Imaginez-vous en vacances : le soleil, la mer, le sable chaud... Vous construisez un château et, en creusant, vous vous retrouvez les deux mains dans l'eau. Mais d'où vient-elle? Il s'agit d'eau souterraine superficielle qui s'est infiltrée à travers les grains de sable, et vous venez de créer un puits!
Goutte à Goutte
L'eau souterraine se trouve à l'intérieur de trous minuscules, dans des couches de sol sableux ou de roc fracturé. La goutte d'eau à la surface du sol - qu'elle soit goutte de pluie, de neige fondue ou de cours d'eau - s'infiltre dans les pores et les fissures à une profondeur variable où le sol est saturé en eau. La goutte poursuivra alors son voyage horizontalement, puis verticalement, pour remonter jusqu'au robinet de l'un des 1 600 000 québécois qui dépendent de cette ressource pour leur approvisionnement en eau potable. On comprend donc que chaque activité sur le territoire (une résidence, une scierie, une industrie chimique, une raffinerie de pétrole ...) est susceptible de laisser échapper un contaminant qui croisera la route de notre goutte d'eau. Celui-ci pourrait également emprunter un chemin un peu différent et, au lieu de terminer dans un robinet, ressurgir dans un cours d'eau ou un milieu humide.
Conscient de cette menace pour nos précieuses réserves d'eau, le ministère du Développement durable, de l'Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP) a lancé, en 2008, le Programme d'acquisition de connaissances sur l'eau souterraine (PACES). Ce programme vise à cartographier les eaux souterraines sur l'ensemble du Québec habité. D'ici 2015, trois vagues de projets auront permis d'atteindre 75% de cet objectif. Au printemps 2013, nous posséderont déjà une meilleure idée de la quantité d'eau souterraine disponible, de l'orientation de son écoulement, de sa vulnérabilité et de sa qualité dans sept régions du Québec. Ces informations permettront de gérer et de protéger plus efficacement la ressource. La responsabilité de cette protection échoit aux municipalités régionales de comté (MRC). En tant que planificatrices régionales, ces institutions apparaissent comme les mieux placées pour intégrer l'eau souterraine dans la gestion territoriale. Pourtant, des entretiens auprès de ces acteurs ont révélé que plusieurs obstacles freinent la prise en compte de l'eau souterraine. Parmi ceux-ci, le manque de connaissances sur l'eau souterraine, la mauvaise diffusion des renseignements existants et la difficulté d'interprétation des données pour l'aménagement du territoire s'avèrent particulièrement problématiques. De plus, l'eau souterraine est rarement une priorité en raison du manque de sensibilisation vis-à-vis de sa vulnérabilité et des conséquences d'une contamination.
Cartographier le risque
Pour surmonter ces difficultés, l'outil ATES a été développé. Cette application permet d'interpréter les données des projets PACES sur l'eau souterraine et les données d'aménagement du territoire afin de produire des cartes de risque de contamination de l'eau souterraine. Car il faut savoir que, dépendamment de l'endroit où notre goutte d'eau contaminée est tombée, la probabilité qu'elle se rende à l'eau souterraine sera plus ou moins élevée. Et puis, si elle s'y rend, les conséquences d'une contamination seront plus ou moins graves. Si ATES détecte un risque élevé de contamination, il propose la mise en place d'aménagements pour minimiser la menace. Prenons l'exemple d'un terrain de golf, source bien connue de pesticides et d'engrais, des substances qu'on espère ne pas retrouver dans l'eau de son puits. Si le sol du dit terrain est particulièrement poreux, l'eau s'infiltrera et entraînera ces contaminants vers l'eau souterraine. Un évènement de contamination est alors assez probable. Si le golf se situe en un endroit où l'eau est déjà contaminée (ou qu'elle se trouve en très faible quantité), les conséquences d'une contamination seront mineures. Par contre, si la contamination a lieu à proximité d'un puits municipal qui approvisionne 30 000 habitants, elle pourrait avoir un impact dévastateur sur la population. Le risque serait, dans le premier cas, modéré, alors qu'il serait très élevé dans le second. ATES proposerait alors de fermer le golf, de limiter l'application de pesticides et d'engrais ou de faire un suivi de la qualité de l'eau des puits avoisinants.
Il est également possible de faire cet exercice pour évaluer un nouveau dépôt à neige - laissant échapper des sels de déglaçage. Si ATES indique que l'emplacement prévu pose un risque élevé, l'aménagiste peut relocaliser le dépôt ou encore favoriser des mesures pour limiter l'infiltration, comme la mise en place d'un toit ou d'une membrane géotextile. ATES permet aux intervenants en aménagement du territoire de mieux comprendre les dynamiques de l'eau souterraine, mais également de produire le matériel visuel pour illustrer des scénarios de gestion et de protection lors de rencontres avec les élus ou avec la population.
Un outil transdicsiplinaire
À la confluence des sciences humaines et des sciences de la nature, ATES recourt à de nombreuses expertises. Il s'agit là de sa grande innovation, mais aussi de la grande difficulté de sa réalisation. L'application a été élaborée en étroite collaboration avec ses futurs utilisateurs (MRC, municipalités, organismes de bassin versant), ainsi qu'avec des représentants du MDDEFP et du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire. Ces partenaires ont été impliqués tout au long du processus : ils ont livré leurs perceptions par rapport à l'eau souterraine, exposé leurs préférences pour l'outil et en ont validé chacun des aspects. La sélection et la mesure des critères du risque de contamination ont requis le concours de nombreux chercheurs dans les domaines de l'aménagement du territoire, de l'eau souterraine, de l'eau potable, de l'aide à la décision territoriale, de l'économie des ressources et de la gouvernance de l'eau. Plusieurs consultants ont également participé aux aspects techniques de l'outil : ingénieurs civils, entrepreneurs en infrastructures publiques, spécialistes du forage de puits et consultants en urbanisme. Ainsi, ATES résulte d'un travail de concertation et de consensus multidisciplinaire et intersectoriel, traduisant les données scientifiques en vue d'une utilisation utile et pratique pour les professionnels.
Tous ces efforts pour s'assurer que la goutte d'eau à la surface du sol, faisant son chemin à travers le sable et les failles de la roche jusqu'à la rivière ou au robinet, arrivera dans les meilleures conditions ...
Auteur : Roxane Lavoie, doctorat en aménagement du territoire et développement régional, Université Laval
Source : L'Interdisciplinaire, journal étudiant de l'Institut EDS
[Journallinterdisciplinaire]
06/05/24 à 12h32 GMT