Etre une grande entreprise induit-t-il forcément, comme le prétendent certains, le non-respect des principes éthiques fondamentaux? Quelques entreprises florissantes, de dimension nationale ou internationale, ont pourtant choisi de placer la solidarité au centre de leur business model : les coopératives. Preuve que les dérives du libéralisme ne sont pas une fatalité, et que la "troisième voie" n'est pas un vain discours.
En période de crise économique, le modèle coopératif, qui conjugue indépendance, solidarité et gouvernance démocratique, permet souvent de faire la différence pour les entreprises qui l'ont choisi. Intérêts individuels et intérêts collectifs se mêlent et s'imbriquent dans les valeurs de l'entreprise coopérative dont la performance et la pérennité profitent à l'ensemble des maillons de la chaîne de valeur. Et par dessus-tout unis par l'état d'esprit particulier et la vision alternative de l'économie qui préside à la création puis au développement d'une "coop", les acteurs de l'entreprise coopérative y trouvent un sens à leur engagement. C'est du moins ce que laissent supposer les exemples qui suivent.
Biocoop : un projet coopératif
Dans les années 1970, des consommateurs se regroupent autour d'un projet commun : promouvoir l'agriculture biologique et la rendre accessible au plus grand nombre. Ils se fédèrent autour d'un modèle de coopérative, toujours d'actualité au sein de l'entreprise. Avec l'élaboration d'une charte en 1986 et d'un cahier des charges en 1993, le modèle Biocoop prend de l'ampleur, jusqu'à devenir, en 2012, le premier réseau de magasins bio en France. 325 magasins, près de 3000 salariés (centrale et magasins confondus) et 500 millions d'euros de chiffre d'affaire : les chiffres parlent d'eux-mêmes pour cet acteur majeur du domaine de la distribution bio. Leader sur un marché de niche en pleine expansion, Biocoop représente un modèle unique en son genre : magasins, producteurs, salariés et associations de consommateurs siègent au conseil d'administration! Le fonctionnement de l'entreprise repose sur l'application d'une charte éthique, applicable à chaque étape de la chaîne commerciale. Les approvisionnements locaux et la mise en avant du travail de petits producteurs sont favorisés. Ethique et solidarité s'inscrivent ainsi dans une démarche quotidienne.
Des valeurs solidaires en héritage
Autre exemple, autre entreprise Française. Leader, elle aussi, sur son secteur : celui de l'optique. Premier réseau d'opticiens en France avec 1 200 points de ventes, Optic 2000 est, à la base, une coopérative. Depuis sa création à la fin des années 1960, l'entreprise est restée fidèle non seulement à son modèle économique, mais encore à ses valeurs intrinsèques à savoir la gestion démocratique et la liberté d'adhésion des opticiens. Optic 2000 se distingue sur le terrain par sa politique sociale solidaire : une forte implantation en milieu rural comme dans les hypercentres, des opticiens diplômés et non de simples vendeurs de lunettes, des campagnes de sensibilisation et de dépistage des problèmes de vue, par exemple. Sont également singuliers les engagements d'Optic 2000 en faveur d'un accès plus large à la santé, comme le montre son interaction permanente avec les OCAM (organismes complémentaires d'assurance maladie) pour une meilleure couverture sociale des patients. Au niveau économique, ce sont les artisans français qui sont valorisés à travers les modèles "Made In France" (152 000 ventes en 2010), permettant de soutenir la création d'emplois en France, et la filière de la lunetterie. La solidarité s'exerce en France, à travers un partenariat ténu avec le Téléthon, mais s'exporte en Afrique également, avec des campagnes de dépistage et des dons de lunettes. Son secrétaire général, Yves Guénin, insiste sur l'inné de ces valeurs, "sans doute consolidées par notre fidélité à notre modèle coopératif initial".
Une autre vision de la finance
Plus surprenant, lorsqu'on tient compte de la symbolique véhiculée par les services financiers dans l'opinion : la banque, aussi, peut être coopérative. C'est notamment le cas, comme son nom l'indique, du Crédit Coopératif dont l'origine remonte à 1893, et fruit d'une intégration de la Banque Coopérative des Associations Ouvrières de Production et de la Caisse Centrale de Crédit Coopératif. Encore aujourd'hui, ses sociétaires sont des associations, des coopératives, ou des entreprises d'économie sociale. Contrairement à d'autres, la banque ne choisit pas pour clientèle d'élection les segments les plus rentables, mais plutôt ceux répondant aux critères de l'économie sociale comme les mutuelles, les associations ou le secteur de la santé et du logement social par exemple. Fidèle à ses spécificités, le Crédit Coopératif est devenu le pôle spécialisé pour l'économie sociale et solidaire au sein du groupe Banque Populaire. Sa vocation sociale l'a, entre autres initiatives, amené à oeuvrer à la création d'un réseau de caisses d'épargne au Mali ou à faciliter l'accès aux services bancaires au profit des entreprises d'insertion. Et comme pour affirmer son statut, la banque pratique encore la ristourne coopérative, cette spécificité qui consiste à redistribuer une partie des résultats annuels aux sociétaires sous forme de ristourne! Qui a dit que les banquiers étaient tous des gens avides?
Alternative providentielle quand tout va mal
Souvenons-nous du récent exemple de SeaFrance, devenu My Ferry Link quelques mois après sa liquidation judiciaire. A l'époque, caméras et regards étaient braqués dans le vide, dans l'attente d'un partenaire extérieur disposé à déposer une offre de reprise jugée viable par le tribunal de commerce. A défaut de quoi, les 880 emplois sur la sellette seraient définitivement supprimés. C'était sans compter sur l'opiniâtreté de ses anciens salariés face à la crise, qui malgré une première tentative infructueuse, ont fini par faire accepter la création d'une société coopérative ouvrière financée par les primes de licenciement des travailleurs de SeaFrance et le soutien d'Eurotunnel qui s'est porté acquéreur de trois navires. Huit mois après la liquidation judiciaire, le Rodin et le Berlioz reprenaient la mer. Renaissant progressivement de ses cendres, la compagnie a déjà embauché 400 personnes dont l'immense majorité sont d'anciens salariés de SeaFrance. Les mêmes, d'ailleurs, qui n'hésitent pas à revendiquer un certain sentiment de fierté et de revanche sur leur récent passé. Nul doute que le retour du pavillon français dans la Manche y est pour quelque chose, et que la gouvernance de l'entreprise sera désormais durablement guidée par l'intérêt collectif!
Différentes entreprises, différentes stratégies, différents identités, mais un socle commun : elles sont gouvernées par les hommes, et pour les hommes dans un double souci de pérennité et de citoyenneté. Les valeurs présidant à la création de ces entreprises coopératives ont perduré, se sont adaptées aux impératifs économiques actuels de performance économique, et démontrent une étonnante résistance à la crise. Peut-être, il est vrai, parce qu'elles sont encore gérées par de "bons pères de famille", à l'heure où d'autres entreprises assimilent leur marché à un casino. Ne dit-on pas d'ailleurs, à ce sujet, que "le plus est l'ennemi du mieux"?