Trois mois après la promulgation de la loi-cadre pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes en France, l’AWID s’est entretenue avec des militant-e-s des droits des femmes et des droits des personnes LGBTQI sur différentes composantes de la politique française en matière d’égalité de genre afin d’en savoir plus sur leurs limites.
Par Mégane Ghorbani
Lors du remaniement ministériel du 26 août 2014, le Ministère des droits des femmes, institué en mai 2012 et devenu Ministère des Droits des Femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports en avril 2014 a été supprimé. La rétrogradation au rang de Secrétariat d’Etat aux droits des femmes rattaché au Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des Femmes a suscité l’indignation d’une partie du mouvement féministe puisqu’elle rompt non seulement lapromesse du Président François Hollande lors de son élection en mai 2012, mais elle constitue également un pas en arrière quant aux avancées juridiques et institutionnelles.
Bonne en théorie, défaillante dans la pratique
On a observé en France depuis 2012 des avancées institutionnelles et juridiques considérables en matière d’égalité de genre. Création d’un Ministère dédié aux droits des femmes, lutte contre les violences faites aux femmes, loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe et loi-cadre pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ont néanmoins entraîné en réalité des avancées en demi-teinte.
D’après Yveline Nicolas, coordinatrice de l’association Adéquations : « La première avancée a été la création en 2012 d’un Ministère des droits des femmes, Ministère de plein exercice, ce qui constituait un événement important en France où il n’y avait pas eu de Ministère ni même de Secrétariat d’Etat dédié depuis de nombreuses années. La Ministre des droits des femmes était également porte-parole du gouvernement, ce qui lui donnait une importance particulière. Cependant, ce Ministère est devenu en avril 2014 un Ministère des Droits des Femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, ce qui inévitablement allait diminuer les moyens matériels et humains pour les droits des femmes. Lors du remaniement ministériel du 26 août, les droits des femmes ont été rattachés aux affaires sociales, avec un Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des Femmes, ce qui constitue une autre régression car au lieu de considérer l’égalité femmes-hommes comme un enjeu transversal, on rattache les femmes aux affaires sociales. »
Au niveau des violences faites aux femmes, la loi du 6 août 2012 offre une définition plus précise et plus étendue du harcèlement sexuel, une loi protégeant les femmes victimes de violence et de la traite a été publiée en août 2013 ainsi qu'un quatrième plan de lutte contre ces violences pour la période 2014-2016, et la circulaire du 7 août 2014 est venue renforcer l’Ordonnance de Protection instituée en 2010 et délivrée en cas de violences par le juge. D'après Laetitia Franquet, Docteure en sociologie spécialisée sur les questions de violences faites aux femmes, « il y a eu des avancées législatives par rapport à la prise en charge juridique mais il n’y a pas d’avancées judiciaires. Pour les Ordonnances de protection, il y a une grande variante entre celles qui sont déposées et celles qui sont retenues par le Parquet. Alors que l'Ordonnance dit que des preuves ne sont pas nécessaires, la réalité est différente et il faut vraiment construire un dossier très solide avec un ensemble de preuves. Donc les droits avancent mais ce n’est pas pour autant que les femmes sont mieux protégées par la loi. »
La loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe en France a eu deux effets majeurs. D’après Arnaud Alessandrin, Docteur en sociologie et chercheur sur le genre et les sexualités, « d’une part elle a permis d’ouvrir des droits à celles et ceux qui n’en bénéficiaient pas jusqu’alors. De ce point de vue, en droit tout du moins, le privilège hétérosexuel est aujourd’hui moindre. D’autre part, cette loi a également eu un impact sur la vie sociale du pays en redessinant une ligne de front entre une homophobie, qui ne s’était pas exprimée de la sorte depuis les débats sur le Pacs (Pacte Civil de Solidarité), et les défendeurs du mariage pour tous. Dans la pratique, il y eut quelques tribunaux récalcitrants dans la procédure d’adoption et quelques maires ont refusé de marier les couples de même sexe. Les freins qui persistent sont des écueils symboliques qui font alors perdurer l’idée qu’une inégalité de traitement entre couples hétérosexuels et homosexuels est tout à fait justifiée et que cette loi est peut-être même en sursis.»
