Voiture à hydrogène. Wikimedia, CC BY-SA
Laurent Antoni, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – Université Paris-Saclay
L’usage de l’hydrogène comme vecteur énergétique reste aujourd’hui encore très limité. Mais la lutte contre le réchauffement climatique qui implique le recours à des énergies primaires « décarbonées » nécessite la généralisation de nouvelles sources d’énergie, sûres et respectueuses de l’environnement.
Gaz très répandu, l’hydrogène, produit à partir d’énergies renouvelables, apparaît comme une solution complémentaire aux vecteurs énergétiques plus largement utilisés : électricité et chaleur. Il permet, en effet, de relier les différents secteurs d’énergie (électricité, chaleur, carburants liquides et gazeux) et les réseaux de transport et de distribution. Ceci conduit à accroître la flexibilité opérationnelle et la résilience des futurs systèmes énergétiques à bas carbone.
L’hydrogène dans la transition énergétique
On peut faire le compte de ce que peut apporter l’hydrogène dans la réalisation de la transition énergétique : sept rôles, répartis entre le soutien à l’intégration des systèmes à énergies renouvelables et « décarbonation » des usages.
En quoi l’hydrogène peut être utile. CEA, CC BY
1. Favoriser l’intégration des énergies renouvelables et la production d’énergie à grande échelle
L’hydrogène favorise l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans les systèmes énergétiques. L’électrolyse de l’eau ou de la vapeur d’eau produit de l’hydrogène en consommant l’énergie électrique lorsqu’elle est en excès. Cet hydrogène peut être valorisé soit dans d’autres secteurs, soit stocké massivement avant d’être reconverti en électricité en période de déséquilibre entre production et demande d’énergie.
Expérimentation. CEA, CC BY
Les électrolyseurs alcalins, produits commerciaux, consomment de 50 à 60 kWh/kg H2. Dans l’optique d’une production massive d’hydrogène, le CEA s’est focalisé ces dernières années sur la technologie très prometteuse d’électrolyse à haute température qui ne consomme que de 35 à 40 kWh/kg H2 et permet de produire, avec le même réacteur, des gaz de synthèse par co-électrolyse de vapeur d’eau et de CO2. Des premiers systèmes ont été validés en laboratoire.
2. Distribuer l’énergie entre divers secteurs et régions
La production et la consommation d’énergies n’étant pas forcément situées au même endroit, il est nécessaire d’adapter les infrastructures à l’intégration des énergies renouvelables pour assurer la sécurité d’approvisionnement en énergie. Le besoin de transfert transfrontalier d’énergie va perdurer avec des pays plus ou moins producteurs et des capacités de stockage d’électricité variables. L’émergence d’un nouveau « mix » de centrales de production d’énergie centralisées et décentralisées nécessitera également d’ajuster les infrastructures aux niveaux régional et local.
Les différents modes de stockage (gaz, liquide, solide) et de transport (réseaux, voies maritimes ou routières) de l’hydrogène permettront de redistribuer l’énergie de manière efficiente et durable sur de longues distances ou localement.
3. Servir de stockage tampon pour améliorer la résilience des systèmes énergétiques
La différence entre demande et production intermittente d’énergie nécessite d’adapter les capacités de stockage des vecteurs énergétiques pour assurer la stabilité des systèmes. En complémentarité avec l’électricité, l’hydrogène présente l’avantage de pouvoir être stockée sans perte, en grande quantité dans des réservoirs ou des cavernes et sur de longues durées comme réserve tampon ou stratégique.
La connexion des électrolyseurs au réseau électrique offre, en outre, un service de stabilisation du réseau qui conduit à une réduction de 40 % à 60 % de la durée de retour sur investissement. Dans ce contexte, la définition et le dimensionnement des systèmes énergétiques apparaissent de plus en plus complexes.
Le CEA a développé Odyssey, un logiciel de modélisation-simulation pour l’optimisation des systèmes énergétiques sur la base d’une aide à la décision multi-échelles (composants, systèmes, site ou territoire), multicritères (technique, économique, réglementaire, environnemental) et multi-énergies (hydrogène/gaz, électrique, thermique). En termes de stockage, un couplage batterie/chaîne hydrogène constitue généralement la meilleure solution.
4. Décarboner les transports
Les véhicules électriques à hydrogène (FCEV) ont un rôle important à jouer. La combinaison de véhicules électriques à batterie et à hydrogène permet de concilier « zéro émission », « confort du conducteur » et « flexibilité des usages ». Les FCEV seront pertinents pour les usages très intensifs en énergie comme la traction ou la fourniture d’électricité à bord (grands rouleurs, camions, bus, cars, bateaux, trains…) et nécessitant des vitesses de remplissage comparables aux véhicules thermiques actuels.
