloramines inorganiques ont un pouvoir désinfectant non négligeable. Elles réagissent cependant plus lentement que le chlore "libre".
Le chlore "total" correspond à la somme du libre et du combiné.
- Si l'eau contient des traces de phénols, il y a génération de chlorophénols... encore une fois, une famille nombreuse d'odeur peu agréable...
- Plus généralement et plus fréquemment, en présence de matières organiques naturelles ou artificielles, d'innombrables produits chlorés peuvent se former, les plus connus - car les plus dérangeants - étant le chloroforme CHCl3, le bromodichlorométhane CHBrCl2 le chlorodibromométhane CHBr2Cl (trihalométhanes) et les acides haloacétiques (AHA), dont le plus simple est l'acide monochloracétique CH2ClCOOH.
- Autre dérivé du chlore, fabriqué spécialement - et généralement sur place - dans les stations de production d'eau potable, le dioxyde de chlore ClO2 dont l'utilisation conduit là encore à des mélanges complexes de dioxyde, de chlore, de chlorite (ClO2-), de chlorate (ClO3-)...
Toutes ces réactions expliquent que le choix d'un agent désinfectant plutôt qu'un autre est important selon le type d'eau à traiter et que le dosage de cet oxydant doit être optimisé pour assurer l'efficacité de la désinfection tout en minimisant la formation de sous-produits à caractère toxique.
Nous allons comparer les principaux dérivés chlorés utilisés en désinfection (chlore gazeux, hypochlorite de sodium et de calcium, chloramines et dioxyde de chlore) quant à leur préparation, leur mise en oeuvre, leurs avantages et leurs inconvénients respectifs.
Chlore gazeux et hypochlorites
Le chlore est le plus utilisé des désinfectants, en particulier pour son pouvoir oxydant, son faible coût et sa facilité de mise en oeuvre. Les grandes stations des pays industrialisés l'utilisent gazeux, en contenants d'une tonne ou en bonbonnes - le chlore étant en fait liquéfié dans ces contenants sous forte pression. Dans les stations de moindre envergure on utilise l'eau de Javel commerciale, solution d'hypochlorite de sodium (NaClO) en milieu très alcalin (NaOH) contenant de 5 à 15% de chlore (pourcentage exprimé en grammes de chlore par 100 g de solution). Il faut garder en mémoire que ces solutions sont instables et diminuent rapidement de concentration sous l'effet de la lumière, de la chaleur... et du temps! Heureusement le dosage ne requiert généralement pas la connaissance exacte de cette concentration dans la mesure où c'est le chlore résiduel qui est surveillé et qui asservit la dose appliquée, usuellement de l'ordre de 0,5 à 5 mg/L selon la "demande" de chlore de l'eau à traiter.
Pour des raisons de sécurité, le chlore gazeux présentant des risques élevés en cas de fuites lors de son transport, de son stockage ou de son utilisation, au Québec, plusieurs stations se convertissent à l'hypochlorite et l'usine Charles-Desbaillets, qui dessert une grande partie de Montréal, génère maintenant le chlore, sur place, par électrolyse de saumure (solution résultante à environ 0,8% de chlore).
Cette pratique permet d'obtenir du chlore gazeux, de l'hydrogène et de l'hydroxyde de sodium. Dans les systèmes à membrane, on peut injecter le chlore gazeux grâce à un hydro-injecteur; la solution chlorée (eau de Javel) peut être préparée en mode "batch" et injectée par pompes doseuses.
Dans les très petites installations, certaines piscines ou pataugeoires, on emploie de l'hypochlorite de calcium (Ca(ClO)2), sous forme granulaire. Souvent appelé HTH (haute teneur en hypochlorite), il s'agit en fait d'un mélange de 70% environ d'hypochlorite avec de la chaux.
Dans le tableau précédent, chlore gazeux et hypochlorites sont traités ensemble sachant que, dans l'eau, le chlore gazeux s'hydrolyse et forme de l'acide hypochloreux, acide faiblement dissocié à pH < 6 si bien qu'aux pH usuels des eaux traitées, on est en présence d'un mélange d'acide HClO et d'ion hypochlorite ClO- (par exemple environ 50/50 à pH :7,5). Aux États-Unis, on parle de chlore "disponible" (available).
Cependant, il est connu que l'ion hypochlorite présente un pouvoir bactéricide nettement inférieur à celui de HClO, ce qui explique la baisse d'efficacité du chlore à pH élevé, puisqu'à 8,5, le mélange contient environ 90% d'hypochlorites.
Ainsi qu'on l'a déjà souligné, la dose à appliquer dépend des caractéristiques de l'eau, autrement dit de la quantité de chlore dont elle a besoin pour qu'il puisse remplir tous ses rôles :
- oxyder les réducteurs inorganiques comme le fer, le manganèse, l'hydrogène sulfuré;
- oxyder les produits organiques : phénols, matières organiques naturelles comme les matières humiques et plus généralement tous les "précurseurs" de dérivées chlorés souvent indésirables (THM, AHA);
- réagir avec l'ammoniaque et les amines pour former du chlore combiné;
- détruire ce chlore combiné de façon à dépasser le "point critique" (breaking point);
- détruire les microorganismes...
- et assurer un "résiduel" de chlore à la sortie de la station et jusqu'au moment et au lieu de l'utilisation.
C'est ce que nous préciserons dans une prochaine dépêche.
[TECHEAUA]
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06/05/24 à 12h32 GMT