Le développement du marché des voitures électriques se heurte à une réalité : le réseau routier français n’offre pas suffisamment de bornes de recharge pour convaincre beaucoup de Français de sauter le pas. Un dossier où les pouvoirs publics vont devoir mettre les bouchées doubles.
C’est officiel : la France veut passer à l’électrique. Si les intentions sont bel et bien au rendez-vous de la transition écologique, la réalité du terrain et le manque de moyens financiers tempèrent malheureusement l’optimisme ambiant. Le gouvernement français a beau avoir lancé une campagne de séduction à l’attention des automobilistes (voir le site je-roule-en-electrique.fr), les adeptes de l’électrique sont encore confrontés à un écueil imparable : un réseau de bornes de recharge ultrarapide largement insuffisant.
Le gouvernement fait pourtant son possible pour convaincre. Les aides gouvernementales pour l’achat d’un véhicule propre – les fameuses « primes à la conversion » – peuvent « aller jusqu’à 5000 euros pour l’achat d’un véhicule électrique ou hybride », auxquels se cumulent « jusqu’à 7000 euros de bonus écologique pour un particulier, en fonction du prix du véhicule ». Des aides que trois ministres – Barbara Pompili à la Transition écologique, Bruno Le Maire à l'Economie, et Agnès Pannier-Runacher, à l’Industrie – ont même décidé de prolonger jusqu’au 30 juin 2021. Un coup de pouce réel, certes, mais les freins à l’essor de l’électrique sont ailleurs : il suffit aux acheteurs potentiels d’un véhicule électrique de jeter un coup d’œil à la carte de France pour voir que les régions qu’ils souhaitent traverser ne sont pas équipées. Et là forcément, cela refroidit leurs ardeurs.
« La France compte aujourd'hui 28 928 points de recharge électrique ouverts et accessibles au public », dénombrait Autoplus en novembre 2020. Mais le magazine automobile relevait surtout la stagnation du nombre de ces installations, 0,2 par rapport à juin. Lors de leur Comité stratégique de la filière en novembre dernier, les ministres Pompili, Le Maire et Pannier-Runacher ont affiché la volonté de l’État français de porter ce nombre à 100000 bornes dès 2021, via le plan de relance automobile. « Cent millions d’euros seront déployés pour soutenir le développement de points de recharge ultra-rapide dans les territoires, sur les grands axes nationaux, afin de permettre facilement des déplacements longue distance », précise le gouvernement. Un budget qui ne répond malheureusement pas aux besoins.
Cent millions donc, alors que certains professionnels des transports en France avancent plutôt trois milliards afin de convertir la France à l’électrique. Le pays s’est engagé à ne plus commercialiser de voitures à moteur thermique d’ici 2040, la course contre la montre est donc bel et bien lancée. Fin 2020, le très médiatisé Plan de relance de 100 milliards a chiffré ses ambitions : le volet transport cumule à lui seul 11 milliards d’euros, dont 4,7 pour le seul transport ferroviaire. La route, quant à elle, est la grande oubliée du fameux plan. Un déséquilibre d’autant plus incompréhensible qu’en dix ans « la circulation routière a augmenté de 8% en France » selon les chiffres du transport 2019, « tandis que la circulation des trains de voyageurs est restée globalement stable ». Si la SNCF va voir revenir quelques trains de nuit et opérer un vrai lifting sur les grandes lignes, c’est pourtant par la route que les Français se déplacent le plus : en 2018, « 941 milliards de voyageurs-kilomètre ont e%u0301te%u0301 transportés sur le territoire français : 757 milliards en véhicules particuliers, 111 milliards en transport ferre%u0301, le reste en autobus et autocars ou en avion ». C’est un fait, la route ne semble décidément pas prioritaire alors qu’elle mériterait plus d’attention.
Mais tout n’est pas qu’une affaire de chiffres et de gros sous. Le réseau routier français doit être repensé en fonction des besoins de demain, accompagnant la transformation en cours vers un monde « zéro carbone ». Le renforcement du réseau des bornes de recharge n’est donc pas un gadget, c’est une nécessité, car ces bornes sont essentielles à un transport durable, sur le réseau des routes nationales et départementales comme sur le réseau autoroutier français.
Pour y parvenir, le gouvernement a donné le ton : en février, il a publié un décret stipulant l’obligation pour les SCA (sociétés concessionnaires d’autoroutes) d’assurer d’ici janvier 2023 la distribution de l’ensemble des sources d’énergie usuelles. Electrique compris. « Il y a beaucoup à faire sur l’autoroute pour décarboner les mobilités: en déployant des bornes de recharge électriques, des parcs multimodaux, ou encore des parkings de covoiturage », a tweeté dans la foulée Pierre Coppey, PDG de Vinci Autoroutes. Cet opérateur autoroutier – le nº1 français avec près de la moitié du réseau – met aujourd’hui en place des partenariats avec des acteurs régionaux pour densifier son réseau de bornes, via sa filiale Easy Charge. Dans le sud-est de la France par exemple (Drôme, Ardèche, Isère, Hautes-Alpes et Haute-Savoie), Easy Charge – en collaboration avec le Fonds de modernisation écologique des transports (FMET) – développe le réseau eBorn (1200 installations en accès libre). Courant 2021, ce réseau s’élargira aux départements voisins (Allier, Alpes-de-Haute-Provence, Loire, Haute-Loire, Savoie et Var).
« En transformant l’infrastructure autoroutière avec des aménagements et des équipements ciblés – comme des bornes électriques, par exemple –, on crée les conditions du déploiement de mobilités plus efficientes, plus collectives, plus propres, soulignait également le même Pierre Coppey dans les colonnes de La Dépêche, en septembre dernier. L’autoroute n’étant pas un mode de transport, mais une infrastructure capable d’accueillir toutes sortes de modes et d’usages, elle constitue un terrain propice au développement de toutes les formes d’écomobilités. » Si la mobilité durable et décarbonée est sur toutes les lèvres depuis la COP21 de Paris, il reste encore beaucoup à faire sur le terrain en termes d’accompagnement public pour réussir le pari de la transition énergétique.
Dernier point, et non des moindres : autorités publiques et opérateurs privés doivent garder à l’esprit que les véhicules électriques ne sont pas un caprice de bobo parisien. La France tout entière va devoir se convertir, les territoires ruraux également. Et pour l’instant, c’est encore là que le bât blesse. Trop de régions sont encore dépourvues de bornes de recharge ultrarapide. C’est par exemple le cas vers Limoges où la nouvelle carte présentée en février par le ministre des Transport Jean-Baptiste Djebbari ne révélait aucune nouvelle borne. « On manque de bornes aujourd’hui en Limousin, déplore Gaëtan Fercocq, vendeur de voitures électriques, au micro de France 3. Il va nous en falloir beaucoup plus pour suivre le marché français qui est exponentiel pour les véhicules électriques. » Une carence à laquelle il faudra donc apporter une réponse au plus vite. D’autant que l’installation de ces bornes – et leur maintenance car nombre d’entre elles sont déjà en mauvais état – sera aussi synonyme d’emplois locaux. Une triple vocation donc – désenclavement, transition énergétique et emploi – que les pouvoirs publics ne peuvent ignorer. Dans ces conditions, le plan de cent millions d’euros ne semble vraiment pas correspondre à la hauteur des ambitions revendiquées par le gouvernement.
01/10/24 à 07h35 GMT