Avant sa mort, le 7 novembre 2016, le grand poète Leonard Cohen a lancé un avertissement prophétique comme titre de son dernier album : « You want it darker / We kill the flame ». En traduction libre : « Tu veux ça plus sombre/Nous soufflons la flamme ». En cette période où les nuits sont les plus longues dans l’hémisphère nord, la volonté de garder allumée la flamme déjà vacillante semble un défi gigantesque.
Aux États-Unis, des droits de la personne, des protections environnementales et des services sociaux sont balayés par décret présidentiel. La rhétorique belliqueuse d’une administration qui capitalise sur la division exacerbe les tensions raciales.
À l’heure où les feux de forêt font rage, où les tempêtes sont de plus en plus violentes et imprévisibles, où les inondations font des ravages, où la plupart des pays s’organisent pour atteindre les objectifs énoncés par l’Accord de Paris, l’industrie des énergies fossiles et ses laquais au pouvoir continuent de détruire des écosystèmes dans leur exploitation effrénée de chaque produit nuisible à l’environnement avant que les marchés en régression mettent fin à leur pillage.
Même les gouvernements qui prétendent s’attaquer aux changements climatiques continuent la promotion des oléoducs, de la fracturation et d’autres projets et infrastructures d’énergies fossiles. Nous assistons au spectacle désolant de deux chefs d’État immatures qui s’insultent avec le doigt proche du bouton nucléaire et qui risquent de nous entraîner dans une confrontation catastrophique.
Un autre grand poète, William Butler Yeats, écrivait ces vers visionnaires en 1919 : « The blood-dimmed tide is loosed, and everywhere / The ceremony of innocence is drowned / The best lack all conviction, while the worst / Are full of passionate intensity. » En traduction libre : « La marée teintée de sang monte/ Et partout, l’éloge de l’innocence se meurt. / Les meilleurs manquent de conviction/Alors que les pires/ sont animés d’une passion intense. »
Il n’est pas tout à fait vrai de dire que « les meilleurs manquent de conviction ». Mais, à l’heure où les jours se font plus sombres, on risque parfois de perdre tout espoir.
Gardons la flamme bien allumée !
Et déjà, les jours s’allongent et la clarté revient. Nous devons néanmoins agir pour que nos vies retrouvent leur éclat. La « passion intense » (ou peut-être la banale indifférence à la souffrance) de ceux qui sont prêts à imposer la misère à une majorité au profit d’une minorité n’est peut-être que le signe de l’agonie d’un ordre destructif et dépassé.
L’heure n’est plus à la complaisance. Nous devons montrer qu’une flamme vive nous anime. Le savoir, la bonté et la solidarité peuvent vaincre l’ignorance et la peur.
La vérité éclate au grand jour à l’heure où de plus en plus de gens repoussent les forces de la noirceur. Citons les mouvements #MeToo/#Moiaussi, Black Lives Matter et Idle No More. De plus en plus de femmes dénoncent ceux qui les oppriment par le viol, le harcèlement et le sexisme systémique.
Les gens de couleur se dressent contre la violence, la haine et les inégalités qu’ils subissent dans des pays qui proclament pourtant leur attachement à la liberté et à l’égalité. Les peuples autochtones font la démonstration de leur savoir et de leur pouvoir pour exiger la fin de l’oppression coloniale. Les gens d’affaires, les chefs religieux, les politiciens et les citoyens veulent des gestes concrets face aux changements climatiques et aux autres enjeux environnementaux. Des gens de partout trouvent des solutions aux problèmes que nous avons créés par ignorance et cupidité.
Nous devons aussi améliorer l’éducation, au pays et dans le monde. La stabilisation de la croissance démographique passe par l’éducation des femmes et des familles, ainsi que par l’accès à la contraception et à la planification des naissances. Les démocraties fonctionnent mieux lorsque leurs citoyens fondent leurs décisions et leur vote sur des faits, sur une pensée critique et une bonne compréhension plutôt que sur le tribalisme et une idéologie rigide. Ceux qui ont appris à exercer leur esprit critique face à la surabondance d’informations qui submerge notre quotidien sont mieux placés pour contribuer à un changement positif.
Dans de nombreuses cultures, le solstice d’hiver est l’occasion de faire le point, de se ressaisir et de réaffirmer son engagement. Lorsque la clarté revient progressivement, s’amorce le temps du renouveau. C’est le temps de célébrer l’essentiel qui apporte le vrai bonheur dans la vie : les amis, la famille, la nature, les liens. C’est aussi le temps de s’ouvrir et d’aider ceux qui sont moins favorisés.
Le moindre geste positif contribue à animer la flamme. Lorsque nous faisons le bien dans le monde, chaque geste, petit ou grand, s’ajoute à tous les autres et contribue à vaincre la noirceur. Un simple sourire fait à un étranger peut le réjouir et l’inciter à sourire à son tour à d’autres personnes, déclenchant ainsi une grande vague de joie.
Au nom de toute l’équipe de la Fondation David Suzuki, je vous présente mes meilleurs vœux de paix et de bonheur pour cette nouvelle année. Gardons notre flambeau bien haut pour faire de notre monde une grande société plus éclairée où il fait bon vivre.
Source: Fondation David Suzuki
Traduction : Michel Lopez et Monique Joly
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12/12/24 à 10h17 GMT