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Noir Canada sort en librairies



  • Le 10 avril dernier, le livre Noir Canada: pillage, corruption et criminalité en Afrique n’avait pas encore gagné les rayons des librairies. Pourtant, le titre était sur toutes les lèvres. C’est que le géant minier Barrick Gold venait de menacer de poursuivre Alain Deneault, auteur de cet ouvrage qui dénonce les abus commis par les sociétés minières et pétrolières canadiennes en Afrique. Barrick — qui exploite actuellement 27 mines d'or, d'argent et de cuivre, sur les cinq continents — a aussi menacé d’entamer des procédures judiciaires contre les collaborateurs d’Alain Deneault et la maison d’édition, Écosociété, si «une seule copie» du livre était publiée. La maison ne s’est pas laissé intimider et le livre a finalement été lancé le 14 avril.

    «Le sort de ce livre est un test pour la démocratie et la liberté d'expression canadienne», a déclaré Alain Deneault, tout juste avant le lancement. Pour lui, les menaces de Barrick Gold s’inscrivent dans la logique des «poursuites-bâillons», mieux connues sous leur acronyme anglais SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation). «Les moyens financiers de cette multinationale aurifère, en comparaison avec ceux des chercheurs, lui permettent de procéder par intimidation.»

    Du sang sur les mains
    Selon les allégations d’Alain Deneault, des sociétés comme Barrick Gold et Heritage Oil (une pétrolière de Calgary) auraient soutenu politiquement et financièrement la rébellion menée par Laurent-Désiré Kabila durant la première guerre du Congo (1996-1997), pour renverser le dictateur Mobutu Sese Seko. «Kabila est parti de l’est du pays et au fur et à mesure qu’il progressait vers Kinshasa, à l’ouest, il faisait des détours pour sécuriser des gisements miniers, explique l’auteur. Des compagnies canadiennes ont fait main basse sur des ressources prodigieuses en échange d’armes ou de valises d’argent.»

    Alain Deneault rappelle que cette guerre a des millions de morts, mené à la pulvérisation de villages entiers et promu l’enrôlement d’enfants soldats. «Si les compagnies canadiennes n’ont pas créé le conflit, elles l’ont certainement attisé. Certaines allégations veulent même que Barrick Gold et Heritage Oil aient armé les deux camps simultanément, pour entretenir le chaos et s’assurer des appuis des deux côtés. C’est d’un cynisme absolu.»

    Également évoqué dans le livre : la mort présumée de mineurs artisanaux dans une mine d'or située à Bulyanhulu, en Tanzanie. La compagnie Sutton Mining, téléguidée par Barrick Gold, avait acheté cette mine à la fin des années 1990. «Des gens qui se trouvaient sur leur terre ancestrale se sont fait dire du jour au lendemain qu’ils devaient quitter les lieux, sans compensation. Devant leur refus, la compagnie a enterré les trous que les paysans creusaient pour aller chercher des pépites. Plusieurs mineurs s’y trouvaient au moment de cette prise de contrôle par les bulldozers et des dizaines d’entre eux ont été enterrés vivants.»

    Barrick soutient que ces allégations «sont dénuées de tout fondement». Elle affirme que son innocence a été prouvée par des enquêtes du gouvernement et de la police de Tanzanie, de représentants de la Banque mondiale, de journalistes et des membres du cabinet d'avocats Davies Ward Philips et Vineberg (le même cabinet qui a rédigé la mise en demeure contre Alain Deneault).

    Pour un débat public
    Noir Canada, qui fait 350 pages bien tassées, réunit des dizaines d’autres exemples d’abus perpétrés par les sociétés canadiennes en Afrique. Au total, une quinzaine de sociétés sont citées. L’ACDI n’échappe pas à l’œil critique de l’auteur. Cette «agence de marketing» a financé la remise à neuf des infrastructures du chemin de fer entre Bamako et Dakar, au titre de l’aide au développement. Bien sûr, le projet a profité aux sociétés canadiennes qui ont bénéficié des contrats de construction. Ce qui choque davantage Alain Deneault, c’est que l’ACDI ait exigé à la fin des travaux que le chemin de fer soit privatisé. «Au hasard, c’est une compagnie canadienne, la CANAC, qui en a hérité. Depuis, elle a licencié des employés et fermé la majorité des gares au public pour ne faire que du fret.»

    Pour documenter leurs allégations, Alain Denault et ses collaborateurs se sont basés sur des documents publics, publiés par des ONG reconnues dont la Human Rights Watch, Mining Watch ou Global Witness. «Nous n’avons pas cité les témoignages flottants, que nous ne pouvions pas vérifier», assure l’auteur.

    Pour Alain Deneault, il est grand temps de tenir un débat sur les pratiques des sociétés minières et pétrolières canadiennes en Afrique. «Surtout que bien des Canadiens se trouvent à les financer, via les fonds de retraite, les REER, les placements publics ou les institutions financières, par l'entremise de la Bourse de Toronto.»

    La polémique entourant la sortie du livre lui assurera une certaine publicité. Les Éditions Écosociété ont dit qu’elles songeaient déjà à imprimer de nouveaux exemplaires, qui s’ajouteront aux 1 750 tirés en première impression.
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