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Climat et maladies ont fait chuter l'Empire romain



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    Le Colisée, à Rome, construit en 80 après J.-C.. Photo : Pixabay

    Par Jean-Pierre Tuquoi du média environnemental français Reporterre 

    De nombreuses hypothèses existent pour expliquer la chute de Rome. Dans « Comment l’Empire romain s’est effondré », Kyle Harper, en croisant les travaux de plusieurs disciplines, avance que le déclin de l’empire est indissociable du développement des maladies infectieuses.

    Pourquoi l’Empire romain s’est-il effondré après avoir dominé des siècles durant le pourtour méditerranéen ? Les travaux d’historiens abondent. Plus de deux cents explications ont été recensées, qui vont de l’empoisonnement lent de la population par la vaisselle contenant du plomb à l’influence du christianisme ou à l’éloignement des valeurs morales qui fondaient la société romaine. Et pourquoi s’intéresser à cette question sur Reporterre, dédié non pas à l’histoire antique mais à l’écologie au quotidien ? C’est que l’auteur de Comment l’Empire romain s’est effondré renouvelle la question et intègre dans son modèle des données originales comme le climat et, plus généralement, les éléments naturels.

    Certes, il n’est pas le premier à le faire. Au début du XXe siècle, aux États-Unis, des universitaires plaçaient déjà les variations climatiques au cœur des changements historiques. Quelques décennies plus tard, lorsqu’il écrira sa monumentale Méditerranée, Fernand Braudel inclura lui aussi le climat mais dans une vision longue. Les modifications climatiques qu’il recense ne pèsent pas sur les évènements à l’échelle humaine. Le constat vaut également pour Emmanuel Le Roy Ladurie. L’historien du climat sous-estime celui-ci comme acteur majeur de l’Histoire alors que Kyle Harper en fait un élément central – mais pas unique.

    Le champ des connaissances a bondi depuis une vingtaine d’années 

    Avec Kyle Harper, voici donc le climat (et les facteurs qui le perturbent en amont) mais également les épidémies (et les éléments qui les propagent) au centre du jeu. L’universitaire étasunien, spécialiste de l’Antiquité tardive, s’intéresse aux variations de la course de la Terre autour du Soleil et à leur incidence, à l’activité volcanique, aux épidémies qui frappent les populations. C’est que ces facteurs pèsent sur l’Homme pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur : la période entre – 200 et 150 après Jésus-Christ, avec son climat chaud, humide et invariable dans la plus grande partie du bassin méditerranéen (les spécialistes parlent d’« optimum climatique romain », OCR), était « une période favorable pour créer un empire agraire », sans que les Romains en aient conscience. Le pire : les caprices des crues du Nil, qui mettent en péril la vie de millions d’individus.

    Si l’historien peut collecter et analyser des masses de données nouvelles, c’est que le champ des connaissances a bondi depuis une vingtaine d’années. L’étude des carottes glaciaires, celle des cernes des arbres, des pollens, l’essor de l’anthropologie physique (dont l’étude des populations dans les sépultures), le séquençage de l’ADN ont considérablement enrichi le regard sur la civilisation romaine autant que la multiplication des trouvailles archéologiques. Encore fallait-il, comme l’écrit l’historien Benoît Rossignol dans la préface, faire collaborer « les équipes d’archéologues qui fouillent minutieusement les sépultures, les historiens en quête de sources écrites pour reconstituer un contexte historique, les anthropologues analysant les ossements, les généticiens dans leur salle blanche puis face à leur séquenceur en quête de fragments anciens d’ADN, les biologistes et les épidémiologistes cherchant à reconstruire l’histoire de l’évolution du virus ou de la bactérie » pour déboucher sur une vision nouvelle de la fin de l’Empire romain.

    « Les germes ont été bien plus mortels que les Germains » 

    S’appuyer sur cette masse d’informations, l’ordonner, lui donner du sens, c’est l’exploit réalisé par Kyle Harper dans son livre. En s’appuyant sur des travaux scientifiques disparates qu’il croise avec maestria, il nous propose une vision inédite de la fin de l’Empire romain. Avec lui, on comprend que si l’apogée de Rome est indissociable de l’optimum climatique romain, son déclin est inséparable des maladies infectieuses qui l’ont frappé à plusieurs reprises. « La ville romaine était une merveille d’ingénierie civile[avec latrines, aqueducs et égouts, mais] en ville, les rats grouillaient, les mouches pullulaient, les petits rongeurs couinaient dans les passages et les cours (…) On se lavait peu ou pas les mains, et la nourriture ne pouvait pas être protégée des contaminations. La cité ancienne était un lieu d’insalubrité maximale », écrit l’auteur aux yeux de qui l’histoire de l’Empire romain tardif est inséparable de celle des pandémies qui l’accablent. Kyle Harper en recense au moins trois pendant cette tranche de temps, dont la dernière (une épidémie de peste bubonique) a fait, au bas mot, sept millions de victimes quand la bataille la plus sanglante de l’empire, celle d’Andrinople, contre les Goths, n’en a fait que vingt mille. Pour l’empire, « les germes ont été bien plus mortels que les Germains ».

    En conclusion de son ouvrage, l’historien étasunien fait observer que « l’histoire des civilisations est encore et toujours le déroulement d’un drame environnemental ». Une façon comme une autre de réveiller la conscience de l’homme du XXIe siècle à l’heure du changement climatique, de l’émergence de pandémies nouvelles ? Sans doute, même s’il est vrai qu’aux préoccupations et aux angoisses d’une époque correspond une lecture du déclin de l’Empire romain.

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