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Viande de brousse au Burkina Faso



  • RESUME EXECUTIF DE L’ETUDE

    La consommation de la viande de brousse constitue un enjeu majeur pour l’ensemble des acteurs de cette filière car, elle n’est ni suffisamment organisée ni efficacément contrôlée. Aussi, les acteurs se retrouvent-ils dans une situation où le besoin est sans cesse croissant face à une raréfaction de la venaison. C’est pour répondre à cette préoccupation que l’Association Amnistie pour l’Eléphant (AAPE) a initié cette étude pour faire l’état des lieux de la filière viande de brousse dans les zones de production de Konkonbouri, ainsi que dans les centres de consommation, notamment les villes de Pama, Fada N’Gourma et Ouagadougou ; et ce, en vue de dégager des perspectives pour la promotion commerciale de cette filière. Pour atteindre les résultats de la présente étude, l’approche participative basée sur le principe de la recherche-action a été privélégiée.

    En rappel, la réforme de la gestion de la faune entamée en 1995, a engendré des résultats assez intéressants parmi lesquels, la restauration ainsi que le développement d’espèces endémiques autrefois menacées d’extinction (éléphants, crocodiles, pythons, lycaons, léopard, etc.). C’est ainsi qu’elle a permis :

    - la réorganisation de la gestion des ressources fauniques, à travers la création de nouvelles structures à la base telles que les Unités de Conservation de la Faune (UCF) et les Comités Villageois de Gestion de la Faune (CVGF) ;
    - l’implication des opérateurs privés dans la valorisation des ressources, et particulièrement les concessionnaires de zones et les guides de chasse ;
    - la responsabilisation des populations riveraines des zones concédées qui au terme des protocoles de gestion des UCF reçoivent : (i) - les 3/4 des carcasses des animaux abattus, (ii) - 50 % des taxes annuelles de gestion de la concession, (iii) - des appuis des concessionnaires pour l’aménagement et la valorisation de leurs Zones Villageoises d’Intérêt Cynégétique (ZOVIC), des appuis spécifiques liés à l’utilisation de la main d’œuvre locale et aux projets de développement de la faune. Ce qui a permis aux communautés de réaliser certaines infrastructures socio-économiques. Cependant, des améliorations sont à préconiser aussi bien sur la gestion technique des concessions que sur la participation des communautés à la gestion des zones tampons ou des ZOVIC attenantes aux concessions.

    D’une manière générale, les acteurs se sont résolument engagés dans cette reforme sans moyens techniques, humains et financiers conséquents au regard de leurs ambitions. Il faut donc reconsidérer et actualiser certaines données des plans d’aménagement et des protocoles de gestion pour élaborer des programmes cohérents et réalisables sur le terrain. En outre, les textes juridiques méritent une plus large diffusion auprès des acteurs de la faune.

    Les zones de collecte de la viande de brousse sont situées tout autour des aires de concentration de la faune que sont les parcs et réserves de faune, ainsi que dans les forêts classées aménagées. Au niveau de Ouagadougou ces zones ceinturent le Parc National de Pô dit Kaboré Tambi, la forêt classée des deux Balé, les concessions de chasse de la Sissilli, du Ranch de Gibier de Nazinga, des chantiers d’aménagement forestier pour la production du bois de chauffe de Kassou, Bognounou, Nabilpaga, Silly et Zawara ; ou encore des forêts classées de la province d’Oubritenga (forêt classée de Bissiga) du Sanmentenga (Yabo et Nakambé) et du Ganzourgou (Wayen et Gonsé). Dans les zones de chasse concédées, le taux d’exécution des quotas prévus s’améliore, passant de 40,8% en 2001 à 66,6% en 2005

    L’exploitation de la faune connaît beaucoup de difficultés en l’occurrence conjoncturelles (comme l’absence d’indication des lieux de chasse sur les permis, l’envahissement des zones par les agro-pasteurs et par les agro-businessmen, le braconnage, etc.), mais également des difficultés d’ordre structurel comme la pauvreté en milieu rural, la non maîtrise des techniques d’aménagement, de gestion et de commercialisation, de même que les textes réglementaires par les populations locales entamant de ce fait le partenariat avec l’Etat et les opérateurs privés.

