Faisant partie des activistes à la lutte contre le changement climatique, Jay RALITERA s’est lancée dans ce qu’on appelle « le nomadisme durable». Dans cette entrevue, elle raconte son aventure en tant qu’exploratrice de possibles.
Qu’est-ce qu’être une Exploratrice de possibles ?
Depuis longtemps, j’ai eu cette envie de voyager, d’aller au-delà de mes frontières connues pour aller découvrir les Autres, leurs cultures, leurs façons de penser, de faire, d’appréhender le monde. L’envie d’apprendre d’eux et d’elles ce que je n’aurais pas pu trouver seule sans leurs explications du monde.
Ma conscience environnementale ayant aussi évolué, j’ai commencé par m’intéresser au commerce équitable, puis au recyclage, à l’accaparement des terres, aux biens communs, à l’Eau, aux questions de justice sociale et environnementale, le tout couplé à mes convictions féministes. Et je suis devenue activiste climatique, puis éco-féministe.
C’est ainsi que j’ai créé Exploratrice de possibles.
Au début c’était le nom de mon projet de voyage en solitaire, mon nom d’artiste en quelque sorte. A travers cette expression, je signifiais au monde mon intention de le parcourir à la rencontre d’initiatives inspirantes : des projets existants qui contribuaient à améliorer le quotidien des gens en le rendant plus résilients et respectueux du vivant.
Il existe mille façons de voyager et de se réjouir de ses escapades, ma manière inclut :
Être une Exploratrice de possibles, c’est pour moi une manière de vivre mes convictions au quotidien et de les vivre en réalisant mes rêves, ceux de voyages notamment. C'est un état d’esprit où nous restons en alerte, ouvertes aux projets et aux façon de penser des Autres pour nourrir notre propre banque d’expériences et ainsi être capables de créer des ponts entre les différentes idées et savoir-faire. C'est enfin, démontrer qu'on peut être une femme, noire, jeune, et voyager seule.
En quoi parcourir le monde comme tu as fait contribue à la lutte contre les changements climatiques ?
Je dirais plutôt que mon voyage permet de donner un autre regard sur les impacts du changement climatique et les opportunités que nous pouvons proposer au lieu de subir celui-ci.
Premièrement, mon blog de voyage aborde la thématique du nomadisme/voyage durable : comment réduire ses déchets en voyage, du dilemme entre rapidité et volonté relative au temps de transport. J’y parle également, au travers de vidéos youtube, de projets sympas que j’ai rencontrés et qui sont facilement réplicables partout, ou d'astuces pour voyager écolo. Par exemple, j'ai fait du workaway dans un jardin de permaculture et dans des restaurants végan. Je suis partie rencontrer des jeunes faisant de la sensibilisation dans leurs campus et je suis allée interviewer un Swapshop. L'une de mes petites victoires est d'avoir organisé une simulation de négociation climatique, COP in MyCity, avec le Parti Communiste en Chine.
Deuxièmement, j’espère que cet essai va inspirer les gens à questionner leur pratique du tourisme. Ce marché est en pleine expansion depuis 20 ans, ce qui n’a pas que de bons côtés. Le tourisme de masse contribue à dégrader profondément les écosystèmes et les dynamiques sociales des pays qu’on visite. A travers le tourisme, nous diffusons inconsciemment l’idée que notre mode de vie, celui qui détruit tant et si bien notre climat et notre planète, est le meilleur.
Si nous souhaitons rester en dessous d'une augmentation globale de 2°C, nous devrions consommer mois de 1,7 tonnes de CO2 par an par habitant. Or, un aller/retour Paris Marrakech équivaut à environ 1 tonne de CO2, limitant drastiquement nos marges d’ajustement. Autre angle : consommer du plastique de façon frénétique, habitude si simple lorsque nous ne sommes en voyage, diminue nos ressources globales en eau et pollue nos océans. Le même lien se fait avec le végétarisme. Se sont des facteurs simples avec lesquelles nous pouvons composer. L’idée est surtout de dire, à travers nos choix de consommation, que nous souhaitons faire évoluer nos sociétés vers des modes de vies plus durables. Alors, bien sûr, à moi toute seule je ne vais pas transformer le marché du tourisme, mais je peux en parler.
Par exemple, mon projet m’a permis de gagner un concours instagram avec Greentripper, une entreprise qui permet aux voyageurs et voyageuses de compenser leurs émissions de carbone. Grâce à cela, j'ai compensé 1,07 tonnes de CO2 au profit d’un projet au Kenya permettant d’éviter la déforestation grâce à l’utilisation de filtres à eau. La compensation de nos voyages est une première étape vers un monde moins carboné. La prochaine étant de voyager plus proche de chez soi et en limitant les avions.
C’est comme ça que je lutte, en permettant aux gens de se questionner. La suite du chemin, ils et elles la décideront seul.e.s.
Qu’est-ce qui t’a motivé pour mener le combat contre les changements climatiques ?
La logique ?
Plus sérieusement, pour moi l’anthropocène est la cause directe de nos choix passés où nous faisions sans nous soucier des conséquences de nos actes, à faire sans empathie, créant disparité sociale, environnementale, ethnique, sexiste. Aujourd'hui, de plus en plus de personnes pensent à l'impact, pas seulement climatique, de nos activités. C'est notre manière de dire que nous souhaitons évoluer.
