Le Programme de développement durable à l'horizon 2030 (dénommé ci-après le Programme 2030) correspond à la vision d'un monde plus juste et pacifique, dans lequel personne n'est laissé pour compte. Le programme fixe notamment des objectifs concernant la contribution de la pêche et de l'aquaculture à la sécurité alimentaire et à la nutrition, ainsi que la conduite des deux secteurs au regard de l'utilisation des ressources naturelles, dans un souci de développement durable sur les plans économique, social et environnemental et dans le cadre du Code de conduite de la FAO pour une pêche responsable (FAO, 1995)[1]. L’un des grands enjeux de la mise en œuvre du Programme 2030 est l'écart de durabilité entre les pays développés et les pays en développement, qui résulte en partie de l’accroissement de l'interdépendance économique et des capacités limitées des pays en développement en matière de gestion et de gouvernance (FAO, 2018)[2]. Pour résorber cet écart tout en progressant vers la cible relative à la reconstitution des stocks surexploités définie dans le Programme 2030, la communauté internationale doit aider les pays en développement à réaliser leur plein potentiel dans les secteurs de la pêche et de l'aquaculture.
Selon l’édition 2016 de la situation mondiale des pêches et de l'aquaculture de la FAO, la production de la pêche de capture en 2015 s’est établie à 91.6 millions de tonnes, soit environ 1.6% de plus qu'en 2014 (FAO, 2016)[3]. Au regard de cette situation, le secteur de la pêche joue un rôle crucial dans l’amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition humaine et de plus en plus important dans la lutte contre la faim. La sécurité alimentaire est assurée lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, salubre et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. Elles représentent une source importante d’aliments pour l’humanité, assurant un emploi et des bénéfices économiques à ceux qui les pratiquent. La pêche joue aussi un rôle essentiel dans la croissance économique et l'équilibre de la balance des paiements des pays côtiers de l’Afrique. En effet, l'étude réalisée par la FAO dans le cadre du nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) estime la valeur ajoutée en 2011 à plus de 24 milliards de $ EU, soit 1.26% du PIB de tous les pays africains. (FAO, 2014)[4] Cependant, la contribution du secteur de la pêche aux économies nationales des pays côtiers varie entre 2 et 6% du Produit national brut (PNB).
Au Sénégal, la pêche est essentiellement commerciale (Deme, s. d.)[5]. Deux formes de pêche s’y pratiquent (Fontana et Samba, 2013). Une pêche industrielle structurée qui se fait avec des bateaux (environ 100) et un sous-secteur artisanal traditionnel, dynamique (Kébé, 2008)[6] et informel. Ce dernier compte plus 13 000 embarcations et assure plus de 80% de la production nationale (MPEM, 2016)[7]. Cependant, plusieurs contraintes d’ordres socioéconomiques, environnementales et de gouvernances, liées à l’aménagement et au développement des pêches sénégalaises ont été identifiées.
Les contraintes socioéconomiques majeures de la pêche sénégalaise sont essentiellement liées à la rentabilité économique des unités de pêches artisanales particulièrement (Deme, s. d.), à la précarité des emplois et aux conditions difficiles de travail (Kébé, 2008), notamment pour les femmes transformatrices (Enda GRAF, 2013). Les ressources halieutiques et la biodiversité marine sont en effet mises en danger notamment par la surpêche. La forte demande nationale et étrangère en poisson en est principalement l’origine. D’autres menaces comme la pollution, l’urbanisation et les changements climatiques exercent aussi une pression constante sur les ressources halieutiques et la biodiversité marine et côtière. En réalité, les contraintes liées à la gouvernance sont de plusieurs ordres. Les incompréhensions de la notion de bien commun par les acteurs, les manques de système d’exploitation et mode de production harmonisés, de gestions, et de cogestions des acteurs constituent aussi des freins pour le développement de ce secteur.
Par ailleurs, la découverte du gaz en 2015 au Sénégal a marqué une étape cruciale dans le secteur de la pêche. Les réserves de ce gisement offshore situé à cheval sur les eaux territoriales mauritaniennes et sénégalaises sont estimées à 450 milliards de m3 de gaz. L’exploitation de ce projet Grand Tortue Ahméyim (GTA) est assurée par la multinationale British Petroleum (BP) et les premiers barils sont entendus en 2021. En réalité, l’exploitation pétrolière et gazière devrait générer 150 milliards de dollars pour l’économie sénégalaise.
Derrière le projet gazier de Saint-Louis offshore ou GTA, résident plusieurs composantes susceptibles d'impacter le milieu. Il s'agit notamment de la mise en place d'un brise-lame permettant aux navires-citernes de pouvoir accoster et de se ravitailler en gaz. Un terminal hub gazier sera érigé au niveau de la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal et une unité sera également mise en place à environ 11 à 13 km de la côte, pour la gazéification et la liquéfaction du gaz, précisent les sources ministérielles. Des activités non inoffensives sur l'équilibre de l'écosystème marin où les risques d'accidents et de catastrophes écologiques majeurs ne sont pas à écarter. Une pollution insidieuse et destructrice pour le milieu marin, liée au nettoyage, à la gestion des déchets toxiques en milieu marin où tout se déroule en pleine mer peuvent surgir. Alors l’exploitation de ces hydrocarbures augurent beaucoup de risque pour le Sénégal.
