De l'entreprise du 19ème siècle qui commençait tout juste à se structurer pour faire face au productivisme, à celle d'aujourd'hui confrontée désormais à la fois à la mondialisation et à la nécessité d'une approche plus éthique du capital humain, l'organisation du travail collectif a connu de multiples bouleversements. Et si ces dernières années, le numérique et la dimension globale de l'économie ont bousculé nombre de modèles industriels et commerciaux, les responsables réfléchissent plus que jamais à dessiner les contours de l'entreprise de demain.
Les modèles du passé
La prise en compte de l'organisation du travail dans l'entreprise a commencé avec le Taylorisme, une organisation scientifique initiée au 19ème siècle et qui n'avait pour but que d'optimiser la production. Tout le système mis en place était destiné à en optimiser chaque étape, depuis la définition des cadences jusqu'au montant du salaire.
Selon son inventeur, l'ingénieur américain Frederick Winslow Taylor, l'organisation devait prendre deux dimensions, la verticale où les ouvriers devaient exécuter ce que les ingénieurs demandaient et l'horizontale, qui devait permettre de rationnaliser la fabrication en étudiant les gestes, les temps d'exécution, en utilisant les meilleurs outils utiles à cet objectif. Cette théorie se verra appliquée notamment dans la sidérurgie, alors en plein développement.
Des pratiques qui, deux siècles plus tard, ne semblent pas pour autant avoir disparu. En Chine, par exemple, l'organisation du travail reste orientée vers une production de masse avec un souci de rentabilité maximum et l'objectif essentiel est d'atteindre un prix de revient le plus bas possible. On a ainsi vu récemment la société Foxconn, principal sous-traitant de Dell ou d'Apple, faire l'objet d'une enquête révélant de graves atteintes au droit du travail, dont des problèmes de rémunération et des heures supplémentaires excessives, entre autres infractions. Le paradoxe de la situation, c'est que ces mauvaises conditions de travail concernent la production des objets technologiques les plus innovants.
Malgré le fait que ce type d'organisation perdure, notamment dans les pays émergents où la main d'oeuvre est abondante et bon marché, de plus en plus d'entreprises prennent conscience que ce modèle où la hiérarchie pyramidale laisse peu de marge de manoeuvre à la base, a fait son temps. Les notions d'éthique et de respect de l'individu font enfin leur apparition. C'est ainsi qu'au mois d'août 2011, le quotidien Les Echos annonçait la fin de l'entreprise pyramidale et glorifiait l'avènement de l'entreprise collaborative " Cette mutation des méthodes de management s'explique par la nécessité pour les entreprises de s'adapter tant à l'évolution récurrente des rapports avec les clients, qu'à l'évolution des profils des salariés. Certaines d'entre elles, encore ancrées dans une culture d'économie mixte bientôt révolue, l'ignorent. D'autres l'adoptent à marche forcée, ou par tâtonnements. Les dernières ont fait le pari de l'intelligence organisationnelle. "
Ce modèle prône avant tout la mise en commun des savoir-faire de tous, grâce au décloisonnement des services et à une meilleure circulation de l'information facilitée par des réseaux Internet ou Intranet. La philosophie du management change elle aussi. Là où les directives venaient d'en haut, de très haut, c'est au plus près du salarié que se mène désormais le travail de réflexion et de décision qui en découle. Un circuit court qui augmente nécessairement la réactivité et la faculté d'adaptation de l'entreprise.
Un management responsable
Parmi les initiatives françaises qui préfigurent l'entreprise de demain, on peut citer Cofely Ineo, une société du groupe GDF-Suez qui compte plus 14 800 collaborateurs et qui est présente dans des secteurs de pointe comme les réseaux d'énergie, et les infrastructures de transport et de télécommunications. Sous l'impulsion de son PDG, Guy Lacroix, elle revendique " l'éthique et les valeurs qui donnent un sens à nos actions et comportements individuels. Le partage de celles-ci transforme l'addition d'individualités en une collectivité. " Cela se traduit par une charte et un guide des pratiques de l'éthique qui s'adresse à tous les salariés. Parmi les valeurs qui y sont développées on y trouve la solidarité " expression de notre cohésion interne, de notre capacité à jouer en équipe ", un esprit solidaire qui permet de " faire vivre notre intelligence collective, de développer une écoute constructive ". La volonté de Cofely Ineo d'intégrer l'éthique à l'esprit de l'entreprise se décline dans de nombreuses valeurs : enthousiasme, exigence et respect, des valeurs qui engagent aussi bien le travail quotidien des salariés mais également l'image de l'entreprise.
D'autres groupes ont aussi compris que le potentiel de l'intelligence humaine et de l'altruisme étaient un atout pour l'entreprise. Les exemples de sociétés où la productivité s'appuie plus sur le comportement responsable et citoyen du personnel ne manquent pas. Ils viennent souvent de la Silicon Valley, véritable laboratoire des entreprises de demain. L'exemple le plus connu est sans doute Google, qui distingue les motivations de salaire et les motivations personnelles des collaborateurs. Lejournaldunet, dans un article consacré à ce sujet, en détaille l'approche : " C'est ce qu'a su faire Google en inventant un mécanisme basé sur l'organisation du temps de travail des ingénieurs et des développeurs en deux parties : 80 % de leur temps de travail est consacré à la mission qui leur a été confiée et pour laquelle ils sont officiellement payés, et 20 % est dédié à des recherches personnelles. " Une prise en compte des qualités de chacun qui motive le salarié et dont bénéficie, à terme, l'entreprise, pour peu qu'elle fasse confiance à ses salariés.
Le salarié citoyen
La nécessité pour les entreprises de s'adapter à une réalité de terrain de plus en plus complexe va inévitablement les orienter vers une organisation évolutive. La hiérarchie de commandement sera allégée pour accroître la réactivité. Au niveau des équipes, le rôle de chacun sera primordial pour que se mette en place un " management biologique " que la journaliste Nathalie Flaurent décrit comme " un management qui s'adapte aux situations, qui procède par " essais-erreurs ", négocie les objectifs et les méthodes, reste proche du terrain pour saisir les opportunités. Ce management s'adapte à un monde qui évolue rapidement, un monde où les cycles, crises et expansions, se succèdent à un rythme de plus en plus rapide, où tout change très vite, les marchés autant que la technologie ou les hommes. Un monde où l'entreprise doit s'adapter en permanence. Alors, elle est la mieux à même de répondre aux défis rencontrés. En effet, dans l'entreprise biologique, les cellules répondent aux sollicitations de l'environnement directement, envoient des informations au cerveau qui, lui-même, leur renvoie à son tour des stimuli. "
La conclusion, nous la laisserons à Georges Laizé, formateur et conférencier sur les nouveaux modes de management, pour qui " la réussite future des entreprises passera par la mise en place de plus en plus fine et de mieux en mieux adaptée de modes de management pertinents des hommes. L'entreprise moderne, au-delà de son rôle de créateur de richesses, aura aussi pour challenge d'être créatrice de sens et de cohérence. "