    Selon les textes législatifs, trois types d’acteurs commerciaux sont à retenir dans l’organisation de la filière viande de brousse: les commençants grossistes, les commerçants détaillants, les restaurateurs. Cependant il n’existe pas des commerçants détaillants dans les zones étudiées. Il en est de même en ce qui concerne les commerçants grossistes dans les zones semi-urbaines et rurales (Fada et Pama).

    A ces acteurs de la filière, il s’est avéré indispensable d’adjoindre les producteurs (éleveurs de gibier et chasseurs) et les consommateurs, qui influencent énormément les activités commerciales de la filière viande de gibier.

    Les éleveurs de gibier sont actuellement des amateurs. Leur motivation pour l’activité vient essentiellement de la demande très forte en gibier au niveau de la ville de Ouagadougou. On les rencontre dans les banlieues de Ouagadougou où la majeure partie mène l’élevage avec quelques couples d’aulacodes (une dizaine). Certains éleveurs ont des systèmes de suivi et de capitalisation des expériences sur les facteurs clés de l’élevage tels que l’alimentation, l’habitat, les soins et les traitements des animaux. On peut citer les expériences de Mr Clark Lungren à Koubri, où l’évaluation de la rentabilité interne de certaines espèces a permis de dire que l’activité peut être à court terme très intéressante. Ces éleveurs reçoivent l’appui financier de plusieurs bailleurs de fonds parmi lesquels le PAUCOF, l’UICN Burkina, le projet ADELE, le PDR-Boulgou et le Projet d’Appui aux Micro- Entreprises Rurales (PAMER). Une structure d’encadrement, de formation et de capitalisation des acquis pourrait assurer la durabilité de l’activité.

    Au niveau des chasseurs, on distingue les touristes, les chasseurs expatriés, les chasseurs nationaux. Les chasseurs touristes chassent dans un cadre sportif, souvent à la recherche de trophées. Ils respectent l’éthique de la chasse et une partie de la viande qui en est issue de la chasse est rétrocédée aux populations. A cet effet, on note un regain d’intérêt dans la région de l’Est Burkina depuis 2003.
    Les chasseurs expatriés chassent généralement le gros gibier pour la viande qui est revendue dans les centres urbains. Ils se rencontrent essentiellement dans les villes de Ouagadougou et de temps à autres certains proviennent des pays voisins.

    Les chasseurs nationaux regroupent les chasseurs modernes des villes et les chasseurs traditionnels des campagnes. A Ouagadougou, ils se sont regroupés au sein de deux associations formelles et à Fada N’Gourma, il existe une association informelle. Ces associations poursuivent tous les mêmes buts parmi lesquels, la revendication de zones de chasse et de meilleures conditions financières pour exercer la chasse dans les zones concédées. Des propositions ont été faites pour revoir les tarifs au niveau des concessions, mais également pour trouver des zones et des appuis financiers pour leur permettre de poursuivre leurs activités. Les chasseurs traditionnels chassent le petit gibier dans les terroirs villageois. Le plus souvent, ils sont engagés par des restaurateurs qui récupèrent les produits de la chasse. Ils ne sont pas organisés.

    Le braconnage se rencontre dans toutes les catégories de chasseurs. Les braconniers jouent sur le manque de capacité des services forestiers à assurer le contrôle permanent des zones

    A Ouagadougou, les commerçants grossistes sont organisés en association comptant trente deux (32) membres. Ils parcourent généralement les marchés situés à la lisière des zones fauniques à la recherche de petits gibiers chassés, légalement ou illégalement. Ils utilisent des moyens de bord (transport en commun, vélo, moto, ou véhicule privé) pour le transport de la venaison. Certains d’entre eux sont financés par des restaurateurs de la ville de Ouagadougou. Malheureusement, compte tenu des distances à parcourir, les produits se décomposent en cours de route. Les espèces les plus remarquables dans la vitesse de décomposition sont les phacochères, les hippotragues et les cobes de Buffon. A l’arrivée, les restaurateurs les rejètent et les avances perçues pour le travail deviennent des problèmes pour ces commerçants qui doivent convoyer d’autres produits les solder.

