L'action menée par l'ONG Afrique Verte et ses partenaire ouest-africains dans le cadre du " FSP genre et économie : les femmes actrices de développement dans les filières agro-alimentaires " cofinancé par le Ministère français des Affaires Etrangères, vise à professionnaliser les sahéliennes, transformatrices de céréales locales, afin d'améliorer leurs revenus, de diminuer leurs charges et de lutter ainsi contre leur pauvreté.
La démarche " genre " prend en compte leur développement personnel et collectif. Ainsi, le projet renforce le rôle économique des femmes, tout en s'assurant que leur pouvoir dans la société augmente, mais il tend également à équilibrer au sein de la société les charges qu'elles supportent et leur donne un rôle citoyen.
Une action multi pays
ONG PORTEUSE : AFRIQUE VERTE
TITRE DU PROJET : Les Sahéliennes peuvent nourrir le Sahel
PARTENAIRES : Groupements de transformatrices de céréales locales APROSSA Afrique Verte Burkina, AMASSA Afrique Verte Mali, AcSSA Afrique Verte Niger, Misola
LOCALISATION : principalement Ouagadoudou, Bamako, Niamey, mais aussi les villes secondaires du Burkina Faso, Mali, Niger
Nombre de personnes directement concernées : 3000 femmes et 400 hommes
Nombre de groupements et d'organisations :
130 Unités de Transformation de céréales locales (UT) réparties dans les 3 pays
Un contexte tourmenté
" En ce moment, j'ai sous les yeux, nous avons tous sous les yeux des lapidations, des flagellations à Gao, Aguelhok, Asango, Tombouctou... Le corps des femmes est le champ de bataille. Le corps des femmes dresse les uns contre les autres des hommes, des femmes, des foules, des armées de part le monde.
En ce moment, j'ai sous les yeux, nous avons sous les yeux, les seins des Femen. Les femmes en lutte pour la liberté font aujourd'hui de leur corps exhibé et tagué une arme.
Quelle puissance ! Quelle efficacité ! Les Femen, les Pussy Riot, Momoiro Guerilla, Aliaa Magda Elmahdy, les mariées maculées de Xi'an en Chine, La Saint-Valentin, Fête du vagin en Inde, les Amérindiennes d'Idle No More au Canada... tous les jours des femmes, des groupes de femmes, des mouvements de femmes, désignent le corps des femmes comme le topos incandescent de l'époque ".
Roland Fichet, auteur dramatique français qui a produit de nombreuses pièces de théâtre avec des jeunes acteurs africains, début 2013
Pour Afrique Verte, ce projet a débuté fin 2009, dans 3 pays du Sahel, confrontés à des problèmes de sécurité alimentaire, certes, mais où les femmes sont respectées et honorées, notamment dans leurs rôles de mères et de nourricières, et ont un poids fondamental dans l'économie familiale.
Ce projet a été clos fin 2012, alors que le Mali se débattait dans une grave crise sociopolitique et le Niger dans une grave crise alimentaire. Mais, au cours de ces turpitudes, le rôle des sahéliennes est resté fondamental et au centre des évènements :
Dans les capitales et principaux centres urbains du Burkina, du Mali, du Niger, 130 groupements de transformatrices de céréales locales, bénéficiaires du projet, ont développé leur activité économique et ont renforcé leur poids dans la société.
Des acquis forts
Le projet part d'une contradiction : les sahéliens s'accordent à donner un donner un rôle central à la femme sahélienne, mais ont beaucoup de mal à lui donner pouvoir et visibilité dans la société.
Les équipes ont donc travaillé pour atténuer ces contradictions tout au long du projet, en étroite collaboration avec les autres membres du consortium. L'objectif à atteindre dépassait largement les seules considérations techniques, économiques et de renforcement de la sécurité alimentaire, mais visait plus ambitieusement une modification des représentations sociales.
Photo : un des panneaux de l'exposition pédagogique " Femmes du Sahel ", proposée par Afrique Verte, conçue par Didier Bergounhoux
Ainsi l'activité technique a été importante, mais elle n'a été qu'un levier. Le projet a travaillé dans deux directions :
Premier volet : compétences professionnelles
Dans les 3 pays, les équipes ont accompagné les groupements féminins transformant les céréales locales pour renforcer leur savoir faire technique, leur permettre de développer leur activité, consolidant ainsi leur rôle économique, au niveau familal ou sociétal.