Une combinaison de véhicules électriques à batterie et à hydrogène réduira les coûts d’investissement d’infrastructure pour la recharge des véhicules. Au final, même si la mobilité hydrogène n’est pas l’unique solution pour relever les trois défis de la pollution, des gaz à effet de serre et de la transition énergétique, elle est un outil efficace pour leur répondre de façon simultanée.
5. Décarboner l’énergie utile à l’industrie
Le vecteur hydrogène renouvelable est un atout pour « décarboner » l’industrie en fournissant d’une part l’hydrogène nécessaire aux procédés industriels (notamment pour les raffineries, premiers consommateurs d’hydrogène), d’autre part l’électricité et la chaleur avec des piles à combustible de puissance ou des brûleurs, en particulier pour des sites disposant d’hydrogène comme coproduit.
L’électrolyse à haute température permet également de valoriser la chaleur industrielle en produisant de l’hydrogène à haute valeur ajoutée et ce avec un rendement amélioré grâce à cet apport de chaleur.
6. Contribuer à décarboner les bâtiments
Au Japon, plus de 200 000 systèmes de micro-cogénération à pile à combustible, fonctionnant à partir de gaz naturel, ont été installés dans des habitations depuis 2010 pour une prévision de 5,3 millions en 2030. Avec les énergies renouvelables, nombre de nouveaux bâtiments sont conçus pour limiter leur consommation énergétique voire en produire une partie ou même plus qu’ils n’en consomment (voir :). Ils restent cependant tributaires du réseau électrique car, du fait de l’intermittence des énergies renouvelables, ils en ont besoin en temps réel soit pour s’y alimenter, soit pour y injecter le surplus d’électricité.
Une chaîne hydrogène permet de pallier cette intermittence en stockant les surplus et en les réutilisant au besoin. Un bâtiment peut ainsi être alimenté en continu avec de l’énergie produite localement. Sur la base des recherches du CEA/Liten sur la pile à combustible et l’électrolyseur à haute température réversible, la start-up Sylfen a développé une solution hybride appelée Smart Energy Hub à l’échelle de bâtiments dans un premier temps, puis de quartiers ou territoires. Le système doté d’une réserve permanente peut basculer instantanément de la charge à la décharge et répondre aux pics de consommation.
CEA, CC BY L’apport de l’énergie hydrogène pour les bâtiments. CEA, CC BY
7. Servir de matière première consommatrice de CO2 séquestré
Le pétrole brut et ses dérivés sont actuellement utilisés comme matière première dans l’industrie chimique, des carburants, des plastiques et des produits pharmaceutiques. Si les technologies de séquestration ou d’utilisation du CO2 se déploient, elles nécessiteront de l’hydrogène renouvelable pour convertir, dans le cadre d’une économie circulaire, le CO2 capturé en produits chimiques de base comme le méthanol, le méthane, l’acide formique ou l’urée. D’autres industries comme la cimenterie ou la sidérurgie pourront également en bénéficier.
Il existe des projets pilotes comme en Islande pour produire du méthanol. La technologie d’électrolyse à haute température développée au CEA a été testée avec succès en mode co-électrolyse de la vapeur d’eau et du CO2 pour produire du syngas H2 CO, précurseur pour la synthèse des molécules précédemment mentionnées. Ceci confirme le potentiel très important de cette brique technologique.
Potentiel de l’hydrogène à l’horizon 2050
En tant que vecteur énergétique, l’hydrogène est une brique technologique clé de la transition énergétique vers une économie bas carbone. Il favorise les systèmes à zéro émission, facilite les liens entre les différents secteurs, contribue à la sécurité d’approvisionnement en énergie.
Les technologies de l’hydrogène sont matures et prêtes au déploiement dès aujourd’hui dans de nombreuses applications de l’énergie et des transports.
L’hydrogène pourrait ainsi contribuer d’ici 2050 à 18 % de la demande totale en énergie (moins de 2 % actuellement) conduisant à un abattement annuel de 6 gigatonnes d’équivalent CO2 pour un marché mondial de 2 500 milliards de dollars et la création de 30 millions d’emplois.
Cet article est publié en partenariat avec le CEA dans le cadre de la nouvelle formule du magazine Clefs dont le deuxième numéro est consacré à la transition énergétique.
Laurent Antoni, Responsable du programme « Hydrogène et piles à combustible » au CEA/Liten et président de l’Hydrogen Europe Research Association., Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – Université Paris-Saclay
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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01/10/24 à 07h35 GMT