    Les restaurateurs sont généralement constitués de femmes qui exercent dans la restauration et dans la boisson. Elles sont dans l’ensemble alphabétisées, tenancières de débits de boisson et gérantes de restaurants. Elles subissent des pertes dues essentiellement à la mauvaise conservation de la viande, à la surcharge des congélateurs, aux coupures de courant ou encore le conditionnement dans un même congélateur de plusieurs espèces de gibier. Ces femmes sont organisées avec à la clé une association dynamique à Ouagadougou (Association des marchands et restaurateurs de viande sauvage du Kadiogo) qui compte quarante trois (43) membres. Elles participent à la sensibilisation des restaurateurs illégaux qui du reste ne permettent pas une harmonisation des prix de vente à la restauration. Malheureusement, tout comme au niveau des commerçants grossistes l’hygiène n’est pas assurée. Quant à la cuisine, le mélange des viandes ne permet pas d’obtenir les goûts spécifiques de chaque espèce.

    Les consommateurs n’ont pas de caractéristiques particulières. Les consommateurs rencontrés sont constitués en majorité d’hommes. Ce sont des personnes attirées pour le goût et la rareté de la viande de brousse. Elles s’approvisionnent essentiellement auprès des restauratrices (100% à Ouagadougou), au marché de Fada (20% à Fada). Quelques uns prennent en sus de la consommation directe, de la viande fraîche ou fumée auprès des chasseurs et des grossistes. Le lièvre est l’animal le plus prisé par les consommateurs. Les consommateurs de lièvre uniquement représentent 53% de l’échantillon. Ceux qui consomment le lièvre et une seconde espèce représentent 30% et ceux qui consomment plus de deux (2) espèces en sus du lièvre représentent 15%.

    Les consommateurs ne sont pas capables de donner des chiffres détaillés de leurs charges en produits frais ou préparés. Mais on constate que beaucoup achètent les produits par semaine (65%), les autres par mois (35%), et cela pour tous les produits confondus (frais et fumés). Les meilleurs achats par semaine sont de l’ordre de 3 500 FCFA par individu ; et par mois de 10 000 FCFA par individu. D’une manière générale, l’achat annuel dans certaine famille atteint 50 000 FCFA par an. Dans les centres semi-urbains et ruraux cette consommation est moindre à cause de la disponibilité des produits.

    L’approvisionnement en viande de brousse surtout pour la consommation des grands centres connaît plusieurs circuits dont la chasse légale et la chasse illégale. Les produits de la petite chasse sont généralement destinés à la consommation locale ou la consommation familiale. Les produits de la grande chasse et de la chasse mixte sont le plus souvent destinés à la ville de Ouagadougou.

    Au niveau de la ville de Fada N’Gourma, le service forestier récupère les produits issus des zones concédées, les revendent aux restaurateurs et remettent entièrement les recettes aux CVGF. Au niveau de la ville de Ouagadougou, les produits viennent de différents horizons, souvent moins chers que dans les marchés où se ravitaillent les commerçants grossistes à cause des braconniers, qui cherchent à s’en débarrasser. Comme la production de ces derniers est très importante, le prix à l’approvisionnement est difficilement maîtrisable.

    L’approvisionnement dans les petits centres se fait généralement à l’occasion des jours de marchés, tous les dimanches pour les villes de Pama et de Fada auprès de chasseurs ou de leurs envoyés. Au niveau de la ville de Ouagadougou, les restaurateurs sont livrés en produits, tous les trois (3) jours, par approvisionnement direct auprès des chasseurs nationaux ou des commerçants grossistes ou encore par les chasseurs expatriés. Les quantités livrées sont mal connues mais la plupart des produits sont souvent issus ou confondus avec des produits de braconnage. Les distances d’approvisionnement sont de plus en plus grandes et la qualité des produits de plus en plus médiocre (animaux de petite taille). Les commerçants grossistes notent même la disparition de certaines espèces autrefois collectées dans les marchés (céphalophe, Ourébi). La pression exercée sur la faune par les chasseurs est donc très élevée dans les zones banales.

    L’élevage d’animaux sauvages, essentiellement constituée d’aulacodes n’est pas encore développé. Quelques producteurs vendent des individus dans certains restaurants de prestige à Ouagadougou afin d’assurer le fonctionnement de leurs entreprises.

