Source: AWID 21/06/2013
L'AWID
présente une série de réactions initiales de défenseur-e-s et d'organisations
des droits humains et des droits des femmes aux recommandations formulées sur
le futur agenda de développement pour l'après-2015. La première proposition
officielle a été présentée dans un
rapport
élaboré par le Panel de haut niveau des éminentes personnalités (HLP) créé par
le Secrétaire général des Nations Unies, et publié le 30 mai 2013.
Le
HLP
est un groupe composé de 27 "expert-e-s"[1],
nommés par le Secrétaire général des Nations Unies en juin 2012 pour établir un
état des lieux de la situation et tracer les grandes lignes d'un nouveau
programme de développement pour l'après-2015, avant l'échéance fixée pour la
réalisation des
Objectifs du
millénaire pour le développement (OMD).
Pour ce faire, diverses consultations ont été
entreprises à l'échelle nationale, régionale et internationale à l'occasion de
réunions et de manière virtuelle dans le but affiché de contribuer à la teneur
de ce rapport. Toutefois, nombreuses sont les organisations de la société
civile, y compris les avocat-e-s des droits des femmes, qui ont manifesté leur
frustration devant ce rapport jugé peu audacieux dans l'appel à des
transformations profondes et ignorant de nombreuses recommandations effectuées
par les personnes et les communautés concernées. De l'avis de beaucoup, ce
rapport est axé sur le commerce et la croissance économique plutôt que sur les
personnes et les droits humains.
Dans
quelle mesure l'égalité des genres et les droits des femmes sont-ils
intégrés ?
Malgré l'inclusion d'un objectif relatif à
l'égalité des genres, les avocat-e-s des droits des femmes et de l'égalité des
genres dénoncent en bloc l'absence d'une perspective intégrée des genres dans
l'ensemble du rapport. Réagissant à ce rapport, la
Coalition des
femmes après 2015[2]a émis une
déclaration détaillée dans laquelle elle signale que certaines
interactions fondamentales ne figurent pas parmi les objectifs, notamment en ce
qui concerne les droits des femmes et l'égalité des genres. Les objectifs
relatifs à l'énergie, à l'agriculture, aux transports, à la déforestation et la
sécurité alimentaire doivent favoriser les interactions, par exemple en termes
d'accès des femmes aux ressources naturelles et à leur contrôle, au rôle
qu'elles jouent dans les solutions d'énergie durable et au renforcement des capacités,
sans quoi ces éléments risquent de ne pas être considérés comme prioritaires
(page 5). La coalition affirme également que ce rapport ne propose aucune
solution de type transformationnel pour faire face à la féminisation croissante
et au transfert de la pauvreté entre les générations.
Des membres du Groupe majeur Femmes (
Women's Major Group (WMG)) de Rio[3] font remarquer, dans une
réflexion commune,
que, même si le rapport du HLP affirme aborder l'égalité des genres comme
question transsectorielle, un examen plus détaillé fait ressortir que le
libellé et les objectifs restent vagues quant à la définition des expériences
des femmes et des filles face aux différentes formes de discrimination qui
viennent aggraver la pauvreté, le dénuement et la marginalisation sociale; au
fardeau inégal et injuste qui pèse sur les femmes et les filles dans le maintien
du bien-être de leurs sociétés et des économies, que ce soit par le travail
rémunéré ou la prestation de soins ; et aux multiples violations des droits
humains des femmes qui les empêchent de participer de manière équitable à la
vie économique, sociale et politique.
Plusieurs organisations de droits des femmes
signalent également que le rapport ne formule aucune recommandation spécifique
quant à l'affectation de ressources destinées à la promotion des droits des
femmes et à l'égalité des genres. Le
WMG affirme ce qui suit:
" Nous apprécions les efforts déployés pour définir des objectifs précis
et de financement pour parvenir aux buts fixés; toutefois, nous considérons que
le rapport aurait dû se pencher sur la façon dont ce financement doit être
apporté pour en maximiser l'impact. Des études récentes ont démontré qu'un
financement efficace en matière d'égalité des genres doit se baser sur des
partenariats à plus long terme qui garantissent un soutien prévisible, flexible
et pluriannuel, plutôt que sur des cycles de financement à court terme ".
Par ailleurs, presque tous les groupes de
femmes qui ont réagi au
rapport du HLP reconnaissent
que l'inclusion de recommandations concrètes sur l'autonomisation des femmes et
des filles et l'égalité des genres[4] représente
une amélioration vis-à-vis du cadre des OMD. Le HLP a néanmoins laissé passer
l'occasion de fonder les cibles établies sur le cadre réglementaire des droits
des femmes convenu à l'échelle internationale en tant que droits humains, et
ignore les déclarations, les plans d'action et les accords issus des
conférences de
Vienne,
du
Caire
et de
Beijing
et bien d'autres.