Des formations professionnelles ont été dispensées sur les thématiques suivantes :
- Renforcement de la vie associative et gestion démocratique des unités de transformation ;
- Renforcement de la gestion et de l'organisation d'une unité de transformation : comptabilité, gestion des opérations, gestion des unités de transformation, développement de l'entreprenariat collectif, planification de la production, spécialisation de la production et maîtrise de la qualité ;
- Crédit : connaissance des opérateurs de crédit, rédaction d'un dossier de demande de crédit, gestion du crédit ;
- Amélioration des techniques de production et de la qualité des produits : technologies de transformation, bonnes pratiques d'hygiène de production, qualité des produits, contrôle de qualité des produits céréaliers transformés, conservation des matières premières et des produits finis,
- Au Mali spécifiquement, le projet a accompagné les transformatrices dans l'obtention des AMM (Autorisations de mise sur le marché). En effet, selon les nouvelles législations en vigueur, les produits agroalimentaires commercialisés doivent avoir reçu l'agrément des services nationaux de contrôle de qualité. Ainsi, le projet a soutenu les transformatrices de céréales dans la constitution des dossiers et leur présentation aux services compétents. Au final, plusieurs unités de transformation de Bamako ont reçu les AMM, mais les dossiers des unités de Mopti n'ont à ce jour pas encore été étudiés par l'ANSSA (Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments) ;
- Organisation des approvisionnements : ateliers de mise en relation avec les producteurs et contractualisation ;
- Marketing : emballages agroalimentaires, étiquetage, présentation des produits, techniques de prospection des marchés et techniques commerciales, outils de fidélisation de la clientèle...
Des nombreuses activités ont été organisées afin de développer les ventes :
- Les transformatrices ont modifié les emballages des céréales transformées. Le choix s'est porté sur un sachet plastique translucide, adapté aux produits agro-alimentaires, fabriqué au Ghana,
- Les transformatrices ont réalisé un travail important sur l'étiquetage : création de logo de l'unité de transformation, description claire et précise du produit, y compris ses qualités nutritionnelles, investissement dans des étiquettes imprimées de bonne qualité et en couleur...
- Recherche de clientèle et négociation avec les boutiquiers
- Participation aux bourses et foires, notamment à de nombreuses foires internationales et participation à des " concours qualité ". Les transformatrices de céréales soutenues par l'association ont remporté plusieurs prix, notamment au cours des Journées agroalimentaires de Ouagadougou (décembre 2011) au cours desquelles 13 unités du réseau Afrique Verte ont été récompensées.
Ainsi, les actions du projet ont permis aux transformatrices d'améliorer leur production, en qualité et en quantité. Elles ont initié des contrats avec des producteurs ruraux, leur permettant de s'approvisionner en céréales de bonne qualité, à un prix étudié et par là même elles ont développé les débouchés des agriculteurs. Elles se positionnent désormais comme des interlocuteurs incontournables dans la filière.
Il en découle une amélioration de leurs revenus personnels et le développement d'une petite industrie agroalimentaire nationale, ayant un impact sensible sur l'économie locale.
Deuxième volet : développement personnel
Dans les 3 pays, les équipes ont accompagné les groupements féminins transformant les céréales locales pour renforcer leur position sociale. Tout un travail a été réalisé visant d'abord à consolider la confiance en soi. Une réflexion a été menée sur les positions dans la société, les rôles, les droits et les devoirs. Enfin, les femmes ont été conviées à exprimer leurs préoccupations au plus haut niveau, à l'échelle sous régionale.
Les 3 années de ce projet ont été riches en rencontres, ateliers, et formations sur le genre. Ainsi, petit à petit, les mentalités ont évolué, à tous les niveaux :
- équipes projet : les animatrices utilisent de nouveaux outils et ont acquis de nouveaux réflexes, il ne s'agit plus de transmettre un simple savoir technique, mais de bien comprendre quels sont les impacts induits de ces nouvelles méthodes, au niveau des bénéficiaires, dans leur vie quotidienne, au niveau du ménage, et plus largement sur leur positionnement dans la société ;
- bénéficiaires du projet : les femmes ont été questionnées et se sont questionnées. Leur vision évolue, que ce soit au niveau des relations familiales, économiques, ou sociales. Comment se faire entendre et se faire respecter ? Comment faire évoluer des schémas qui semblent pourtant profondément ancrés, jusque dans les inconscients ?
- partenaires du projet : les transformatrices ont consolidé leurs relations avec les producteurs céréaliers, avec les techniciens et partenaires : laboratoires, fournisseurs, banquiers, commerçants. Elles ont développé des relations avec les autorités politiques au niveau local notamment les élus communaux pour la négociation de parcelles ou de points de vente ;
- élus locaux et décideurs nationaux : les transformatrices ont fait entendre leur voix jusqu'au plus haut niveau de l'Etat : dans les 3 pays, les femmes ont rencontré les ministres et les chefs d'Etat, notamment à l'occasion de foires commerciales ;
- décideurs sous régionaux, impliqués dans la réduction des crises alimentaires : les transformatrices ont été représentées au cours de la réunion du RPCA (Réseau de. Prévention des Crises Alimentaires au Sahel et en Afrique de l'Ouest) de décembre 2011 à Praïa. Le RPCA regroupe les décideurs de la sous région (CEDEAO, UEMOA, responsables nationaux), les partenaires au développement de l'OCDE, et APROSSA Afrique Verte Burkina qui a participé à cette rencontre de haut niveau.
Encadré :
Intervention de Madame Marthe Bambara, représentante des transformatrices du réseau Afrique Verte, présidente du Réseau des transformatrices de céréales (RTCF), en décembre 2011 à Praïa (Cap Vert).
