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Développement durable et finance



  • L'article suivant est issu de l'ouvrage "Développement durable et finance" publié par Cyril Demaria chez Maxima en mars 2004.

    Investir dans l’innovation est une démarche de développement durable

    Faut-il regretter l’implication des groupes privés dans la recherche et le développement, que ce soit dans les technologies de l’information ou dans les sciences de la vie ? L’essentiel de l’effort de recherche provient aujourd’hui de la sphère privée des Etats développés : selon l’OCDE, en 2000 la part du privé représentait entre 54% (France) et 73% (Japon) de la dépense intérieure brute de R&D. Le financement privé de la recherche étant désormais incontournable, il convient d’analyser l’impact de cette transformation sur l’espace public.

    Le décryptage du génome fut conçu comme une forme de course vers la connaissance, qui aurait pu être un progrès technique profitable au monde entier s’il n’y avait pas eu la question du brevet des découvertes. Le clonage ouvre un vaste champ de questions éthiques et morales, au premier rang desquelles l’avenir de l’espèce humaine, si elle ne se renouvelle plus par la reproduction biologique.

    Ces débats semblent être occultés par l’intervention d’entreprises et de financements privés, l’espace public s’en trouvant en quelque sorte « privatisé ». L’objection habituelle au débat ouvert sur les conséquences d’une découverte ou d’une invention est qu’à chaque effort financier doit être associée une rétribution. Si elle ne protège pas ses découvertes, l’entreprise prend le risque de voir ses concurrents profiter de son effort pour développer un produit concurrent sans effectuer les investissements de recherche initiaux.

    Pourtant, l’afflux de concurrence contribue à élargir le marché et à mieux servir les patients et surtout, l’absence de protection ne signifie pas que l’entreprise ne tirera pas de profit de sa découverte : elle lui confère un triple avantage en termes de réputation ; d’avance pour la mise sur le marché de son produit ; et de parts de marché. Ainsi, des fabricants de matériel informatique, comme Sun Microsystems, n’hésitent pas à diffuser gratuitement des logiciels (Java) utilisés non seulement sur leurs machines, mais aussi celles de leurs concurrents. IBM utilise des logiciels libres de droits (Linux) pour vendre des services.

    Toute découverte génère sa propre rétribution

    La logique de rétribution de l’innovateur par l’appropriation exclusive des effets positifs, sans égard pour les autres conséquences de sa découverte, est contestable. D’une part, l’innovateur laisse à la charge de la société la gestion des éventuelles conséquences négatives (externalités) de sa découverte ; et d’autre part, il la prive des moyens d’établir un nouvel équilibre postérieur à la rupture créée par cette découverte. L’innovateur, et par extension ses financiers, ont une responsabilité capitale : choisir les valeurs qu’ils souhaitent promouvoir et définir leur politique d’innovation conformément à celles-ci.

    Une réflexion sur les valeurs à promouvoir devrait systématiquement présider à l’édiction des politiques privées. Or, les conséquences de la diffusion du progrès technique sur les valeurs et le comportement humain sont encore mal connues. En 1987, la Commission mondiale sur l'environnement et le développement (« Commission Brundtland ») avait d’ailleurs évoqué la question en proposant de « réorienter la technologie, […] lien essentiel entre les hommes et la nature » et en conseillant de privilégier les technologies tenant compte des facteurs environnementaux et de promouvoir celles produisant des ‘biens sociaux’ – quitte à encourager et décourager les pratiques des organisations commerciales selon les directions qu’elles choisissent, dans le cadre d’une démarche de développement durable.

    Le fait est que la nature conglomérale et internationale des groupes cotés rend difficile l’analyse approfondie de ces entreprises et cantonne souvent les critères éthiques aux marges de l’évaluation financière. Certains gérants et analystes, dotés d’une double mission d’évaluation financière et extra-financière, se sont donc concentrés sur les valeurs de croissance et de taille moyenne, ce qui leur permet de mieux se faire entendre des dirigeants et de mieux faire analyser dans le détail leurs activités. Cette approche, séduisante en théorie, a le mérite de concilier des impératifs de qualité, de rentabilité et d’activisme actionnarial. Elle n’en demeure pas moins risquée sur le plan financier mais aussi du développement durable, car l’impact de l’émergence des nouvelles technologies sur les valeurs, les usages et les nouvelles règles de vie qui y sont associés n’est pas quantifiable.

    L’usage de la technologie est de plus en plus diffus et certains outils efficaces et puissants deviennent des « biens à double usage », utilisables à des fins civiles que militaires. Il en va ainsi de centrales fabricant du combustible nucléaire, mais aussi des ordinateurs. Le grand public a désormais accès à une puissance de calcul inaccessible en dehors des laboratoires de recherche ne serait-ce qu’il y a cinq ans. Il existe bien d’autres outils a priori inoffensifs mais dont l’usage reconditionné à des fins militaires peut être redoutable, tels que les logiciels de cryptage. L’avènement des nanotechnologies est au cœur de ce débat. Sachant qu’un des premiers secteurs historiquement exclus des fonds éthiques fut l’industrie de l’armement, les investisseurs souscrivant aux critères du développement durable devraient se pencher sur la question de l’investissement technologique.

    Les vertus écologiques des valeurs technologiques ne sont pas plus évidentes. Face à des industries réputées polluantes, telles que la transformation de matières premières, l’énergie ou la chimie, les valeurs technologiques bénéficiaient d’un a priori favorable. Or, le Nautilus Institute for Security and Sustainable Development et le Natural Heritage Institute ont étudié les pratiques de fabricants de microprocesseurs, de composants électroniques et d’ordinateurs. Les résultats montrent que ces entreprises, notamment celles spécialisées dans le design de micro-processeurs (fabless), sous-traitent la production à Agilent ou HP qui délocalisent à leur tour leur production, tout comme les industries traditionnelles. Leurs déchets toxiques ne sont pas suffisamment traités et les nappes phréatiques sont polluées. Cette enquête ne milite donc pas nécessairement en faveur des entreprises technologiques.

    Les meilleurs fonds américains détaillent des politiques d’investissement raisonnées sur plusieurs années pour construire les groupes de demain. La valeur de leur jugement réside justement dans cette vision et dans leur application à dialoguer avec le management pour faire appliquer ces politiques. Les méthodes d’investissement doivent associer une implication forte des gérants aux côtés du management, un investissement à long terme et la recherche de la création d’entreprises durables. Les critères éthiques trouveront naturellement un terrain d’application en bioéthique, technologies de l’information, nanotechnologies, transferts de technologie et politiques de recherche et développement.

    Les gérants ont donc une responsabilité vis-à-vis du public. Leurs obligations incluent nécessairement une contribution active au débat et à l’édification de la société de demain.
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