L’eau du robinet semble « couler de source » pour tous les consommateurs français. Pourtant, avant d’ouvrir le robinet, notre eau quotidienne subit plusieurs transformations pour être assainie, et donc potable. Si la France est plutôt bien lotie, d’autres pays sont en danger.
Quoi de mieux qu’une visite guidée dans une station d’assainissement[i] des eaux usées pour comprendre l’importance de ce procédé industriel ? Direction l’agglomération de Rouen, en Normandie, où le responsable de la station Emeraude, Julien Mallet, a l’habitude de présenter son usine aux écoliers de la région : « Ici, nous traitons majoritairement les eaux usées d’origine domestique, venant des baignoires, des lave-vaisselles… tout ce qui est rejeté à l’égout. Une partie des effluents est également d’origine fluviale. » Le traitement de l’eau suit un cheminement immuable, pour extraire les particules les plus grosses jusqu’aux particules toxiques les plus minuscules : pré-traitement (grâce à des dégrilleurs puis des tamiseurs), traitement biologique, clarification et traitement tertiaire de finition. « Les eaux pré-traitées sont acheminées vers les décanteurs lamélaires, puis vers les bassins biologiques, détaille le technicien. Nous mettons ces eaux en contact avec des micro-organismes naturellement présents dans l’eau, en intensifiant ce qui se passe dans le milieu naturel. Certaines bactéries font un travail qui nous plaît ! » Ensuite, la clarification permet de séparer la boue des eaux claires, eaux claires à nouveau traitées pour en exclure les traces les plus microscopiques de pollution. Voici donc pour les grandes lignes du processus.
Une dépollution obligatoire
En tout, selon le service public d’information sur l’eau (Eau France), ce sont plus de 21000 stations[ii] de différentes capacités qui nous permettent d’avoir une eau potable au robinet. Sont ainsi filtrés et éliminer de nombreux éléments comme les nitrates, l’ammoniac, toutes sortes de polluants biodégradables, des substances azotées, pesticides, ions métalliques… « Pour l’assainissement collectif, les normes découlent essentiellement de la directive européenne 91/271/CEE relative au traitement des eaux résiduaires urbaines (DERU) », précise Eau France. Tous ces différents traitements permettent donc d’épurer l’eau potable, mais également de préserver ses qualités, en contrôlant les niveaux d’éléments essentiels pour la santé humaine, comme le magnésium, le potassium, le fluor, le cuivre ou le zinc, tout en respectant évidemment les seuils européens pour chacun.
Dans le domaine du traitement des eaux usées, la France n’est pas la meilleure élève de la classe en Europe. « Entre 80 et 85 % des ménages sont raccordés au réseau d’assainissement collectif, précise le Rapport sur l’état de l’environnement[iii]. La quasi-totalité des stations d’épurations a été construite après 1970 et plus de la moitié après 2000. L’ensemble du territoire national étant maintenant équipé. » Selon les chiffres du ministère de l’Environnement (2016), 94% des stations françaises étaient conformes aux normes européennes en termes d’équipement, mais leur performance globale plafonnait à 86%.
La France a donc encore quelques progrès à faire, à commencer par lisser les disparités régionales et par accroître la proportion des eaux traitées dans la consommation d’eau globale[iv], dénoncée en 2019 lors des Assises de l’Eau. L’utilisation de ces eaux ne représentent en effet que 0,6% de la consommation globale, là où certains de nos voisins européens sont bien plus performants, comme l’Espagne (14%) ou l’Italie (8%). Sans parler de pays plus lointains qui insistent sur ce modèle vertueux (Israël 80%, Singapour 33%...). L’Etat français s’est quant à lui engagé à tripler les volumes d’eaux non conventionnelles réutilisées[v], pour atteindre 1,8% en 2025. Ces chiffres méritent quelques explications.
L’assainissement de l’eau, un problème mondial
Ces différences de proportion dans le mix de consommation entre eaux traitées et eaux naturelles ont plusieurs raisons : cadres réglementaires trop stricts, accès à l’eau naturelle abondant (c’est le cas de la France), zones habituellement désertiques ou en fort stress hydrique, chaque pays fait en fonction de son environnement. Quoi qu’il en soit, l’accès à l’eau est aujourd’hui un enjeu mondial[vi] : « Face à une pénurie d’eau mondiale, la réutilisation des eaux usées, aussi appelée "reuse" (issue de l’expression ‘wastewater reuse’ en anglais) est une voie d’avenir, considère Julie Mendret, maître de conférences à l’Université de Montpellier. En France, la "reuse" reste peu développée. En cause : un manque de sensibilisation du public et une réglementation très stricte. Au sein de l’Union européenne, la directive du 21 mai 1991 précise que "les eaux usées seront réutilisées lorsque cela se révèle approprié". » Julie Mendret pointe également du doigt des « barrières psychologiques » chez la plupart des populations qui seraient réticentes à boire une eau issue des réseaux d’assainissement.