A Saint-Louis, la langue de Barbarie, constituée de villages traditionnels de pêcheurs comme Guet Ndar, Gokhou Mbath, est la première zone exposée. Parmi eux, les mareyeurs, les femmes transformatrices et plusieurs autres acteurs liés à la pêche. Il est question de déterminer la manière d'encadrer et accompagner le secteur afin de trouver un modèle d'adaptation pour ces pêcheurs. En effet, l’activité de pêche est une tradition pour la communauté vivant sur la Langue de Barbarie qui est une flèche littorale sableuse de la région septentrionale du Sénégal : Saint-Louis. Elle s’étire sur une trentaine de kilomètre, prise en étau par l’océan Atlantique et le fleuve Sénégal. En position d’interface, la flèche sableuse est un milieu à haute productivité biologique (Diop et al. 2008)[8]. Elle est ainsi, l’objet de nombreuses convoitises. Plusieurs activités et usages s’y développent. Ces derniers doivent cohabiter dans un milieu complexe et fragile où la création d’activités alternatives sont limitées. Cette pression de fonctions a pour conséquences une réduction et une compétition accrue. Ce qui non seulement prépare le terrain à des conflits d’intérêts mais aussi pèsent sur l’environnement littoral.
Sur la langue de barbarie, les zones habituelles de la pêche artisanale sont environ de 125 km des côtes, Mais il a été prescrit une zone d'exclusion, également appelé « périmètre de sécurité » de 500 mètres à l'intérieur de laquelle aucune autre activité ne pourra être développée pour des raisons de sécurité. Cela limite entre autres les possibilités de capture. L'impact va se situer d'abord au niveau de l'espace. Ils vont occuper des installations à protéger sur une périphérie de 500 mètres et pour des raisons de sécurité, les pêcheurs sont tenus à une certaine distance. Rajoutons aussi que, les installations sont considérées comme sources de pollution sonore et la lumière à l'origine d'un déséquilibre de l'écosystème, car éloignant certaines espèces au profit d'autres.
Au regard du milieu très convoité et très dense, et conformément à l’article 48 du code l’environnement, une étude environnementale préalable pour l’exploitation gazière est effectué par la multinationale BP. L'objectif de l'étude est d'identifier en amont les potentiels impacts environnementaux et sécuritaires que cette exploitation pourrait générer. A travers cette analyse, des mesures sont proposées pour atténuer les impacts ou une compensation en cas d'impossibilité d'atténuer l'impact.
Eu égard de ces considérations, l’Etat Sénégalise a alors recommandé à la multinationale de la prise en compte de la compensation de ces pêcheurs dans son programme de développement. C'est-à-dire les accompagner socialement de sorte que les ressources générées par ces activités de pêches ne puissent pas s'amoindrir avec l'exploitation pétrolière. L’Etat a aussi recommandé à la multinationale d’élaborer un plan d'engagement des parties prenantes et portant sur les préoccupations des populations. Au-delà, dans le cadre d'un plan RSE, la multinationale pourrait s'engager dans la formation des populations locales, la reconversion des pêcheurs, la construction d'infrastructures socio-sanitaires (local content), etc.[9]
Les activités de la multinationale BP deviennent dès-lors une source de perturbation pour le système des pêches artisanales ainsi qu’une source de préjudices sociales. Il est lieu de sécuriser ce système de pêche dans la zone et d’assurer l’évolution de cette communauté de la Langue de barbarie (pécheur, mareyeurs, femmes transformatrices…) vers une solide dynamique économique, sociale et environnementale.
[1] FAO. 1995. Code de conduite pour une pêche responsable. Rome.
[2] FAO. 2018. La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2018. Atteindre les objectifs de développement durable. Rome. Licence : CC BY-NC-SA 3.0 IGO. P.2
[3] FAO. (2016). La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2016 : contribuer à la sécurité alimentaire et à la nutrition de tous. Rome (I) : FAO.
[4] FAO. (2014). Deuxième Conférence internationale sur la nutrition (CIN2) | Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Repéré 18 février 2020, à http://www.fao.org/about/meetings/icn2/fr/
[5] Deme, M. (s. d.). Les effets du soutien financier de 1’Etat à la pêche artisanale : le cas du Sénégal. Centre de recherche océanographique. Repéré à http://horizon.documentation.ird.fr/exldoc/pleins_textes/pleins_textes_6/colloques2/36794.pdf
[6] Kébé, M. (2008). Le secteur des pêches au Sénégal : Tendances, enjeux et orientations politiques, 26. Repéré à https://www.oceandocs.org/bitstream/handle/1834/4586/Rapport_peche_FKF_VF.pdf?sequence=1&isAllowed=y
[7] MPEM. (s. d.). Plan de redressement du secteur de la pêche maritime (PRSPM): Mise en place de systèmes de droits d’accès aux ressources de la zone économique exclusive sénégalaise (no Rapport du groupe de travail Phase 1).
[8] DIOP, M. El A., TOURE, El H. O., KANE A, article, la flèche littorale de la langue de barbarie : un espace de risque conflictuel pour les activités de la pêche et du tourisme, 2008
[9] Pétrole et gaz offshore sénégalais : failles et innovations d’un plan inédit de gestion environnementale, 2018, Afrique.latribune.fr consulté le 21 févr. 20
Papa Senghor Dondé,
Ingénieur en Développement local
06/05/24 à 12h32 GMT