Contexte : l’agenda climat et post 2015
La 21e Conférence des Parties de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC [2]) aura lieu du 30 novembre au 11 décembre 2015 en France à Paris Le Bourget. Stratégique, cette Conférence vise un nouvel accord international juridiquement contraignant sur le climat, applicable à tous les pays à partir de 2020, dans l’espoir de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2°C d’ici 2100. Le 5e rapport du GIEC [3], publié le 2 novembre 2014, a confirmé la gravité de la situation : selon un scénario possible, le réchauffement global pourrait dépasser les 4° d’ici 2100 si la tendance actuelle de consommation des énergies fossiles n’est pas inversée, ainsi que la déforestation [4]. D’ores et déjà les effets des changements climatiques se font sentir notamment dans les zones les plus fragiles : événements climatiques intenses, sécheresses, pluies diluviennes, inondations, hausse du niveau des mers.
L’agenda climatique s’inscrit également dans le processus « post 2015 » d’adoption des objectifs de développement durable (ODD) universels, sur la base d’une proposition de 17 ODD formulés par les Nations unies en août 2014 [5].
L’importance de la prise en compte du genre dans les discussions climatiques
Il est maintenant largement reconnu que « Les femmes sont affectées de manière disproportionnée par les impacts du changement climatique, tels que les sécheresses, inondations et autres événements météorologiques extrêmes, mais elles jouent aussi un rôle essentiel dans la lutte contre le changement climatique. [6] » Les femmes, parce qu’elles représentent 70 % des pauvres dans le monde et du fait de leurs rôles socialement construits, sont particulièrement touchées (eau, forêt, agriculture, pêche…) alors qu’elles consomment en moyenne moins d’énergie. Les catastrophes climatiques ont des effets spécifiques en matière de violences de genre, de migration et de réfugiées. Un autre problème est que les négociations et les groupes de travail scientifiques sont majoritairement menés par des hommes.
Cependant, les questions de genre sont progressivement prises en compte. La 18ème session de la Conférence des parties notamment avait décidé d’un suivi des progrès en matière de parité dans la représentation au sein des organismes de négociations et de décision et de prise en compte du genre dans les politiques climatiques [7]. La Global Gender Climate Alliance, lancée à la conférence de Bali en 2007 et le Women and Gender Constituency [8] ont pour objectif d’assurer que les politiques sur le changement climatique, les prises de décisions, intègrent le genre. Le Cadre d’action de Hyogo 2005 - 2015 [9] (stratégie internationale pour la prévention des catastrophes), en cours de renégociation, indique que « la perspective de genre devrait être intégrée dans toutes les politiques de gestion des risques de catastrophe, et des plans et des processus de prise de décisions, y compris celles relatives à l’évaluation des risques, l’alerte rapide, la gestion de l’information, l’éducation et la formation ». La Cop20 à Lima, dont le résultat global est décevant au regard de l’urgence climatique, a néanmoins débouché sur le lancement d’un programme de travail sur le genre (« Lima Work Programme on Gender ») [10].
Malgré ces prises de conscience de l’importance d’une approche de genre, en France, pays où se tiendra la Conférence des parties de 2015, on peine à développer et étayer par des recherches et des retours d’expérience le discours sur les femmes « à la fois victimes et actrices » face aux impacts du changement climatique. Il y a peu de reconnaissance des associations travaillant spécifiquement sur genre, environnement et développement durable, et elles sont quasiment absentes des discussions nationales et internationales faute de moyens.
Recommandations générales
Le groupe Genre et développement soutenable et les associations signataires de ce texte inscrivent leurs positions dans le socle général suivant :
Articuler la question du climat avec l’enjeu transversal du respect des droits humains et de la justice sociale – intégrant les droits humains des femmes, civils et politiques, économiques sociaux et culturels et les droits sexuels et de la procréation
Reconnaitre le droit à un environnement sain et appliquer le principe de précaution
Reconnaitre les biens communs mondiaux, les communaux, leur protection et leur non marchandisation
Reconnaître le droit à la souveraineté alimentaire et soutenir la relocalisation de l’économie
Concrétiser le principe de responsabilité commune mais différenciée, compte-tenu de la participation inégale au déséquilibre climatique des pays et groupes humains à l’intérieur des pays ; appliquer une approche de justice climatique impliquant des transferts pour le financement de l’adaptation en priorité, et de l’atténuation dans les pays les plus pauvres
Mettre fin aux subventions aux industries polluantes (énergies fossiles, nucléaire, armements…), ainsi qu’aux « grands projets inutiles » (barrages, exploitations agricoles industrielles…) et les diriger vers des pratiques soutenables (agroécologie, énergies renouvelables, régénération de milieux dégradés, relocalisation de la production et de la consommation, économie sociale et solidaire…)
Rompre avec les approches néo-libérales : les marchés et les mécanismes de « finance carbone » alimentent des spéculations financières au lieu de concourir à résoudre les problèmes. Les milieux d’affaires et les industries polluantes responsables d’une partie importante des émissions de gaz à effet de serre s’imposent dans les négociations et les mécanismes de l’ONU et de l’Union européenne, ainsi qu’au travers des partenariats publics privés, dont l’impact sur le climat devrait être évalué : une convention internationale contraignante sur la responsabilité des entreprises est nécessaire.