La loi-cadre du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes aborde de nombreux sujets parmi lesquels figurent l’égalité professionnelle, la lutte contre la précarité, les violences, les représentations et stéréotypes sexistes, les mariages forcés et la parité. Mais comme le note Yveline Nicolas, il y a une contradiction entre les politiques publiques et les budgets alloués « à annoncer des restrictions de budget partout, des réorganisations administratives qui surchargent de travail des services déconcentrés de l’Etat chargés de mettre en place des plans d’actions régionaux pour cibler les inégalités tout en votant des lois ambitieuses qui demandent un effort sur de longues années. Car cela n’est pas en quelques années qu’on va éradiquer les violences de genre et les stéréotypes ni rééquilibrer le partage des tâches domestiques entre les femmes et les hommes. »
Ressources réduites et aide publique au développement (APD) française limitée en matière de genre
Outre ces limites d’ordre juridique et institutionnel, les organisations de la société civile, actrices majeures dans la mobilisation pour l’égalité de genre, sont confrontées à diverses difficultés que la politique française laisse de côté. Malgré la création d’un Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes début 2013, dédié à la concertation entre la société civile et les décideurs, le manque de ressources et de soutien financier pour le travail de plaidoyer et l'expertise de la société civile les empêchent d'influencer les politiques. Comme le souligne Yveline Nicolas, «ces instances consultatives n’ont pas forcément la volonté ni les moyens d’animer des discussions et des consultations au sein de leur « famille d’acteurs ». Le monde associatif connaît également en France une crise, au point qu’une commission d’enquête parlementaire a été créée. Alors que la France est le quatrième plus important donateur au monde, avec près de 10 milliards d'euros de financement annuel, les associations de femmes et féministes ne sont pas très soutenues et on pourrait dire que beaucoup sont dans la posture « genrée » du travail gratuit et de l’invisibilité des questions touchant les femmes. » Ce manque de ressources résulte sur une concurrence entre organisations de défense de l’égalité de genre et a ainsi un impact direct sur le champ associatif en lui-même. Par conséquent, la fragmentation de la société civile se fait ressentir notamment au niveau des alliances entre certains mouvements LGBTQI et certains mouvements féministes, d'après Arnaud Alessandrin.
Depuis peu, la France semble créer un environnement favorable à l’introduction du genre dans les politiques de développement, caractérisé par la mise en place d’un cadre d’intervention transversal sur le genre et la réduction des inégalités femmes-hommes par l’Agence Française de Développement (AFD) et du deuxième Document d’Orientation Stratégique (DOS) sur le Genre par le Ministère des Affaires Etrangères et du Développement International (MAEDI), après évaluation participative du premier DOS sur le Genre. D'après Claudy Vouhé, Présidente de l’association Genre en Action, les organisations de femmes et féministes ont bénéficié depuis le dernier gouvernement de tout le travail effectué par le Ministère des droits des femmes qui a souhaité que toutes les politiques soient évaluées en fonction de leur impact sur l’égalité femmes-hommes, y compris la politique française d’aide au développement. Elle ajoute « ces changements résultent du travail effectué par les organisations qui militent pour le genre mais aussi de la pression de l’OCDE qui a fait des rapports, et notamment des évaluations par les pairs, où l’absence de prise en compte du genre a été pointée. »
Cependant, au niveau des visions portées par la coopération française en matière de prise en compte du genre, on observe encore des écueils tels que la stimulation du secteur privé dans ce domaine ou encore une compréhension erronée du genre comme égalité de sexes. « Il y a tout un argument économique qui s’affiche de plus en plus dans l’APD et de fait instrumentalise le genre en faveur de l’efficacité du développement. On est également loin encore d’une intégration des questions LGBTQI et plutôt dans une vision de droits des femmes, et on a du mal à être dans une compréhension de l’intersectionnalité», explique Claudy Vouhé. En outre, elle explique que malgré les objectifs ambitieux de l'AFD pour renseigner toutes ses opérations d'ici 2017 par les marqueurs genre de l’OCDE, « il y a un vrai souci de redevabilité puisqu’on a une grosse partie des financements qui échappe à ces marqueurs. Les montants budgétaires alloués au genre par le MAEDI et l'AFD restent difficiles à mesurer ».
L'AFD a effectivement pour objectif qu'au moins 50% de ses opérations reçoivent les notes 1 ou 2 du marqueur1, c'est-à-dire que le genre soit un objectif significatif ou principal. Claudy Vouhé fait remarquer cependant que ces marqueurs genre peuvent s'appliquer aux budgets des projets portés par les institutions dans le cadre de l’aide bilatérale mais pas dans le cadre de l’aide multilatérale. Puisque 20% de l’aide française s'exerce via la Commission européenne, sans savoir comment ces fonds sont fléchés sur le genre. De plus, l’APD française reste très axée sur des secteurs qui prennent très peu en compte le genre, comme les infrastructures notamment.
Les Nations Unies sont un espace international où ont lieu d'importantes discussions sur lesObjectifs du développement durable(ODD) et Pékin 20, entre autres, et constituent une opportunité pour l’inclusion d’une perspective genre dans les politiques de développement. Claudy Vouhé souligne « il y a de plus en plus d’ouvertures sur ces questions-là mais les petites associations n’ont pas les moyens d’accéder à ces espaces. Le niveau politique est très difficile à suivre pour les petites associations. Cela pose ainsi la question du renforcement des capacités des associations à comprendre ce qui se passe à ce niveau mais aussi du personnel de l’ONU à être formé sur les réalités des associations féministes. »
1 Les trois niveaux de l’indicateur genre sont : 0, lorsque l’égalité de genre n’est pas ciblée ; 1, quand elle est un objectif significatif ; 2, quand elle constitue l’objectif principal. Pour en savoir plus, voir : http://www.adequations.org/IMG/pdf/Fiche_utiliser_le_Marqueur_Genre.pdf
[FMFFpouv]
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