Un exploit économique, une menace environnementale. Multiplier la taille de son économie par 10 en 25 ans, voilà ce qu'a réussi à accomplir la Chine. Si le plus important rattrapage économique de l'histoire a sorti plusieurs centaines de millions de Chinois de la pauvreté, ce développement exponentiel ne s'est pas opéré sans heurts ni dommages. Les autorités de Pékin semblent avoir appris de leurs erreurs passées et entamer un virage « environnementalo-compatible » dans leur territoire. Mais il n'en est pas de même de leurs entreprises implantées à l'étranger. L'Afrique, nouvel eldorado en termes de matières premières, en fait les frais.
Les désastres de la Chinafrique
Peu expérimentées en dehors de la Chine, peu habituées à la contestation sociale ou environnementale, peu contrôlées, les entreprises chinoises en Afrique peinent à appliquer les plus élémentaires des standards internationaux en matière de gouvernance environnementale. De par le continent, les exemples de scandales environnementaux se multiplient depuis une dizaine d'années.
Premier acteur mondial dans le secteur hydroélectrique, la Chine multiplie en Afrique les projets de barrages : barrage de Merowe au Soudan, de Bui au Ghana, d'Inga en République démocratique du Congo (RDC), etc. La construction de ce dernier devrait entraîner le déplacement de 10 000 communautés et villages et impacter durablement l'environnement, composé de forêts humides. L'ONG chinoise International Rivers dénonce des projets qui visent avant tout à assurer l'électrification des mines, elles aussi exploitées par des entreprises chinoises, plutôt qu'à assurer l'accès au courant électrique à une population congolaise qui en est privée à 94%. « Les barrages sont une catastrophe pour l'environnement, poursuit l'ONG. C'est même ce que l'on peut faire de pire à un fleuve ».
Au Mozambique, l'industrie forestière chinoise exploite sans vergogne main-d'œuvre locale et forêts primaires regorgeant d'essences exotiques rares et menacées : mopane, ébène, panga panga, etc. En recrutant des bûcherons mozambicains, les entreprises chinoises contournent les licences d'exploitation et l'obligation de replanter des arbres, qui sont revendus cent fois plus cher sur le marché asiatique. Des pratiques illégales qui accélèrent la déforestation, entretiennent la corruption et maintiennent les populations locales dans la pauvreté. On estime ainsi que 93% de l'exploitation forestière au Mozambique serait illégale. Les forêts de RDC, du Cameroun, de Madagascar, de Gambie ou du Congo-Brazzaville seraient pareillement menacées.
Vers la fin de la lune de miel entre l'Afrique et la Chine ?
Les Africains commencent pourtant à relever la tête. De plus en plus régulièrement, des incidents témoignent de l'exaspération des populations, relayée par l'action des gouvernements africains. En Guinée équatoriale, ce sont deux Chinois qui ont été tués, en 2008, par des travailleurs dénonçant leurs conditions de travail. En 2012, le patron d'une mine chinoise en Zambie a également succombé aux coups de deux de ses employés. Madagascar a été le théâtre d'affrontements violents qui ont fait, en 2014, plusieurs morts et blessés au sein d'une usine de sucre.
À chaque fois, ce sont les conditions de travail, dénoncées par plusieurs ONG telles que Human Right Watch, qui ont créé l'étincelle. Un sentiment anti-chinois se répand à travers le continent, qui s'en prend à la concurrence d'une pléthorique main-d'œuvre chinoise « importée » sur place comme à celle, massive, des produits chinois vendus à bas prix sur les marchés africains.
Les gouvernements africains commencent eux aussi à prendre la mesure des méfaits d'une trop large ouverture à l'Empire du Milieu. En Zambie, le président Michael Sata a été élu sur un programme de défense des mineurs exploités dans les mines chinoises. Au Tchad, le gouvernement a, en 2014, infligé une amende de 800 millions d'euros à une entreprise chinoise d’extraction de pétrole, avant de la poursuivre devant la justice civile et pénale pour « dégradation de l'environnement et mise en danger de la vie d'autrui », selon le ministre tchadien de la Justice. En Tanzanie et au Malawi, les autorités ont adopté un train de mesures destinées à mieux contrôler la main-d'œuvre chinoise. Au Ghana, une centaine de mineurs chinois ont été arrêtés et expulsés en 2013 pour avoir exploité des mines illégalement.
La liste est longue de ces gouvernements africains qui dénoncent le déséquilibre de leurs relations avec la Chine, à l'image d'un ancien directeur de la Banque Nationale du Nigeria, selon qui « la Chine nous prend nos matières premières et nous revend ses produits manufacturés. C'est l'essence même du colonialisme ».
La Guinée prend un chemin dangereux
Alors que la plupart des pays africains semblent prendre conscience des ravages perpétrés par les entreprises chinoises sur leur environnement et leurs populations, la Guinée vient, pour sa part, d'ouvrir grand ses mines de bauxite à la Chine. Contre 200 millions de dollars, le pays d'Alpha Condé s'est engagé à extraire 10 millions de tonnes de bauxite au profit de l'entreprise China Hongqiao Group. La production devrait même exploser à 22 millions de tonnes d'ici à 2018. Un nouvel accord, révélé au début de l'année 2017, engage en outre la Guinée à livrer 12, puis 40 millions de tonnes de bauxite à l'entreprise Chinalco, et ce après seulement cinq ans d'exploitation.
Si le gouvernement guinéen fait miroiter l'aubaine – toute relative – que constitue ce partenariat en matière d'emplois, il omet sciemment d'avertir sur les conditions environnementales d'extraction de ce précieux minerai, indispensable à la production d'aluminium. Partout où les entreprises chinoises ont extrait de la Bauxite, comme en Malaisie ou en Indonésie, le corollaire, mines illégales, travail au noir et pollution massive a gravement endommagé l'environnement. Au point que les deux pays asiatiques ont, à l'instar des gouvernements africains susnommés, pris des mesures drastiques contre les entreprises chinoises. Une sagesse qui ne semble pas encore avoir touché la Guinée...
01/10/24 à 07h35 GMT