Au cœur de la forêt la plus riche au monde en biodiversité, la fourmi amazonienne Myrmelachista schumanni façonne des parcelles uniquement composées de l’arbre où elle niche. Une relation exclusive au bénéfice mutuel, comme vient de le révéler une nouvelle étude publiée dans The American Naturalist. Les arbres poussent en effet deux fois plus vite dans ces « jardins du Diable », comme les appellent les indiens Yasunís, y voyant l’œuvre d’un esprit malin.
Le saviez-vous ?
Dans la forêt amazonienne, les zones de peuplement monospécifique des arbustes Duroia hirsuta hébergent de gigantesques colonies de fourmis de l’espèce Myrmelachista schumanni. Ces dernières logent à l’intérieur de renflements à la base des feuilles.
Glossaire
Mutualisme : interaction entre deux ou plusieurs espèces – souvent un végétal et un insecte, un champignon, une bactérie, etc. – qui génère un bénéfice réciproque.
Une relation exclusive
Chez les fourmis dites « mutualistes », chacune possède sa méthode pour vivre en harmonie avec sa plante hôte. Myrmelachista schumanni fait table rase autour de l’arbre où elle niche, empoisonnant à l’acide formique – un puissant herbicide – tout ce qui ne ressemble pas de près ou de loin à Duroia hirsuta. Elle forme ainsi des parcelles entièrement constituées de ces petits arbres, surnommées « jardins du Diable » par les populations locales les attribuant au Malin, et façonne ainsi son propre Éden au milieu de la forêt amazonienne.
Quel est le gain pour le végétal, en échange de son hospitalité ? Une nouvelle étude de l’IRD et ses partenaires, publiée dans The American Naturalist, montre un incontestable bénéfice pour la plante de la présence de la petite fourmi.
Un taux de croissance doublé
D’après ces nouveaux travaux, les plants de Duroia hirsuta situés dans les îlots monospécifiques poussent deux fois plus vite que les pieds isolés sous la canopée.
Myrmelachista schumanni joue un rôle particulièrement important au moment de la mise en place du « jardin », éliminant la concurrence des autres végétaux, réduisant la mortalité et la compétition entre les jeunes plants, qui bénéficie alors de plus de lumière. Elle améliore aussi les chances de survie des arbres, grâce à leur comportement agressif contre les insectes herbivores. Ces résultats contredisent ainsi de précédentes études, qui suggéraient que les zones de « monoculture » étaient plus vulnérables aux attaques de ces derniers.
Un laboratoire à ciel ouvert
L’équipe de recherche a pu suivre sur le long terme la croissance des arbres grâce à la station scientifique installée en plein cœur du Parc national Yasuní par la faculté de biologie de la Pontificia Universidad Católica del Ecuador en 1996. Tous les arbres de cette parcelle expérimentale d’une surface de 50 ha – l’équivalent de 70 terrains de football – sont numérotés et référencés. Les auteurs de l’étude ont ainsi pu mesurer statistiquement le taux de croissance, sur près de 20 ans, de plus de 300 pieds de Duroia hirsuta.
Cette base de données unique au monde permet aux scientifiques de développer des recherches originales, destinées à mieux comprendre l'origine, la dynamique et le devenir de la biodiversité des forêts tropicales et découvrir les nombreux secrets que la forêt amazonienne renferme encore.
Actualité scientifique n°498 (PDF, 462 Ko)
Partenaires
IRD,PUCE, UTPL, EPN, Yale University
Références
Selene Báez, David Donoso, Simon Queenborough, Liliana Jaramillo, Renato Valencia, Olivier Dangles. Ant Mutualism Increases Long-Term Growth and Survival of a Common Amazonian Tree, The American Naturalist, 2016, doi/10.1086/688401
Contacts scientifiques
Olivier Dangles, chercheur à l’IRD T. 593 992744527 ; olivier.dangles@ird.fr
UMREGCE (IRD / CNRS / Université Paris-Sud)
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19/11/24 à 15h53 GMT