" Excellence Monsieur le Ministre,
Monsieur le Secrétaire Exécutif du CILSS,
Mesdames et Messieurs,
Chers participantes et participants,
C'est un réel plaisir pour moi de prendre la parole au nom des transformatrices accompagnées par Afrique Verte, AcSSA Niger, AGUISSA Guinée, AMASSA Mali et APROSSA Burkina.
Les appuis-conseils et formations dispensés nous permettent de nous structurer progressivement : constitution d'une Union Nationale au Mali et du Réseau National des Transformatrices de Céréales du Burkina (RTCF).
Dans ces quatre pays africains, Afrique Verte accompagne plus de 6.000 transformatrices qui mènent leurs activités dans des petites unités artisanales de transformation agroalimentaire (UT) regroupant 15 à 20 femmes.
A ce jour, l'impact de leur soutien, grâce aux actions conduites, se résume globalement comme suit :
- auto-emploi de 6.000 transformatrices dans 4 pays africains,
- entre 10 à 20% d'augmentation du revenu des transformatrice chaque année,
- amélioration du niveau de vie de 60.000 personnes membres des familles des transformatrices, souvent chefs de ménage.
- accroissement des revenus et débouchés des producteurs agricoles grâce à l'achat de 15.000 tonnes de matières premières en 2010,
- Approvisionnement accru des villes et amélioration de la consommation des produits locaux de 5% en 2010, ce qui est synonyme d'économie de devises pour nos Etats.
Mesdames et Messieurs,
Il n'y aurait rien à redire si, à côté de ces avancées majeures, des contraintes ne persistaient pas, venant chaque jour entraver nos efforts.
Dans les discours politiques et analyses économiques, la transformation agroalimentaire est unanimement reconnue comme outil par excellence de reconquête de nos marchés intérieurs de plus en plus gagnés par les importations alimentaires. Cependant, nous constatons que ces discours politiques ne sont pas toujours suivis d'actions concrètes.
Nous déplorons particulièrement que l'agriculture vivrière familiale, motrice de la croissance économique, pourvoyeuse de richesses, d'emplois et de revenus pour 80% des sahéliens, ne soit pas suffisamment prise en compte dans les politiques agricoles, ni au niveau national, ni au niveau sous régional.
Pour ces raisons, nous, transformatrices de céréales du Burkina, de Guinée, du Mali et du Niger, invitons les décideurs politiques nationaux et sous régionaux à prendre des mesures incitatives de soutien aux petites unités de transformation agroalimentaire. Cela leur permettra de mieux produire pour nourrir les villes dans le cadre de la sécurité et de la souveraineté alimentaires durables au Sahel.
En particulier, nous demandons que les Etats sahéliens :
- affichent leur volonté de promouvoir la consommation des produits agricoles locaux,
- incitent les structures locales de financement à faciliter l'accès aux crédits des transformatrices afin qu'elles puissent investir et accroître leurs capacités de production,
- prennent des mesures pour appliquer les dispositions règlementaires, de l'UEMOA et de la CEDEAO, concernant la libre circulation des biens, en particulier agricoles,
- défiscalisent certains équipements de transformation (moulins, décortiqueurs, séchoirs...) et fournitures comme les emballages alimentaires afin d'améliorer la production agroalimentaire,
- révisent les tarifs des laboratoires nationaux d'analyse, pour faciliter leur accès aux transformatrices afin de garantir la sécurité des consommateurs,
Mesdames et Messieurs,
Nous, transformatrices, vous remercions pour tous vos efforts en faveur de la sécurité et la souveraineté alimentaires durables au Sahel. Nous vous demandons de relayer notre message auprès des décideurs nationaux et sous régionaux afin que nos préoccupations soient rapidement prises en compte.
Les Sahéliennes peuvent nourrir le Sahel !
Merci pour votre attention ! "
Ce discours illustre à lui seul l'évolution des transformatrices au cours du projet et l'évolution des décideurs qui les accueillent au sein de leurs instances. L'émotion de Madame Bambara lors de son intervention était palpable et elle a fortement impressionné l'auditoire. Les décideurs présents ont pris la peine de lui répondre en plénière et de discuter avec elle en fin de séance ; des recommandations fortes ont été inscrites dans les conclusions de cette réunion.
Les problématiques soulevées par les transformatrices intéressent de plus en plus les décideurs et il est loin le temps où un ministre sahélien osait dire à la tribune " Nous ne savions pas que nos femmes étaient capables de faire ça... ", petite phrase entendue au cours de la réunion du RPCA de décembre 2008, à Dakar.
Trois années séparent ces évènements, preuve que les mentalités peuvent évoluer parfois plus vite que l'on ne le pense.
Des perspectives d'avenir
Le programme conduit au Sahel, grâce au financement du FSP Genre, ouvre de nouvelles perspectives. L'année 2013 au Sahel s'annonce moins difficile que 2012 : les récoltes de céréales ont été bonnes, et les perspectives en termes de sécurité alimentaire sont favorables. La situation au Mali évolue favorablement.
Ainsi, les transformatrices de céréales soutenues au cours de l'action pourront poursuivre et développer leurs activités et leurs réflexions, mieux outillées pour faire respecter leurs droits et faire entendre leur voix.
09/08/24 à 08h48 GMT