Alors que bien des éditorialistes et experts s’essaient à imaginer le monde de l’après-Covid-19, certains tablent sur un retour important du vélo comme moyen de locomotion. La nécessité de respecter les mesures de distanciation sociales pourrait, en effet, favoriser ce type de déplacement doux. La ville de Paris a déjà fait savoir que des axes dédiés aux vélos seraient créés au moins provisoirement afin de désengorger le métro et éviter d’en faire un vecteur de transmission du virus. Le vélo a plus que jamais le vent en poupe et Paris se verrait bien rattraper plus rapidement que prévu un modèle du genre : Copenhague. La capitale danoise a fait de la petite reine son moyen de transport privilégié grâce à la multiplication des infrastructures et des innovations dédiées.
La crise sanitaire qui frappe aujourd’hui la planète pourrait bien avoir des conséquences parfois inattendues. C’est le cas avec la priorité absolue donnée aux vélos dans certaines grandes villes, grâce à une régulation du trafic qui leur fait la part belle. Un système que souhaite développer la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui a eu l’occasion d’en voir les bénéfices lors de son court séjour à Copenhague en octobre dernier.
C’était le 9 octobre 2019, Anne Hidalgo était alors à la tête du C40, et présente à Copenhague dans le cadre du sommet réunissant les villes engagées contre le réchauffement climatique. Une rencontre hautement symbolique, car – la Maire de Paris ne s’en cache pas – Copenhague est pour elle le modèle à suivre. Élue « capitale verte de l’Europe » en 2014 et collectionnant depuis dix ans les prix environnementaux, la capitale danoise ambitionne de devenir la première ville du monde neutre en carbone d’ici à 2025. Et pour réduire ses émissions de CO2, elle a d’abord misé sur les mobilités douces et en particulier sur le vélo. Reconnue comme la meilleure ville cyclable du monde, elle est aussi dans ce domaine la principale source d’inspiration de Paris.
Mais derrière l’ambition, le chemin à parcourir reste encore long pour la capitale française si elle veut parvenir à égaler son modèle. A Copenhague, selon la municipalité, les déplacements à vélo représentent désormais 28 % du total des déplacements dans la ville et même 41 % des déplacements pour se rendre au travail ou à l’école. Des chiffres dont Paris est encore loin. Avec la multiplication des infrastructures cyclables dans le cadre de son « plan vélo », Anne Hidalgo comptait atteindre 15 % de déplacements effectués à bicyclette en 2020. Malgré une indéniable progression du réseau et de la pratique, cet objectif ne sera pas atteint.
Les Parisiens qui ont repris le vélo à l’occasion des grèves contre la réforme des retraites ont également pu se rendre compte que la continuité, la sécurité et le confort ne sont pas toujours au rendez-vous sur le réseau cyclable de la capitale. A Copenhague, toute la ville a été pensée pour le vélo, et plus largement pour les mobilités douces, avec des investissements conséquents dans des infrastructures dédiées aux cyclistes – lesquelles sont à la fois continues, rapides et protectrices – et de nombreuses innovations pour favoriser ce mode de déplacement.
Une ville pensée pour le vélo
Avec 400 kilomètres de pistes cyclables empruntées tous les jours par plus du tiers des habitants, des milliers de « city-bikes » en libre-service, d’immenses parkings à vélos installés dans toute la ville, Copenhague est indiscutablement la capitale mondiale du vélo. Son modèle se fonde sur la création de « véloroutes », voire d’« autoroutes pour vélos », privilégiant clairement les cyclistes par rapport aux automobilistes. L’idée décisive a été de rendre le vélo plus rapide que la voiture pour les déplacements urbains. C’est d’ailleurs la principale raison avancée par tous les cyclistes qui parcourent la ville au quotidien : ça va plus vite !
Copenhague a adopté un modèle comprenant quatre types d’infrastructures : dans les secteurs résidentiels, la vitesse est limitée à 30 km/h, autos et vélos cohabitant sur la même chaussée ; les voies limitées à 40 km/h sont, quant à elles, bordées de bandes cyclables, toujours à la droite de la circulation ; le long des artères limitées à 60 km/h, les pistes cyclables, unidirectionnelles, sont séparées de la circulation ; et quand la vitesse autorisée est supérieure, les itinéraires cyclables empruntent un parcours entièrement distinct de celui des voitures. A l’heure où les pistes cyclables séparées de la circulation sont apparues récemment à Paris, elles sont ainsi très nombreuses à Copenhague. Leur largeur permet même à deux cyclistes de bavarder en roulant de front, tout en étant doublés par un troisième.