La
Coalition internationale sur
la santé de la femme (IWHC) regrette, quant à
elle, que le HLP ait fait fausse route. La santé sexuelle et reproductive ainsi
que les droits reproductifs sont clairement définis dans différents accords
internationaux, tels que le
Programme
d'action de la Conférence internationale sur la population et le développement,
bien que ceux-ci servent souvent de paratonnerre
aux responsables politiques lorsque les diplomates des gouvernements
connaissent peu la terminologie ou parce que ces sujets doivent impérativement
être abordés.
Le
Forum
Asie-Pacifique sur les femmes, le droit et le développement (APWLD)
jette également un regard nuancé sur les recommandations du rapport et signale
que, malgré l'importance des cibles fixées, celui-ci ne reconnaît pas
pleinement que les femmes constituent la majorité des pauvres du monde entier,
la majorité des travailleurs-euses des secteurs les plus vulnérables, de
l'agriculture de subsistance et qu'elles sont les premières à souffrir des
catastrophes climatiques dont elles sont les moins responsables. C'est pourquoi
les femmes ont besoin de beaucoup plus que de mesures non discriminatoires.
Elles ont besoin d'une transformation économique, d'une redistribution et d'une
justice réelles. Elles doivent avoir leur mot à dire sur le processus de
développement, les organes pertinents, au sein de leurs communautés et des
systèmes mondiaux.
En ce qui concerne la situation des jeunes
femmes et des filles, la
Coalition des
femmes après 2015 fait remarquer que le rapport tente de positionner
les jeunes et les adolescent-e-s comme un thème transversal en mettant l'accent
sur l'éducation (bien qu'en évitant la discussion sur la transition au
secondaire et la qualité de l'éducation), l'accès à la santé, y compris la
santé et les droits sexuels et reproductifs, ainsi que sur la création
d'emplois. Toutefois, l'approche exposée dans ce rapport vis-à-vis de ces
problèmes est de type instrumentaliste, et n'est pas basée sur les droits
humains.
De même,
RESURJ, alliance internationale de jeunes
activistes féministes cherchant à assurer à toutes les femmes et jeunes les
droits et la santé sexuels et reproductifs, s'indigne devant le fait que le
rapport semble considérer les jeunes comme un groupe clé au sein du cadre
économique qui doit nécessairement être en bonne santé, bien formé et
professionnellement actif pour stimuler le développement économique. Cette
absence de perspectives fondées sur les droits humains compromet les
possibilités actuelles d'adopter les mesures nécessaires non seulement pour le
développement économique, mais aussi pour la justice sociale, économique et de
genre.
Ce
rapport intègre-t-il une perspective fondée sur les droits humains ?
Sur ce point, les réactions des organisations
de droits humains semblent pratiquement unanimes : le rapport du HLP manque
d'ambition, malgré la rhétorique initiale selon laquelle les nouveaux objectifs
et les nouvelles cibles doivent être basés sur le respect des droits humains
universels.
Le
Centre pour les droits économiques et
sociaux (CESR) considère que, d'une manière générale, le rapport
rend compte d'une lecture fragmentée des droits humains qui met parfois
l'accent sur la notion dépassée de la primauté des libertés civiles et
politiques par rapport aux droits économiques, sociaux et culturels. Les droits
humains à une santé adéquate, à la protection sociale et à un travail décent
sont notamment vidés de leur substance et traités comme des aspirations
dont la réalisation va dépendre des circonstances nationales.
Par ailleurs,
Amnesty
International souligne que " dans ce rapport, les droits
humains sont trop souvent limités aux droits civils et politiques, sans
référence explicite aux droits économiques, sociaux et culturels. [...] Dans
certains passages, les droits économiques et sociaux y sont reconnus, tandis
que dans d'autres, ces droits sont considérés comme des "besoins de
base", ce qui constitue une régression compte tenu des obligations
existantes des États au regard du droit international ".
La
Campagne pour les Objectifs des
peuples réagit en disant que, malheureusement, le droit au
développement n'est abordé que furtivement dans les principes qui sous-tendent
les partenariats mondiaux et n'est pas accompagné de recommandations de
fond destinées à matérialiser ce droit et à garantir qu'il serve de fondement à
tous les droits énumérés dans le texte. L'occasion a donc été perdue de mettre
en rapport les mécanismes de responsabilisation des droits humains et les
politiques globales de développement.
Social Watch affirme
" qu'au lieu de favoriser un nouveau programme de développement, ce
rapport abaisse la barre, à la fois en termes des objectifs proposés et des
concepts. Ce n'est même pas une expression du plus petit dénominateur commun,
parce que sur la plupart des questions qu'il traite, il existe déjà un langage
convenu à l'ONU qui va au-delà des recommandations du rapport. "
Le CESR résume sa position de manière
succincte en affirmant que les normes et les principes des droits humains ne
doivent pas être considérés comme une option additionnelle. Ils sont, au
contraire, la manifestation de normes préexistantes et universelles qui doivent
sous-tendre tous les aspects du programme, de sa vision et ses objectifs
généraux aux cibles et aux indicateurs, ainsi qu'aux dispositifs de mise en
oeuvre et de révision. Toute démarche de moindre ampleur risque
de conduire à une nouvelle série de promesses non accomplies.
