Kampala, 12 août 2016
La Ministre ougandaise de l’Education et du Sport, Mme Janet Museveni, a formellement annoncé mardi durant une session du parlement que le gouvernement fermera bientôt les écoles mises en place par la plus grande et plus controversée des chaînes d’écoles à bas coûts dans le monde, Bridge International Academies (BIA), qui dirige 63 crèches et écoles primaires en Ouganda. Mme Museveni a indiqué avoir pris sa décision sur la base de rapports techniques du Ministère qui ont révélé que les écoles ne respectent pas les normes nationales, et en particulier que « les supports pédagogiques utilisés ne peuvent pas encourager l’interaction entre les enseignants et les élèves » et que « les conditions d’hygiène et de sécurité médiocres […] mettent en danger la vie et la sécurité des enfants ».
“Cette décision, qui est appuyée par des visites des officiels du Ministère sur le terrain, confirme les graves inquiétudes que nous avions à propos de Bridge”, a réagi Salima Namusobya, la Directrice Exécutive de l’Initiative for Social and Economic Rights (ISER), une ONG ougandaise veillant à la réalisation du droit à l’éducation dans le pays. “Nous nous inquiétons depuis longtemps que BIA ne respecte pas les lignes directrices du gouvernement [Government Guidelines on Basic Requirements and Minimum Standards for Schools] concernant par exemple les infrastructures, qu’ils emploient volontairement des enseignants non-qualifiés afin de réduire les coûts, en violant les lois ougandaises, et qu’ils développent un énorme commerce sans l’autorisation et la surveillance adéquate des autorités.”
Bridge International Academies est une chaîne d’écoles à but lucratif soutenue par des investisseurs tels que as Bill Gates, Mark Zuckerberg (Facebook) et Pierre Omidyar (eBay), ainsi que la Banque Mondiale et les gouvernements des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. L’objectif de l’entreprise est de fournir une éducation à 10 million d’élèves d’ici 2025. Elle opére déjà plus de 450 écoles au Kenya, en Ouganda, au Nigéria et bientôt au Libéria et en Inde. BIA est particulièrement critiquée pour son utilisation d’un système non-transparent de curriculums entièrement scriptés et standardisés, conçus principalement aux Etats-Unis, et mis en place par des enseignants non-qualifiés lisant les scripts depuis des tablettes, tout en vendant ce procédé aux populations démunies des pays en développement comme une « éducation de classe mondiale » afin de rechercher à faire des profits.
La décision de fermer les écoles de BIA fait suite à plusieurs déclarations d’organes des Nations Unies chargés du respect des droits de l’Homme, ainsi qu’à un rapport parlementaire anglais sur BIA, qui suggèrent que le développement de ces écoles pourrait contrevenir les des droits de l’Homme.
“Le système éducatif ougandais souffre de nombreux défauts. Cependant, cela ne veut pas dire que n’importe quel investisseur peut venir ici et exploiter cette situation pour faire des profits en fournissant une éducation de basse qualité au mépris des autorités et des normes nationales. Les traités internationaux et une résolution récente du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies indiquent clairement qu’il en va de la responsabilité des gouvernements de fermer les écoles de qualité inférieure ou qui induisent la marchandisation de l’éducation, et nous applaudissons le Gouvernement pour le respect de ces obligations,” a déclaré Frederick Mwesigye, Directeur Exécutif du Forum for Education NGOS in Uganda (FENU).
“Bien que cela ait été inévitable dans ce cas, il est extrêmement regrettable d’en arriver au point où certaines écoles doivent fermer. Le gouvernement doit maintenant s’assurer que tous les enfants aient accès à une éducation gratuite et de qualité, et que l’éducation d’aucun enfant ne soit interrompue. Ils ont pris la décision judicieuse d’attendre la fin du trimestre (début septembre) pour fermer les écoles Bridge, et nous appelons les autorités à utiliser ce délai pour aider à trouver des écoles alternatives pour les enfants, tout en développant des plans pour construire et améliorer le système d’éducation publique,” a ajouté Saphina Nakulima, d’ISER.
BIA a fait face à une série de controverses durant les trois derniers mois, révélant certaines des pratiques commerciales de l’entreprise. Venant s’ajouter à une déclaration précédente de mai 2015 qui démontrait que, contrairement à ce que l’entreprise prétend, Bridge fait payer des frais qui sont inabordables pour les plus démunis et qu’il n’y a pas de preuves solides concernant la qualité de ses écoles, il est récemment apparu que l’entreprise :
· n’hésite pas à avoir recours à des tactiques d'intimidation telle que l’arrestation d’un chercheur universitaire basée sur des allégations qui n’ont pu être prouvées, dans le but d’éviter une enquête indépendante sur son modèle;
· explore la possibilité d’utiliser les données collectées sur les enfants pour diverses fins commerciales, tels que la vente de produits financiers aux familles ;
· résiste aux demandes du Gouvernement du Libéria de mener une analyse indépendante et scientifiques des résultats de ses écoles dans le pays.
La décision du Gouvernement Ougandais est aussi pertinente pour son voisin, le Kenya, où BIA a le plus grand nombre de ses écoles. Il y a quelques mois, le Gouvernement du Kenya a arrêté le développement des écoles Bridges, en raison d'allégations similaires concernant le fait que l’entreprise ne respecte pas les normes nationales minimales en matière d’éducation.
Selon Abraham Ochieng, du East African Centre for Human Rights, “la situation au Kenya est malheureusement très similaire à celle de l’Ouganda. Il semble que seulement une minorité des 405 écoles de BIA dans le pays soient officiellement enregistrées, que le curriculum qu’ils utilisent n’a pas été approuvé par les autorités, et qu’ils emploient des enseignants non-formés qui perçoivent de faibles salaires. Etant donné que BIA a commencé ses activités au Kenya depuis 2009 et qu’elle ne semble toujours pas coopérer avec les exigences du gouvernement, et à la vue des révélations récentes démontrant la nature commerciale des objectifs de l’entreprise, il est devenu urgent d’agir. ”
Camilla Croso, la Présidente de la Campagne Mondiale pour l’Education, a insisté sur le fait que, “alors qu’ils réalisent que la marchandisation de l’éducation est loin d’être la solution aux défis éducatifs auxquels ils font face, et que cette marchandisation est en fait même négative, les gouvernements doivent maintenant augmenter leurs financements pour l’éducation afin de remplir leurs obligations de réaliser le droit à l’éducation, en particulier en dépensant au moins 20% de leur budget ou 6% de leur PIB pour l’éducation. ”
Les 18 organisations qui soutiennent cette déclaration ont affirmé être prêtes à travailler avec le Gouvernement de l’Ouganda, du Kenya, et les autres autorités intéressées, afin de soutenir le développement d’un système d’éducation publique de qualité, plutôt que le développement d’un système commercial mené par des entreprises étrangères.
19/11/24 à 15h53 GMT