Pourtant, loin de toute morale tiers-mondiste, de nombreux pays à travers le monde aimeraient certainement avoir ce luxe. Car l’utilisation d’une eau impropre à la consommation, à travers les réseaux de distribution étatiques ou dans les puits artésiens, concerne de très nombreux pays, et ce sur tous les continents. L’ONU ne cesse d'afficher des objectifs ambitieux[vii] en la matière, comme le soulignent Justin Brookes et Cayelan Carey : « L’objectif de développement durable (ODD) nº6, tel qu’il est formulé par le Groupe de travail ouvert des Nations Unies, présente une mission ambitieuse, mais réalisable pour les deux prochaines décennies : "Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau". » Une mission vraiment réalisable ?
Entre les ambitions et la réalité, il y a un gouffre. L’accès à l’eau, qui semble si naturel en France, est loin d’être une évidence pour tout le monde[viii], avec tous les problèmes de santé publique qui en découlent. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « une personne sur trois dans le monde n’a pas accès à de l’eau salubre. Le dernier rapport sur les inégalités en matière d’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène révèle également que plus de la moitié de la population mondiale ne dispose pas de services d’assainissement sûrs. » Selon les statistiques alarmantes[ix] du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU, environ 2,2 milliards de personnes sur la planète ne disposent ainsi pas de services d’alimentation en eau potable, et 4,2 milliards d’êtres humains sont privés de services d’assainissement.
Et dans ce panorama, les premières victimes sont les enfants[x]. L’OMS rappelle que « 50% des cas de sous-nutrition chez les enfants sont dus à la consommation d’eau non potable », ainsi que de nombreuses maladies comme par exemple la fluorose dentaire et la fluorose osseuse, dues à un excès de fluor dans l’eau absorbée (au-delà de 1,5mg par litre). Si la fluorose dentaire touche moins de 2% des enfants en France[xi], elle fait des ravages dans les pays dont le sous-sol contient naturellement trop de fluor ou ceux dont les réseaux de distribution sont vieillissants. C’est le cas par exemple de l’Ethiopie, de la Chine, de l’Inde, du Maroc, en Australie et encore au Cameroun où les eaux souterraines se chargent naturellement de fluor[xii] : « GWP Cameroun a convaincu les acteurs du secteur de l'eau que le fluorure géogénique des eaux souterraines du bassin du fleuve Mayo Tsanaga affecte et menace la santé orale/dentaire de quelque 500000 Camerounais, essentiellement des enfants. » Quant à la Chine, l’excès de fluor poserait un autre problème : la baisse du quotient intellectuel des enfants[xiii]. « Une méta-analyse de 27 études trouve que les enfants exposés à des niveaux importants de fluor ont quasiment deux fois plus de risques, par rapport aux enfants non-exposés, d’avoir de faibles scores de QI, notait un article de Slate. Mais 25 de ces études ont été menées en Chine (et les deux restantes en Iran), soit une donnée plus que pertinente, vu que l’eau n’y est pas fluorée de la même façon qu’ici. En Chine, la contamination au fluor de l’eau potable est souvent très importante. » La fluorose, un vrai problème mondial.
Et la liste des maladies[xiv] ne s’arrête évidemment pas là : dans bon nombre de pays, surtout en Afrique, l’eau est aussi vectrice du choléra, du paludisme, de la dengue, de la gale, de l’onchocercose… Ces vingt dernières années pourtant, des progrès ont été réalisés[xv] à l’échelle mondiale : « La proportion de la population mondiale utilisant un service d’assainissement géré en toute sécurité a augmenté de 28% en 2000 à 45% en 2017, les progrès les plus rapides se situant en Asie de l’Est et Asie du Sud-Est », souligne les Nations unies. Malheureusement, l’horizon des 100% semble encore bien loin.
[i] https://www.youtube.com/watch?v=a9BS_FTWnIk (voir ci-dessous
Agence de l'Eau Seine Normandie
[ii] https://www.eaufrance.fr/lassainissement-des-eaux-usees-domestiques
[v] https://www.cerema.fr/fr/actualites/premier-panorama-reutilisation-eaux-usees-traitees-france
[ix] https://www.un.org/development/desa/fr/news/sustainable/new-un-water-development-report.html
[x] https://www.actioncontrelafaim.org/a-la-une/tout-savoir-sur-lacces-a-leau-dans-le-monde/
[xiii] https://www.slate.fr/story/68497/fluor-enfants-stupides
L'assainissement des eaux usées domestiques (3086 hits)
19/11/24 à 15h53 GMT