A travers mes actions je vois qu’il est possible de lier des combats de l’ordre du féminisme et de l’accès aux droits et aux chances pour toutes et tous, de parler de la place des pays dits en voies de développement, et donc de façon sous-jacente de questionner les conséquences du colonialisme. A travers la lutte contre les effets du changement climatique, nous pouvons parler d'équité intergénérationnelle ou du fait que nous devons regarder la place de l’économie dans nos processus de prise de décision. Le changement climatique touche tous les pans de nos vies: emplois, développement, santé, éducation.
Mon objectif : contribuer à la Sustainable Human Evolution !
Pourrais-tu nous dire le trajet effectué ? Pourquoi as-tu choisi ce trajet ? Tu l’as fait en combien de temps ?
Je suis partie le 23 novembre 2016 de Paris.
Mon trajet s’est dessiné avec une bonne dose de coups de cœur, de curiosité, le désir de prendre des types de transports à haut potentiel d’émerveillement et avec l’envie de vivre des expériences climatiques extrêmes. J’ai sauté dans mon bus en direction de Londres - la ville de mon tout premier voyage en solitaire - et ai passé mon hiver entre le Royaume-Uni, la Suède, la Finlande et la Russie. J’ai pris des ferries dans toute l’Europe pour finir dans le transsibérien, de Moscou à Vladivostok, un rêve de baroudeuse. Puis je suis allée passer le printemps en Corée du Sud - trajet effectué en avion pour des raisons de visa - puis l’été au Japon et en Chine. J’ai ensuite pris l’avion pour Madagascar, pour des raisons familiales.
Grâce à mon trajet j’ai aussi rencontré des personnes avec lesquelles j’avais pour l'organisation d'un événement sur le climat, la COY 11.
Ça m’a pris un peu moins d’un an, 30 258 km, 2,9 tonnes de CO2 (1,07 tonnes sans le trajet Hong-Kong / Antananarivo), quelques 660 repas végétariens, et des photos de mes déchets tout au long de mon voyage.
A part toi, y a-t-il d’autres explorateurs de possibles ?
OUI ! Il y en a pleins. Partout. Pas encore sous cette dénomination, mais j’en ai rencontré qui partageaient ce même esprit d’aventure et de découverte, cette même envie de laisser des empruntes environnementales basses.
Au Japon, j’ai vécu avec un couple d’Allemand qui avait fait le trajet Berlin / Tokyo en vélo. Un ami à moi a également parcouru l’Asie de la même manière quelques mois plus tôt. Il y a en ce moment une vague de voyageurs et voyageuses qui partent à la rencontre de projets résilients, en plus de leurs objectifs de tourisme : des explorateurs et exploratrices de possibles.
Qu’as-tu appris de cette expérience ?
« On croit partir pour découvrir le monde et c’est à soi-même qu’on se révèle. » Je ne sais plus qui a dit cette phrase: elle exprime ce que j’ai ressentis tout au long de mes découvertes.
L’aventure ayant pris fin, quelle sera donc la suite ?
Concernant le projet « Exploratrice de possibles » en lui-même, je me suis rendue compte au cours de ce périple que j’avais renforcé et appris des dizaines de compétences utiles dans le cadre professionnel : gestion de projet, réseau, community management, recherche de financement, management cross-culturel ou encore liens avec les partenaires. Je souhaite pouvoir transformer ce projet en un programme d’apprentissage par le voyage à destination des jeunes femmes, surtout des jeunes femmes issues de pays d’Afrique.
Pour ce qui est du reste, je suis actuellement à Madagascar. J’ai toujours eu envie de m’y installer et de pouvoir contribuer au développement du pays de mes ancêtres. Cela me fait toujours mal au cœur d’entendre des personnes se plaindre que le pays va mal mais de les voir le quitter dans la même dynamique. Je fais partie de celles et ceux qu’on nomme les repats : des gens qui désirent contrer la fuite des cerveaux et contribuer à une autre narrative positive, celle où nous faisons ensemble.
Un petit mot pour les jeunes francophones qui nous suivent ?
3 choses :
* Ayez le courage d’aller au bout de vos convictions. La force de votre détermination fera le reste.
* Il y a plus de gens qui parlent français que ce que vous croyez. J’ai toujours rencontré des francophones partout où je me rendais, même dans un train, au milieu de la Sibérie, en plein hiver ! La langue française est une force impressionnante si on sait tendre l’oreille.
* Rejoignez le mouvement des Exploratrices de possibles !
Liens vers ses projets : Facebook, Instagram, Youtube, Tipeee
Pour calculer votre empreinte carbone: : http://avenirclimatique.org/
L'initiative jeunesse de lutte contre les changements climatiques a pour objectif de sensibiliser les jeunes francophones aux changements climatiques. Elle permet également de faire connaître les actions et l’engagement de la jeunesse francophone pour lutter contre les changements climatiques sous la forme d’une série d’articles.
[IJLCC]
Pour plus d’informations, consultez le dossier Médiaterre de l'Initiative Jeunesse de lutte contre les changements climatiques [IJLCC]
01/10/24 à 07h35 GMT