Pour des politiques climatiques sensibles au genre
La prise en compte du genre dans la question du climat renvoie à l’intégration de l’objectif d’égalité femmes-hommes dans l’ensemble des politiques environnementales, économiques, sociales et en matière de participation équitable de l’ensemble des acteurs de la société civile. L’égalité femmes-hommes, l’autonomisation des femmes, la lutte contre les violences fondées sur le genre – avec un accent particulier mis sur les effets des conflits environnementaux et sur la situations des réfugiées climatiques - constituent un enjeu transversal qui conditionne l’atteinte d’un développement humain durable [11]. En particulier, nous attirons l’attention sur la nécessité de mieux articuler les processus des trois conventions de Rio et de leurs plans d’action nationaux et sous-régionaux sur changement climatique, biodiversité, désertification. Actuellement la désertification et l’érosion massive de la biodiversité (objectifs d’Aïchi) semblent moins bien prises en compte au niveau local et global que le climat. Pourtant la lutte contre la désertification et la protection de la biodiversité – intégrant le développement de pratiques agroécologiques et de gestion soutenable des ressources adaptées à chaque contexte – est un des facteurs majeurs de résilience, et les femmes au Sud jouent dans ce domaine un rôle particulièrement important.
Un autre point stratégique, à la fois pour l’environnement et pour l’égalité femmes-hommes, est l’aménagement urbain durable intégrant le genre (parité dans la gouvernance, lutte contre les inégalités, les ségrégations et les exclusions, modes de transport adaptés, aménagement de l’espace et des bâtis, agriculture urbaine…).
Les droits sexuels et procréatifs des femmes, leur autonomisation économique et sociale, leur niveau d’éducation, ont pour leur part un impact en matière démographique [12].
L’enjeu genre et climat se réfère souvent aux pays « pauvres », mais il doit intégrer aussi les pays et les couches sociales qui surconsomment. Par exemple, la diminution des émissions de gaz à effet de serre implique un changement des modes de production et de consommation. Or sexisme et surconsommation sont parfois liés (marketing genré favorisant le gaspillage par la création de produits sexospécifiques…). Un rééquilibrage entre la sphère marchande, de consommation et la sphère d’utilité sociale pourrait avoir un impact doublement favorable : diminution de la consommation d’énergie et de ressources non renouvelables, amélioration de l’articulation des temps de vie et développement d’activités économiques soutenables et relocalisées, telle que l’économie solidaire.
Recommandations en matière d’égalité femmes-hommes et de prise en compte du genre
Participation des femmes et transversalité du genre
Assurer la parité dans tous les processus des négociations climats et tous les mécanismes climat mis en place (prévention des changements climatiques, adaptation aux changements climatiques, technologies…) ; assurer la représentation officielle de la société civile (sur le modèle des « groupes majeurs » pour le développement durable) ; financer la représentation systématique de groupes de femmes ayant des actions sur le terrain (eau, assainissement, déchets, semences, agroforesterie, agriculture vivrière, énergie rurale etc.) ainsi que des femmes migrantes et des réfugiées.
Prendre en compte le genre dans l’ensemble des textes et mécanismes de prévention et d’atténuation du changement climatique ainsi que dans l’ensemble des objectifs et indicateurs des Objectifs de développement durable post 2015 sans oublier ceux se rapportant au climat et à l’environnement et ceux concernant les mécanismes de financement du développement [13].
Rappeler l’obligation d’intégrer une perspective de genre et de budgétisation sensible au genre dans toutes les stratégies climat énergie, de développement durable [14] et les agendas 21, ainsi que les politiques agricoles et les stratégies concernant la biodiversité, la lutte contre la désertifications ; créer des outils pour aider les acteurs notamment les collectivités territoriales à intégrer le genre dans ces politiques et stratégies.
Assurer la diffusion de l’information, la formation sur les liens entre genre, climat, mécanismes internationaux etc. qui doit être rendue accessible à tous et toutes et notamment les jeunes, les décideurs locaux, les ONG engagées dans des projets de développement.
