La loi santé adoptée fin 2015 se voulait texte phare du quinquennat en la matière, et socle fondateur de la modernisation de notre système de santé. Mais elle laisse pourtant de nombreux chantiers en suspens…
Santé… et argent
L’une des mesures de la loi santé qui a le plus fait parler d’elle est la généralisation du tiers payant. L’idée était de faciliter l’accès aux soins pour tous les Français, puisqu’ils n’auraient plus à avancer le prix de la consultation. Malgré les vives oppositions des médecins, la loi a consacré ce principe, qui sera toutefois limité à la part prise en charge par la Sécurité Sociale, et non à celle des mutuelles. Le Conseil d’Etat a en effet retoqué ce dernier volet.
Le chantier du coût de la santé pour les français est pourtant loin d’être résolu… « A mon avis, cela ne changera rien pour les malades. Si le manque d’argent posait un problème d’accès aux soins dans les années 1970, ce n’est pratiquement plus le cas aujourd’hui, à l’exception des lunettes et des soins dentaires », explique l’économiste de la santé Jean de Kervasdoué. Or dans le cas de l’optique justement, en moins d’une année, ont été décidé par ailleurs le plafonnement du remboursement des lunettes par la Sécurité Sociale, et la limitation du nombre de remboursements pris en charge par les mutuelles… Le secteur est bien souvent objet de discussions très marchandes, qui oublient que l’on parle là de la santé visuelle des français. Didier Papaz, à la tête d’Optic 2000, le premier réseau d’opticiens en France, le rappelle : « Nous sommes pour que l’optique reste encadrée par la Sécurité Sociale car nous sommes des professionnels de santé, pas des marchands de lunettes ».
Par ailleurs cette mesure concernant la généralisation du tiers payant a créé un autre chantier d’ampleur : celui du rétablissement du lien entre les médecins et le gouvernement… bien mis à mal par cette loi. Tous les syndicats de médecins ont ainsi boycotté la grande conférence de la santé organisée par le gouvernement en février 2016. Et le CNOM (Conseil National de l’Ordre des Médecins) a publié de son côté, fin janvier 2016 soit un mois après l’adoption de la loi, une liste de propositions au titre édifiant, « en réponse aux nombreux dysfonctionnements de notre système de santé »…
Santé… et déserts médicaux
La question de l’accès aux soins, non pour des raisons financières, mais pour des raisons géographiques, est un autre problème fondamental de notre système de santé. La France compte ainsi 192 déserts médicaux, dans lesquels vivent 2,5 millions de français. Le problème concerne les généralistes, mais plus encore les spécialistes. En tête de liste, les ophtalmos, qui font cruellement défaut et affichent des délais d’attente de plusieurs mois – plus d’une année dans certaines régions.
La loi santé, qui fait des « soins de proximité » l’un de ses trois axes principaux, a pris des mesures pour développer la délégation de compétences dans une filière qui manque de médecins, mais compte de nombreux professionnels de santé (orthoptistes et opticiens) capables de faire office de relais de santé locaux. Elle permettra ainsi aux opticiens de renouveler les lunettes et lentilles avec davantage de souplesse. Une mesure qui va dans le sens des propositions faites par la filière dans le cadre du Comité filière optique d’excellence. Créé en 2014, ce Comité rassemble les différents professionnels de la filière visuelle dans une « démarche totalement ouverte, collaborative », explique Ludovic Mathieu, le DG d’Essilor. Son but est de faire des propositions au service de la qualité et de l’accessibilité des équipements et des soins, et de garantir à tous « la possibilité d’être rapidement traité, soigné et équipé selon les cas », détaille Yves Guénin, le secrétaire général d’Optic 2000. A condition de miser aussi sur la formation : « le moteur, c’est la compétence », ajoute Yves Guénin, qui milite pour un allongement de la formation initiale et une formation continue régulière. Si la filière se réjouit de ces premières avancées, le chantier est loin d’être achevé : les décrets sont attendus… tout comme une réforme de profondeur qui s’appuierait davantage sur les propositions du Comité, et celles du rapport Voynet consacré à la restructuration de la filière visuelle !
Depuis la publication de la loi santé, d’autres décisions ont d’ailleurs suivi : à la grande conférence de santé organisée en février, il a été annoncé la régionalisation du numerus clausus qui pourrait permettre de résoudre – d’ici plusieurs années…- le problème de certains déserts médicaux. La réflexion et les annonces se poursuivent donc. Hedda Weissmann, de la CNAMTS, le souligne à propos des déserts médicaux : « On n’a pas été au bout de l’inventivité dans l’incitatif ».
Santé… et prévention
Enfin, en matière de prévention, la loi santé se veut innovante et proactive. Mais les professionnels sont plus réservés… Pierre Lombrail, président de la société française de santé publique, soulignait qu’en matière de prévention, le projet « n’est pas à la hauteur de l’enjeu ». L’exemple de l’affichage sur l’emballage alimentaire des informations nutritionnelles est cité par Jean de Kervasdoué : « ce ne sont pas les aliments qui sont en cause », déplore-t-il, « le sujet, c’est l’alimentation ». Les dispositions relatives à l’expérimentation des salles de shoot ou au paquet neutre de cigarettes provoquent aussi de nombreux scepticismes sur leur bien-fondé et efficacité…
Avec la loi santé, les idées et les objectifs sont bien là. Mais les dispositions concrètes qu’elle met en place en sont encore pour certaines à l’état d’ébauche. Les chantiers restent ouverts… et le travail est loin d’être fini !
Etienne Soumier
sources citations : Le JDD / Le FIGARO / Global & Local
19/11/24 à 15h53 GMT