Les
affaires comme axe central
Le rôle privilégié accordé dans le rapport du
HLP aux affaires et au secteur des entreprises comme moteurs du
développement est également vu avec préoccupation par beaucoup d'organisations
de la société civile, en particulier parce que cette perspective contraste avec
le laxisme du cadre mis en place pour obliger ces sociétés à rendre des
comptes.
Selon le CESR,
le rapport propose une approche manifestement inadéquate de la
réglementation des affaires car il estime que celles-ci ne doivent pas être
entravées par des réglementations excessivement compliquées.
Development
Alternatives with Women for a New Era (DAWN) appelle également
l'attention sur la place éminente qui est faite dans le rapport du HLP au
secteur des affaires considéré comme cheville ouvrière du développement. Le
secteur privé doit rendre des comptes aux gouvernements et aux citoyens sur les
obligations en termes de droits humains et sur les normes environnementales, y
compris les obligations extraterritoriales. Ceci est d'autant plus nécessaire
aujourd'hui que les investissements dans l'industrie militaire, par des agents
étatiques et non étatiques, engendrent des intérêts stratégiques majeurs
dans le développement international.
À
quoi peut-on s'attendre dans l'avenir ?
Bien qu'important, le rapport du HLP n'est
qu'une contribution parmi beaucoup d'autres au rapport que le Secrétaire
général des Nations Unies devra présenter à l'Assemblée générale de
l'Organisation en septembre 2013 pour orienter les débats des états membres.
Les organisations des droits des femmes travaillent coude à coude avec les organisations
des droits humains et d'autres mouvements sociaux afin de parvenir un cadre
amélioré vis-à-vis de la proposition présentée dans le rapport du HLP. Ces
organisations prennent contact avec les représentant-e-s des gouvernements et
avancent des formules novatrices, tout en participant aux processus issus de la
Conférence
Rio 20 qui doivent conduire à l'établissement d'une série d'
Objectifs pour
le développement durable (ODD) qui devraient être fusionnés avec le
programme pour l'après 2015.
Vous pouvez présenter vos réactions au rapport
du HLP par le biais de la
consultation en ligne mise
en place par le Service de liaison avec les organisations non
gouvernementales et qui sera ouverte jusqu'au 12 juillet 2013.
En savoir plus sur l'
Analyse spéciale
de l'AWID sur l'agenda du développement pour l'après-2015, de la
perspective des droits des femmes.
[1]
Le Panel est dirigé par trois coprésidents, le Président de
l'Indonésie, M. Susilo Bambang Yudhoyono, la Présidente du Libéria,
Mme Ellen Johnson-Sirleaf et le Premier Ministre du Royaume-Uni,
M. David Cameron, et comprend des dirigeant-e-s de la société civile, du
secteur privé et des gouvernements. Pour en savoir plus, veuillez consulter
http://www.post2015hlp.org/ et
http://www.eunomad.org/fr/actualites/actualites-migrations-et-developpement/1178-2013-06-13-12-12-22.html
[2]
La Coalition des femmes après 2015 est une coalition d'organisations
féministes, de droits des femmes, de développement des femmes, de base et de
justice sociale qui cherche à contester et à façonner l'agenda mondial du
développement. Pour en savoir plus, veuillez consulter
http://www.post2015women.com/et
http://cdeacf.ca/actualite/2013/01/23/perspectives-coalition-femmes-post-2015
[3]
Le groupe majeur Femmes (Women's Major Group) réunit quelque 400 organisations
et personnes qui oeuvrent au développement durable d'une perspective des droits
des femmes à l'échelle locale, nationale, régionale et mondiale. Pour en savoir
plus, veuillez consulter
www.womenrio20.orget
http://www.wecf.eu/francais/publications/2012/Groupe-MajeurFemmes.php
[4]
À savoir prévenir et éliminer toute forme de violence à l'encontre des filles
et des femmes (cible 2a); mettre fin au mariage des enfants (cible 2b);
accorder aux femmes des droits égaux à ceux des hommes en ce qui concerne
l'acquisition et l'héritage de biens, la signature de contrats,
l'enregistrement d'une entreprise et l'ouverture d'un compte bancaire1 (cible
2c); éliminer la discrimination à l'encontre des femmes dans la sphère
politique, économique et publique (cible 2d); Garantir des droits universels en
matière de santé sexuelle et génésique (cible 4d). Voir http://www.post2015hlp.org/wp-content/uploads/2013/05/Annex1_FRENCH.pdf
[POST2015G][PROCESSODD]