Aux grandes intersections, les feux des voitures et des vélos sont décalés, permettant aux vélos de partir plus tôt.Sur certains axes, les feux de signalisation sont même synchronisés sur la vitesse des deux-roues (20 km/h) et un cycliste peut ainsi parcourir plusieurs kilomètres en enchaînant tous les feux verts !Et lorsque qu’il doit vraiment s’arrêter, à certains carrefours, des rampes lui permettent de s’appuyer et de poser le pied. Depuis 2014, une nouvelle voie réservée aux vélos, baptisée le « serpent cyclable », passe même sur une passerelle de 235 mètres,à sept mètres au-dessus de l’eau, pour relier directement la gare à l’université ou le port au quartier branché de Vesterbro. Un itinéraire emprunté chaque jour par 12 000 cyclistes.
Un foisonnement d’innovations
Les autorités de la région du grand Copenhague, qui regroupe 27 communes et 1,7 million d’habitants, sont également en train de construire un réseau cyclable rapide, qui doit totaliser 750 km d’ici 2022. Des « super-pistes », très larges et éloignées des axes routiers, traversant souvent des forêts, et sur lesquelles on peut rouler des kilomètres sans croiser un seul engin motorisé.De plus, pour les habitants de la périphérie, à Copenhague, l’intermodalité n’est pas un vain mot : il est très facile d’embarquer son deux-roues dans le compartiment vélo du train régional, le métro automatique, le bus, ou même à l’arrière d’un taxi.
L’utilisation du vélo contribue à fluidifier la circulation et apporte ainsi une réponse à l’un des défis urbains modernes : les bouchons. Le succès du deux-roues au Danemark intéresse d’ailleurs de nombreuses villes du monde en proie à la congestion. A tel point que le pays possède une structure spécialement dédiée à l’accueil des délégations étrangères : la Cycling Embassy of Denmark. La diplomatie du vélo.
Pour favoriser les mobilités douces, Copenhague s’est également dotée d’un système d’éclairage intelligent, géré et maintenu par une entreprise française. La moitié du parc d’éclairage public de la ville a ainsi été remplacé par de nouveaux luminaires LED, qui ont permis de faire baisser la facture énergétique de 77 % sur la partie rénovée, tout en augmentant l’intensité de l'éclairage sur les routes pour rendre les usagers, en particulier les piétons et les cyclistes, plus visibles.
La capitale danoise bénéficie de la solution « Muse » qui permet de télégérer depuis un poste central les équipements lumineux urbains. Il est ainsi possible d’ajuster à distance et en temps réel les niveaux d’éclairage des différents quartiers en fonction des besoins identifiés, du trafic ou du mode de vie des habitants. Ce nouveau réseau d’éclairage intelligent offre également de nombreuses possibilités de connecter de nouveaux services comme des caméras de vidéoprotection, des capteurs de bruit ou de qualité de l’air pour améliorer encore la sécurité et la qualité de vie des citoyens.
La démarche a de quoi inspirer beaucoup d’autres villes en Europe et dans le reste du monde. Les solutions techniques existent, le déploiement d’infrastructures dédiées aux mobilités douces est réalisable, mais la transition n’est pas une chose facile. Passer d’une ville où les voitures sont reines à une ville qui met la petite reine (le vélo) à l’honneur est souvent compliqué et implique des ajustements dans les comportements. L’épisode de grève en Ile-de-France en décembre 2019 a entraîné une hausse de plus de 150 % des accidents de vélos. Les cyclistes étaient alors 2,6 fois plus nombreux sur les routes qu’en temps normal. Cette augmentation massive a été problématique pour les voitures, mais aussi pour les piétons entourés de cyclistes parfois inciviles et devant composer avec un réseau cyclable pas toujours bien pensé. L’après confinement devrait voir un nombre accru de cyclistes dans les villes. Une occasion inattendue, mais certainement utile pour faire du vélo, un acteur majeur pérenne de la mobilité au XXIe siècle.