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Que reste-t-il de la vallée de l'énergie ?



  • À Cadarache se poursuit depuis 2007 la construction du réacteur expérimental ITER. Supervisé par l'organisation internationale du même nom, le déroulement de ce chantier se fait dans une opacité totale, qui ne semble pourtant  pas interpeler le personnel politique. Si la situation profite à de nombreux  participants au projet, elle est loin de faire le bonheur des industriels français et des collectivités locales qui ont investi dans ce projet en pariant sur son potentiel économique.

    Dans le plus grand désintérêt de la classe politique, se déroule en France le projet de construction du réacteur expérimental à fusion nucléaire ITER. Chantier dont le coût est évalué à plus de 15 milliards d'euros étalés sur 15 ans,  la " vallée de l'énergie " pourrait être à l'origine des prochains grands bonds en avant réalisés par l'industrie de pointe française de la filière du nucléaire. À l'heure actuelle toutefois, il n'en est rien. L'opacité du consortium international est telle que les entreprises et territoires français parviennent difficilement à arracher quelques retombées positives d'ITER. Alors que ce projet pourrait être un investissement créateur de richesse pour la France, seul son coût, constamment réévalué à la hausse depuis 2005, fait aujourd'hui l'objet d'une certitude affirmée.

    ITER, une opportunité. Mais pour qui?

    La construction du réacteur ITER est placée sous la supervision d'un consortium international baptisé du même nom (dont le siège est à Barcelone). En Europe, les initiatives de ce consortium sont relayées par l'organisme européen Fusion for Energy. Le rôle de cette institution est notamment d'attribuer les appels d'offres et offres d'emplois générés par le projet ITER. Lorsque le lancement d'ITER a été décidé en 2005, cette mission promettait d'être gourmande en hommes : Pôle Emploi, qui travail en étroite collaboration avec Fusion for Energy pour le traitement des candidatures, anticipait la création de 3000 postes dans la région PACA où ITER est implanté. À ces emplois-ci se rajouteraient quelque 3000 autres au cours de la phase d'exploitation du réacteur.

    Face à ces perspectives alléchantes, les acteurs économiques locaux et nationaux se sont mobilisés. Le conseil général de la région PACA a financé la construction d'une école internationale à proximité du site pour faciliter l'accueil des familles des ingénieurs français et étrangers participant au projet. D'onéreuses formations en " science de la fusion " ont été inaugurées dans une dizaine d'établissements d'enseignement supérieur de France afin d'assurer la participation des ingénieurs nationaux au déroulement des opérations de pointe. Du côté du secteur privé, les entreprises de pointe du secteur de l'énergie se sont rassemblées en un pôle de compétitivité, Capénergie, afin de proposer une expertise technique solide au consortium international ITER. En s'associant et en partageant leur connaissance, les entreprises pensaient pouvoir ainsi mieux briguer les contrats de sous-traitances offerts par le projet, et l'ensemble de l'industrie française s'attendait à bénéficier d'un effet d'entrainement majeur. Pour assurer le bon déroulement du projet ITER, les acteurs nationaux publics et privés n'ont donc pas ménagé leurs efforts et leurs dépenses. Mais ils n'en ont pas retiré les résultats escomptés.

    Un projet dont on critique l'opacité

    Pour une majorité des représentants de l'industrie nucléaire française, ITER s'apparente en effet à une impasse. La grande opacité avec laquelle est géré depuis Barcelone ce projet rend toute candidature, collective ou individuelle, très délicate. Ainsi, les réponses aux appels d'offres proposés par ITER sont traitées par l'agence Fusion for Energy. L'ensemble des candidatures est ensuite directement transmis à l'organisation ITER qui opère son choix en dernier recours. Le système ultra-pyramidal qui caractérise le fonctionnement du recrutement sur le projet ITER rend extrêmement difficile le positionnement des entreprises françaises sur ce marché. Par ailleurs, leurs chances de succès dépend étroitement des décisions rendues par le consortium international ITER. Or sa composition ne répond pas à un principe d'égalité de représentation des parties prenantes, mais résulte d'un accord international datant de 2005, et en vertu duquel le Japon a par exemple remporté 20 % des sièges de cette organisation. La France étant par ailleurs largement absente des principales fonctions de direction du consortium, il est assez compréhensible que ses entreprises nationales peinent à y faire valoir leur compétence technologique.

    Du côté de la création d'emploi, le fonctionnement d'ITER ne fait pas preuve de davantage de transparence. Avant d'entrer seulement en contact avec le consortium qui supervise la construction du réacteur, un candidat individuel doit déposer sa candidature à Pôle Emploi. Celle-ci est ensuite transmise à l'agence Fusion for Energy qui la transmettra -ou pas- à l'organisation internationale afin d'y subir un troisième examen. C'est donc par deux intermédiaires que tout candidat souhaitant participer au projet ITER doit passer pour faire valoir son profil. Et pour quels types d'emploi ? Essentiellement des postes d'ouvriers du secteur de la construction comme en témoigne la fiche des emplois prévisionnels liés au projet ITER éditée par Pôle Emploi. Pour les collectivités locales, le retour sur investissement de l'aventure de Cadarache s'avère donc également décevant et ITER se trouve bien loin de devenir cette " vallée de l'énergie " attractive pour les cerveaux français que la région PACA avait coûteusement espéré.

    Des bénéfices... contrebalancés par des coûts résolument astronomiques

    Si les retombées économiques d'ITER en France s'avèrent limitées, son coût pour l'État et les collectivités locales demeure colossal. En tant que pays hôte, la France s'est engagée, avec l'Union européenne, à financer 45 % de la construction de ce réacteur. C'est plus de quatre fois ce que leurs autres partenaires internationaux financent eux-mêmes. Par ailleurs, le coût d'ITER n'a de cesse d'augmenter depuis le début de sa construction. Ce réacteur devait initialement coûter 5 milliards d'euros et voilà qu'aujourd'hui, la facture a tellement grimpé qu'elle pèserait au mieux 16 milliards d'euros. L'UE et la France contribuant à hauteur de 4 milliards d'euros, on peut donc chiffrer le retour sur investissement actuel du projet ITER à plus d'un million d'euros déboursé par emploi créé dans le BTP français. Autant dire que cette dépense publique gagnerait à être optimisée par les temps qui courent.

    Le plus regrettable dans cette (més-)aventure, c'est que le problème de rentabilité macroéconomique que suppose ce projet n'est jamais abordé par le personnel politique, trop heureux de pouvoir se satisfaire de l'implantation de ce réacteur sur le territoire national. Mais était-ce là le véritable enjeu des négociations entre les membres de l'organisation ITER ? Après tout, il s'agit d'une coopération internationale : tous ses participants auront accès aux technologies développées dans l'enceinte du réacteur. Le vrai enjeu d'ITER est bien sûr de se rentabiliser tout au long de son développement. Mais au lieu d'être considéré comme une opportunité exceptionnelle de croissance pour nos secteurs de pointe, ITER a été abordé dès ses débuts par les décideurs politiques français comme un simple investissement dans la recherche alors que les retombées auraient du être un moteur pour les entreprises françaises de haute technologie. Estimons-nous heureux qu'il ait pu, au passage, stimuler quelque peu notre secteur du BTP, car c'est vraisemblablement tout ce que l'élégance de Séoul, Washington ou New Delhi concèdera à l'industrie française étant donné la façon dont ses intérêts ont été défendus il y a 8 ans de cela...

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