Mettre en place des observatoires et des évaluations documentées sur l’impact en matière de genre et de droits des femmes des initiatives publiques ou privées telles que Divest Invest, Climate Smart Agriculture, Réduction des Emissions par la Déforestation ou la Dégradation et REED , Sustainable Energy for All (SE4ALL) des Nations unies et de la Banque mondiale…
Lien entre genre, climat, économie et ressources naturelles
Assurer la cohérence entre les engagements sur le climat et les engagements et stratégies découlant de la Convention internationale pour l’élimination des discriminations à l’encontre des femmes, du plan d’action de Pékin (et Pékin 20), du plan d’action de la conférence du Caire sur la Population et le développement, des résolutions des Nations unies sur femmes, paix et sécurité.
Reconnaître que les femmes, par leur travail de care gratuit (y compris le « care environnemental »), subventionnent l’économie de production et que cette charge de travail s’accroit avec les déséquilibres climatiques. Son partage équitable entre hommes et femmes doit être organisé et financé (notamment par la création de services publics), d’autant que les femmes (notamment cheffes de famille monoparentales et particulièrement en situation post conflit) sont plus touchées par la précarité énergétique, l’habitat dégradé, des trajets longs et des modes de transports non durables, la relégation dans des quartiers défavorisés, etc.
Faire une priorité de l’accès et du contrôle par les femmes des terres, du foncier, des biens communs, et des autres moyens de production, l’accès au crédit et à l’appui technique ; prendre des mesures contre l’accaparement des terres et de l’eau et l’extractivisme ; respecter les droits des communautés autochtones, des migrantes ; intégrer les femmes aux revues d’impacts environnementaux des projets
Promouvoir l’économie locale, la gestion collective des ressources, des déchets, du recyclage souvent assurées par des organisations locales de femmes et assurer à ces organisations leur pleine implication dans les stratégies mises en œuvre et les innovations.
Financement de l’égalité femmes-hommes et de l’approche de genre
Dans le cadre des fonds d’adaptation climatique (cf. Fonds vert pour le climat qui doit collecter et redistribuer 100 milliards de dollars par an d’ici 2020), dont les affectations doivent être transparente et publiques, affecter un pourcentage de l’aide aux organisations de femmes engagées dans la préservation de l’environnement, la lutte contre le changement climatique et activités économiques soutenables, ainsi qu’au financement de la protection et de l’appui aux déplacées et réfugiées climatiques.
Affecter des moyens pour recueillir et valoriser les connaissances et savoir-faire traditionnels des femmes, leurs pratiques locales et décentralisées, et pour favoriser les transferts de compétences notamment entre organisations de la société civile, pour produire des connaissances spécifiques dans le monde francophone et en Afrique.
Soutenir et financer la recherche-action sur les enjeux Genre, environnement, climat, biodiversité, forêts.
Modes de production et de consommation intégrant le genre
Renforcer l’orientation, la formation et l’accès des femmes et des jeunes filles aux filières scientifiques et techniques, aux emplois créés par la transition énergétique ainsi qu’aux activités liées à la préservation de la biodiversité et à l’agroécologie.
Soutenir la participation des femmes et la formalisation de leurs activités dans les secteurs économiques et sociaux qui contribuent à la transition des modes de production et de consommation et à la résilience environnementale : économie solidaire, activités de care, services urbains et ruraux, agroécologie, agriculture urbaine…
Agir contre les stéréotypes sexistes dans la consommation et l’éducation ; lutter contre le marketing genré, en portant une attention particulière aux services et prestations surtaxées aux femmes du fait des à priori sexistes à leur égard.
Recommandations spécifiques pour la France, présidente de la Cop21 en 2015
Promouvoir la participation à la Cop21 des organisations travaillant sur les questions genre, développement durable climat ; assurer une sensibilisation du public et des acteurs du développement durable sur la question genre et climat ; la France pourrait financer l’élaboration d’un outil pratique d’intégration genre et climat dans les projets de développement.
Intégrer une perspective de genre dans les processus de transition écologique et transition énergétique ainsi que dans la stratégie nationale de développement durable et les différents programmes ayant un lien direct avec le climat (agriculture, biodiversité…)
Intégrer des aspects concernant les conflits environnementaux et les déplacées climatiques dans la réactualisation du Plan de mise en œuvre de la résolution 1325 et autres résolutions sur Femmes, paix et conflits armés, et situations post conflit.
Soutenir l’expertise et la mise en réseau des organisations françaises et francophones investies dans genre, développement durable, climat ; financer des travaux de traduction des études et pratiques disponibles en anglais et dans d’autres langues ; promouvoir des supports et relais de communication adaptés à l’environnement culturel des publics visés.