    Lorsqu’on prend les résultats des enquêtes au niveau des restaurateurs à Ouagadougou, on constate que la consommation de certaines espèces a évolué au cours du temps. Les produits de la petite chasse augmentent régulièrement (lièvres, phacochère, pintade, francolin). Cela s’explique par le fait que la plupart de ces produits se rencontrent dans les zones banales. Pour toutes les espèces confondues et pour les acteurs, les espèces prisées sont par ordre : le lièvre, le phacochère, l’hippotrague ou coba, le francolin, la pintade sauvage, l’ourébi, les roussettes, le buffle, le porc-épic, le bubale, le cobe de Buffon, le céphalophe et la civette. Lorsqu’on s’intéresse aux raisons pour lesquelles les consommateurs préfèrent la viande sauvage à la viande domestique, la dénivelée des réponses est la suivante :

    1) le goût de la viande qu’il estime délicieux : 36% des personnes enquêtées
    2) la viande est rare : 36% des personnes enquêtées
    3) la viande présente moins de risques de maladie : 20% des personnes enquêtées
    4) la viande est assez riche en élément nutritifs : 18% des personnes enquêtées

    Dans l’ensemble, la rareté de la viande et le goût font que la viande de brousse est assez prisée. Cependant, 97% des personnes interrogées estiment que c’est la fermeture de la chasse qui est à l’origine de la rareté de la viande ; 3% pense que c’est le braconnage.

    Pour les mêmes produits on estime que les dépenses des consommateurs vont augmenter de 75,91% si toutefois la disponibilité était assurée. En outre l’amélioration des conditions de stockage et de conservation, ainsi que celle de l’art culinaire va sans nul doute augmenter la consommation de la viande de brousse.

    Selon les restaurateurs, une fois fumée, le gibier perd son poids et les clients exigent de grandes quantités pour le même coût. Cette baisse peut même atteindre le tiers de la valeur normale. A titre d’exemple, la viande fumée est vendue beaucoup moins chère que la viande fraîche. Ainsi le prix au chasseur à Ouagadougou pour le phacochère est de 25 000 FCFA (contre 35 000 F CFA pour la viande fraîche) ; le coba à 60 000 FCFA (contre 110 000F CFA pour la viande fraîche) et l’ourébi à 5 000 FCFA (contre 8 500 F pour la viande fraîche). D’une manière générale, le prix du plat chez le restaurateur est de 500 FCFA à Ouagadougou et de 400 FCFA à Fada et à Pama. Les aulacodes sont vendus dans les restaurants à 2 500 FCFA le Kg de poids morts et dépecés, et, en général autour de 15 000 FCFA par individu vivant (3-5 kg) destinés à l’élevage. Ce qui est préoccupant, c’est que la viande de brousse coûte beaucoup moins chère que la viande domestique malgré tout le plaisir qu’elle est réputée procurer. Il faut donc susciter la levée de taxes d’aménagement, collectées par les CVGF pour appuyer l’aménagement de leurs zones de chasse. L’organisation des acteurs induit des charges supplémentaires (exemple les impôts) dont il faut prévoir dans le rehaussement des prix à la cession. De même, que pour des produits hautement contrôlés par l’Etat, il faudrait envisager l’harmonisation de prix planchers de base. Ce qui va permettre de lutter contre l’abattage des juvéniles, mais également les distorsions sur les prix des produits à la cession.

    Les commerçants grossistes les plus performants peuvent générer jusqu’à 3 350 000 FCFA de bénéfice net par an, contre 2 413 000 FCFA pour les restauratrices performantes de la ville de Ouagadougou. La restauratrice de Fada quand à elle génère environ 85 000 FCFA de bénéfice par an.

    Pour conclure, il faut dire que malgré les insuffisances constatées, les acteurs participent pleinement à l’atteinte de la sécurité alimentaire, tout en créant des emplois. Même si ces emplois sont informels, ils procurent des revenus substantiels pour certaines charges familiales, et contribuent diversement au budget de l’Etat, à travers la taxation sur la consommation des produits de première nécessité.

    Des propositions spécifiques pour l’optimisation des recettes assorties d’une programmation et d’un budget de mise en œuvre des acteurs ont été faites, de même que celles visant l’amélioration de la filière viande de brousse en général. Des recommandations et des mesures d’accompagnement ont en outre été formulées.
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