Assurer que le genre et le financement du genre sera pris en compte dans les travaux du SBSTA (Organe subsidiaire de Conseil Scientifique et Technologique) [15] en 2015 et 2016, ainsi que dans l’accord qui sera signé.
Premières associations signataires
Associations femmes et genre
Adéquations*
AFFDU* (Association Française des Femmes Diplômées d’Université)
ANEF (Association Nationale des Etudes Féministes)
Assemblée des Femmes
Aster-International*
CLEF* (Coordination française pour le Lobby Européen des Femmes)
FECODEV (Femmes et Contribution au Développement)
Forum Femmes Méditerranée
Fondation pour les Femmes Africaines*
Libres MarianneS
Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté - France*
L’Université Nomade*
Marche Mondiale des Femmes
Rapsode productions*
Réseau Féministe Ruptures*
WECF France* (Women in Europe for a Common Future)
Autres associations et ONG
ADEL (Association pour le Développement de l’Economie Locale)
ATTAC
FIAN France (FoodFirst Information and Action Network)
Forim (Forum des Organisations de Solidarité Internationale Issues des Migrations)
Les Périphériques vous parlent
Soutiens internationaux
Genre en Action
ROFAF (Réseau des Organisations Féminines d’Afrique Francophone)
Réseau MUSONET Mali
* Associations participant au « groupe français Genre et développement soutenable », qui rassemble de façon informelle des associations ayant signé un document de position dans le cadre des processus Rio 20 et post 2015 [16]. Il vise une concertation d’organisations de la société civile sur les questions touchant le genre, les droits des femmes en lien avec les questions environnementales et de développement durable. Il est partenaire du Women’s Major Group [17] qui rassemble au niveau international des organisations de la société civile participant aux processus onusiens sur les questions environnementales et post 2015.
Notes
[1] Ce document de travail sera réactualisé périodiquement en fonction des actualités et des apports d’associations signataires. Des fiches thématiques complémentaires pourront venir développer certains points. Contact pour contribuer et pour signer le document : ynicolas(at)adequations.org.
[2] Voir http://unfccc.int/portal_francophone/items/3072.php.
[3] Informations pédagogiques : http://leclimatchange.fr.
[4] Pour atteindre l’objectif d’une limitation à 2°, « les émissions totales cumulées ne devront pas dépasser une fourchette de 1000 à 1500 gigatonnes de carbone d’ici 2100 (environ). Or, en 2011, le total de ces émissions cumulées avait déjà atteint 531 gigatonnes ». Ces émissions ont augmenté de 3% en 2011 et cette augmentation s’accroît chaque année. Voir http://leclimatchange.fr/les-elements-scientifiques.
[5] Voir www.adequations.org/spip.php ?rubrique117.
[6] CCNUCC, http://unfccc.int/gender_and_climate_change/items/7516.php.
[7] Décisions en faveur de la participation des femmes : 36/CP.7, 1/CP.16 et 23/CP.18
[8] Voir www.gendercc.net/policy/constituency.html ?L=2.
[9] Voir www.unisdr.org/2005/wcdr/intergover/official-doc/L-docs/Hyogo-framework-for-action-french.pdf.
[10] Voir http://unfccc.int/files/meetings/lima_dec_2014/decisions/application/pdf/auv_cop20_gender.pdf.
[11] Ces questions sont développées dans les documents de position du groupe français Genre et développement soutenable élaborés dans le cadre « Rio 20 » et « post 2015 ». Voir www.adequations.org/spip.php ?rubrique379.
[12] Sans oublier cependant qu’un seul enfant européen a une empreinte écologique supérieure à de nombreux enfants sahéliens en milieu rural.
[13] Notamment :
n°6. Assurer l’eau et l’assainissement pour tous pour un monde durable
n°7. Assurer l’accès à des services énergétiques pour tous, modernes, abordables, durables et fiables,
n°11. Construire des villes et établissements humains inclusifs, sûrs et soutenables
n°12. Promouvoir des modes de consommation et de production soutenables,
n°13. Promouvoir des actions à tous les niveaux pour lutter contre le changement climatique
n°14 Parvenir à une conservation et un usage soutenable des ressources marines, des océans et des mers
n°15. Protéger et restaurer les écosystèmes terrestres et mettre fin à toute perte de biodiversité
[14] Le projet de stratégie de développement durable de la France pour 2014-2015 est ainsi aveugle au genre (à part la mixité des métiers et l’égalité professionnelle dans la RSE)
[16] Voir www.adequations.org/spip.php ?rubrique379.
[17] Voir www.womenmajorgroup.org ; /www.adequations.org/spip.php ?rubrique113 (positions en français)
[CdP21-climat][CdP21-genre]
19/11/24 à 15h53 GMT